L'esprit de Noël est de retour au cinéma !

Film : Joyeux Noël (2005)

Réalisateur : Christian Carion

Acteurs : Diane Kruger (Anna Sorensen), Natalie Dessay (Anna Sörensen (singing voice)), Benno Fürmann (Nikolaus Sprink), Guillaume Canet (Lieutenant Audebert), Gary Lewis (Palmer), Dany Boon (Ponchel), Daniel...

Durée : 1h 56m


L’univers du cinéma est riche d’histoires se déroulant en plein cœur de la première Guerre mondiale. Pourtant, rares sont celles qui ont relaté les événements autour des trêves de Noël 1914. Le réalisateur Christian Carion, entouré d’historiens, a souhaité rendre hommage à tous ces hommes, français, britanniques et allemands, qui décidèrent d’honorer la fête de Noël en établissant un cessez-le-feu.

 

Bien que romancés, les faits racontés dans Joyeux Noël, sorti en 2005, ont véritablement eu lieu et se sont répétés sur différents fronts. Le spectateur est alors plongé dans l’univers de la guerre, en plein milieu du mois de décembre, sur le front belge, prêt de la ville d’Ypres. Les Français, aidés par les Écossais, font face aux Allemands. La proximité entre les différentes tranchées constitue, pour les historiens, l’un des facteurs ayant entraîné la fraternisation entre les soldats le soir de Noël. Christian Carion choisit de montrer l’état d’esprit de chacune des nations, à travers l’expérience de ces quelques soldats ayant à leur tête un lieutenant. Le réalisateur présente alors les faits de manière assez objective. Ce point de vue n’est pas anodin. En effet, il cherche avant tout à illustrer le fait que ces soldats étaient tous des hommes, des époux, des frères. Chacun d’eux avait dû abandonner sa vie pour défendre sa patrie. Ils étaient dans la même boue et connaissaient les mêmes peurs et difficultés. Ce sont des éléments que les soldats n’ignoraient pas. Ainsi, un sentiment de respect mutuel se met en place : « La même communauté de souffrance rapproche les cœurs, fait fondre les haines, naître la sympathie entre gens indifférents et même adversaires. Ceux qui nient cela n’entendent rien à la psychologie humaine. Français et Allemands se regardèrent, virent qu’ils étaient des hommes tous pareils. » (caporal Louis Barthas, dans son carnet de guerre).

 

La fête de Noël est au centre de ce film. Le réalisateur lui redonne toute son importance. Étant majoritairement chrétiens, ces hommes ne peuvent que respecter cette nuit sainte. Il n’est d’ailleurs pas sans intérêt de relever ce que ce patrimoine commun entre les nations rendait alors possible au milieu de tant de folies. Comment tuer une nuit comme celle-ci ? Bien qu’opposés militairement, les soldats partagent les mêmes principes : « Ce soir, des hommes ont été attirés par la Croix comme la neige en hiver. » Un Français porte une croix au cou, un Allemand possède un ceinturon sur lequel il est écrit « Dieu avec nous ». L’histoire nous montre que l’on ne peut tenir Dieu pour responsable des malheurs de la guerre et qu’il ne faut s’en prendre qu’aux hommes, toujours plus avides de pouvoir et de conquêtes. Les chants se propagent dans les tranchées : « Les Allemands chantaient une de leurs chansons, nous une des nôtres, jusqu’à ce […] les Allemands reprennent avec nous l’hymne en latin Adeste Fideles. Et alors je me suis dit : Eh bien, c’est vraiment une chose extraordinaire – deux nations chantant le même chant de Noël en pleine guerre », raconte ainsi le soldat Graham Williams de la London Rifle Brigade dans l’une de ses lettres. Là encore il est possible de voir le travail de restitution et de recherche de la part du réalisateur.

 

Cependant, comme s’il avait été gêné par la dimension nécessairement religieuse de ce film, le réalisateur n’a pu s’empêcher de chercher à la neutraliser en y introduisant une scène, inutile autant que caricaturale, où un évêque (anglican) fanatique conduit un prêtre de son clergé, par son discours absurde, à abandonner la croix (et la foi ?) qu’il portait jusque-là : « Les Allemands ne sont pas les enfants de Dieu – dit-il. Avec l’aide du Seigneur, vous devez [les] tuer. » Cet épisode, qui aligne le fanatisme des hiérarchies religieuses sur celui des hiérarchies militaires, n’est pas seulement caricatural ; il est profondément injuste. Il fait en effet bien peu de cas des quelque 25 000 prêtres et séminaristes et des 9 300 religieux, sans oublier les nombreuses religieuses, qui ont porté hautement et fièrement, la plupart comme simples soldats ou infirmiers, non seulement leur héroïsme, dont témoignent de nombreuses correspondances, mais aussi leur charité et leur témoignage de disciples du Christ dans ce terrible conflit.

 

La fraternisation mise en scène par le film, ces échanges de marchandises, ces jeux sont rapportés dans plusieurs correspondances militaires et remontent ainsi aux oreilles des autorités qui les considèrent comme des actes de trahison. Après avoir établi un cessez-le-feu le 24 décembre, discuté dans le no man’s land et après avoir enterré les morts le lendemain, comment ces soldats peuvent-ils continuer ensuite à s’entretuer ? Comment un homme peut-il tirer sur un autre, avec lequel il a communiqué et qui, malgré tout, partage des caractéristiques communes ? Sur le front d’Ypres, la plupart des soldats sont des engagés volontaires mais ils restent des fermiers, des chanteurs, des peintres. Les Écossais, Français et Allemands finissent par se reconnaître dans leurs ennemis.

 

Joyeux Noël est donc un témoignage relatant ces actes de fraternisation spontanée de la Grande Guerre. Ce film, comme nous l’avons vu plus haut, est très intéressant d’un point de vue historique. Cependant, certains éléments sont peu réalistes. Il semble que le réalisateur se soit trop concentré sur les faits et qu’il ait oublié le fond, comme le froid ou les conditions extrêmes de vie des soldats. Le spectateur a donc plus de mal à entrer dans l’histoire. Il s’agit néanmoins d’un film historique à voir en famille et qui permet de connaître un peu mieux ces trêves de Noël 1914. Pour illustrer ce film, voici l’extrait d’une lettre d’un étudiant allemand tué à la guerre :

 

« Le 31 décembre nous avons convenu de tirer des salves à minuit. La soirée était froide. Nous avons chanté, ils ont applaudi (nos tranchées sont à 60-70 mètres des leurs). Nous avons joué de la guimbarde, ils ont chanté, et nous avons applaudi. J’ai demandé ensuite s’ils n’avaient pas d’instruments de musique et ils sont allés chercher une cornemuse. Ils ont joué et chanté les beaux airs mélancoliques de leur pays : c’est la garde écossaise, avec les petites jupes et les jambes nues. A minuit les salves ont éclaté des deux côtés, en l’air ! Il y a eu aussi quelques décharges de notre artillerie, je ne sais sur quoi on tirait, les projectiles ordinairement si dangereux pétillaient comme un feu d’artifice. On a brandi des torches et crié hourra ! Nous nous sommes fait un grog, nous avons bu à la santé de l’empereur et à la nouvelle année. Ç’a été une vraie Saint-Sylvestre, comme en temps de paix.»

 

Cent ans plus tard, cette leçon d’humanité parle encore à nos oreilles.