L’originalité de ce réalisateur est frappante que ce soit dans sa filmographie, les scénarios et les réalisations. En effet, Kim Ki-Duk est l’un des cinéastes les plus marquants dans l’avancée du cinéma coréen. Ce qui le caractérise et sans doute le différencie, et qui se retrouve dans Locataires, c’est la sérénité de ces plans, le goût des couleurs (toutefois assez différent du réalisateur chinois de Hero et le secret de poignards volants de Zhang Yimou)
, et surtout l’amour du silence, du moins d’une certaine forme de silence. A ce propos, « Locataires » est un exemple surprenant de l’utilisation du silence : son héros ne parle pas une seule fois, et l’héroïne que très peu. Il ne s’agit bien évidemment pas d’un manque de créativité dans le scénario, au contraire le risque est beaucoup plus important : risque de déplaire au spectateur habitué au cinéma parlant, risque de lourdeur… Kim Ki-Duk explique qu’il souhaite que son personnage communique « par le silence », et il donne deux raisons principales à ce choix. D’une part, « la communication est possible à travers d’autres supports que la parole » et il prend l’exemple de sa surprise lorsque qu’il « saisit le comique d’un film sans en connaître la langue », d’autre part, « si ses personnages parlent peu, c’est aussi parce que ce sont des gens profondément meurtris ». Il y a donc d’un côté une expérimentation des concepts sémiologiques et d’un autre un besoin de l’histoire. Kim Ki-Duk est un réalisateur
patient et calme tout comme il l’avait été dans printemps, été, automne, hivers. La plupart des scènes sont assez longues, comme pour mieux nous laisser le temps de contempler l’œuvre (Ki-Duk est avant tout un grand passionné de peinture), la musique peu variée nous installe tranquillement dans l’action, enfin, le silence s’impose par lui-même. Un fin jeu d’acteur est donc exigé. Si l’on ne communique pas par les mots il faut bien que les attitudes soient « parlantes ». Il est vrai que Kim Ki-Duk à l’habitude de travailler avec des acteurs amateurs ou inconnus pour éviter les surcoûts, mais ce n’est pas au détriment de la qualité. En outre, le silence n’a pas été un obstacle à une analyse approfondie de la psychologie des personnages. Laissons au spectateur le réel plaisir de comprendre par lui-même et de pénétrer plus spontanément l’intimité du personnage trop souvent viciée par les mots. Il y a sur ce point une nette différence avec la culture dramatique française peut-être un peu trop traumatisée
dans son cinéma par les interminables tirades des tragédies du XVIè siècle. Bien que le manichéisme dans les relations entre les personnages retire un peu au charme (police et mari odieux faisant contraste avec la douceur des héros), la poésie de ce film, pour sa forte qualité d’émotion esthétique, transcende la réalité brutale de la vie pour nous en montrer ce qu’il y a de beau et de triste. Plus exactement encore, le film est une progression dans le passage de la réalité à une sorte de mysticisme « religieux ». En ce sens, Locataires est une belle œuvre d’art qui ne laissera pas indifférents les spectateurs en quête d’absolu.
Le cinéma de Kim Ki-Duk peut choquer le public qui ne saura pas voir derrière les images la beauté de ses idées. Le fait est que Kim essaie dans ses films de se placer au-delà de la morale : « Tout le monde regarde un film avec sa propre morale, sa propre éthique, qui pourraient constituer une barrière à la compréhension véritable de ce
que je souhaite montrer. Nous nous censurons nous-mêmes. Tout le monde se dit : "Ca c’est immoral", "Ca ça ne va pas", "Là il y a un problème" ; ce sont autant de barrière à la perception d’un film et de ses propos. De ce point de vue et au travers de sa narration, mon film (en parlant de Samaritan Girl) est dangereux car il se place au-delà de ces considérations. Les gens aimeraient vivre avec une moralité, mais je ne pense pas que le cinéma doive le faire. Il ne doit pas défendre une certaine morale, mais se placer au-delà » (Interview entrepris par Sancho.Does.Asia, la revue électronique des cinémas d’Asie et d’ailleurs). Si le cinéma doit de placer au-delà de la morale, et par conséquent être amoral, il faut d’emblée reconnaître que les images ne doivent pas être un obstacle ; tout est affaire de beauté, il faudrait voir ce qu’il y a derrière les images : « Ce n’est que lorsque l’on regarde très précisément une chose sordide que l’on découvre sa beauté » (Kim Ki-Duk). Il va donc plus loin ; l’image forte,
non seulement ne doit pas bloquer le spectateur, mais elle est nécessaire puisqu’elle véhicule le beau, non pas plastique mais cachée. C’est pourquoi Locataires présente un certain nombre de scènes violentes ou sensuelles. Mais le réalisateur aura été beaucoup plus provocant dans d’autres de ses films comme Samaria, l’île ou encore Bad guy. Le premier problème est que les spectateurs n’ont pas forcément la même aptitude à prendre de la distance par rapport à ce qu’ils voient, d’autant plus que Kim ne semble pas utiliser des moyens spécifiques pour que le spectateur ne s’identifie pas (Cf. théorie de Brecht sur la distanciation). Méfions nous donc car ce qui est bon ou non nuisible pour l’un ne l’est pas obligatoirement pour d’autres ! En outre, le second problème est que la teneur d’une image peut s’avérer objectivement immorale (certaines images érotiques par exemple). Mais la répercussion des images n’est pas le seul souci moral dans Locataires. Il y a au-delà d’elles la référence à des idées
nettement influencées par le bouddhisme du cinéaste. En effet, le message du film est loin d’être parfaitement clair, du moins pour un occidental imprégné de judéo-christianisme. Voici le poème que Kim Ki-Duk a écrit au sujet de son film : « Nous sommes tous des maisons vides, Attendant ardemment que quelqu’un vienne ouvrir la porte et nous libère… Et un beau jour, Un homme, comme un fantôme, apparaît et ouvre la porte pour m’emmener Avec lui. Aujourd’hui, je fais confiance à cet homme pour le suivre sans réserve, Vers un destin nouveau… » Ce poème, tout comme le film dont il est le reflet, entraîne une série de questions mais n’apporte que peu de réponses. Qu’entend-il par « maisons vides » ? De quelle libération s’agit-il ? Peut-être est-ce évident pour une personne trempée de culture orientale ! Le personnage le plus énigmatique est Tae-Suk, qui ne parle pas. Nous sommes témoin tout long du film d’une métamorphose, la sienne. Il finit par atteindre un degré parfait de
furtivité, de quasi-invisibilité ce qui lui permet d’être une réalité intangible, sauf pour celle qu’il aime. Faut-il avoir recours à la notion de symbolisme ? Le monde de la presse et de la cinéphilie s’est heurté à une large incompréhension non pas esthétique mais référentielle de l’œuvre (c'est-à-dire, en sémiologie, qui a trait au référent, au message). On pourrait considérer, sans prendre le risque de contredire la volonté du réalisateur, que Tae-Suk est le symbole de cette réalité qui nous entoure, que nous ne voyons pas mais qui a une incidence sur notre vie (Tae prend toujours soin de rendre l’appartement qu’il « squatte » mieux qu’il n’était avant son arrivée…). « L’essentiel est invisible pour les yeux » disait le petit prince de Saint-Exupéry, mais faut-il comprendre a contrario que ce qui est visible n’est pas essentiel, voire qu’il n’est qu’une illusion ? Pour Kim Ki-Duk en tout cas, « il est impossible de savoir si le monde dans lequel nous vivons est un rêve ou une réalité » (Citation
affichée à la fin du film). On reconnaît bien ici l’influence des philosophies orientales qui irriguent le corps du film. Vivons-nous dans un rêve ? Cette question métaphysique a été résolue par les philosophes réalistes. De fait, et sans plonger dans les affres de la philosophie, n’est-il pas plus naturel de considérer que ce que nous voyons est ce qui est vu, plutôt que d’accomplir un acte supplémentaire de l’intelligence qui consisterait à se demander si ce qui "est" est visible et si ce qui est vu "est" indépendamment de nous ? D’un point de vue plus humain, Kim nous laisse un beau message d’amour, un amour sans égoïsme. La femme est sans conteste le centre de son film : C’est elle qui souffre, c’est elle qui décide de changer son destin en suivant un inconnu, et c’est elle qui finit par atteindre un certain bonheur (bonheur, on l’a vu, qui est soit illusoire soit réel). Pour Kim, les coréens sont de nature « égoïste », et il aimerait pouvoir changer ça. Dans le film Sun-houa se refuse à son mari
tyrannique, sûrement symbole d’une réalité masculine coréenne, mais se donne spontanément à l’homme qui la respecte. L’amour n’est pas la satisfaction de soi, c’est un partage (l'amour est oblatif, disent les psychologues); ici, deux solitudes s’apprivoisent petit à petit dans un environnement hostile. Cependant, La vie de Tae-Suk n’est pas un modèle même si tout au long de l’histoire on s’attache à sa personnalité (d’autant plus qu’il viole l’intimité et la propriété privée des gens chez qui il loge provisoirement). La liberté est certes une chose fondamentale chez l’homme mais ne doit pas entrer en contradiction avec celle d’autrui.
Jean LOSFELD
, et surtout l’amour du silence, du moins d’une certaine forme de silence. A ce propos, « Locataires » est un exemple surprenant de l’utilisation du silence : son héros ne parle pas une seule fois, et l’héroïne que très peu. Il ne s’agit bien évidemment pas d’un manque de créativité dans le scénario, au contraire le risque est beaucoup plus important : risque de déplaire au spectateur habitué au cinéma parlant, risque de lourdeur… Kim Ki-Duk explique qu’il souhaite que son personnage communique « par le silence », et il donne deux raisons principales à ce choix. D’une part, « la communication est possible à travers d’autres supports que la parole » et il prend l’exemple de sa surprise lorsque qu’il « saisit le comique d’un film sans en connaître la langue », d’autre part, « si ses personnages parlent peu, c’est aussi parce que ce sont des gens profondément meurtris ». Il y a donc d’un côté une expérimentation des concepts sémiologiques et d’un autre un besoin de l’histoire. Kim Ki-Duk est un réalisateur
patient et calme tout comme il l’avait été dans printemps, été, automne, hivers. La plupart des scènes sont assez longues, comme pour mieux nous laisser le temps de contempler l’œuvre (Ki-Duk est avant tout un grand passionné de peinture), la musique peu variée nous installe tranquillement dans l’action, enfin, le silence s’impose par lui-même. Un fin jeu d’acteur est donc exigé. Si l’on ne communique pas par les mots il faut bien que les attitudes soient « parlantes ». Il est vrai que Kim Ki-Duk à l’habitude de travailler avec des acteurs amateurs ou inconnus pour éviter les surcoûts, mais ce n’est pas au détriment de la qualité. En outre, le silence n’a pas été un obstacle à une analyse approfondie de la psychologie des personnages. Laissons au spectateur le réel plaisir de comprendre par lui-même et de pénétrer plus spontanément l’intimité du personnage trop souvent viciée par les mots. Il y a sur ce point une nette différence avec la culture dramatique française peut-être un peu trop traumatisée
dans son cinéma par les interminables tirades des tragédies du XVIè siècle. Bien que le manichéisme dans les relations entre les personnages retire un peu au charme (police et mari odieux faisant contraste avec la douceur des héros), la poésie de ce film, pour sa forte qualité d’émotion esthétique, transcende la réalité brutale de la vie pour nous en montrer ce qu’il y a de beau et de triste. Plus exactement encore, le film est une progression dans le passage de la réalité à une sorte de mysticisme « religieux ». En ce sens, Locataires est une belle œuvre d’art qui ne laissera pas indifférents les spectateurs en quête d’absolu.
Le cinéma de Kim Ki-Duk peut choquer le public qui ne saura pas voir derrière les images la beauté de ses idées. Le fait est que Kim essaie dans ses films de se placer au-delà de la morale : « Tout le monde regarde un film avec sa propre morale, sa propre éthique, qui pourraient constituer une barrière à la compréhension véritable de ce
que je souhaite montrer. Nous nous censurons nous-mêmes. Tout le monde se dit : "Ca c’est immoral", "Ca ça ne va pas", "Là il y a un problème" ; ce sont autant de barrière à la perception d’un film et de ses propos. De ce point de vue et au travers de sa narration, mon film (en parlant de Samaritan Girl) est dangereux car il se place au-delà de ces considérations. Les gens aimeraient vivre avec une moralité, mais je ne pense pas que le cinéma doive le faire. Il ne doit pas défendre une certaine morale, mais se placer au-delà » (Interview entrepris par Sancho.Does.Asia, la revue électronique des cinémas d’Asie et d’ailleurs). Si le cinéma doit de placer au-delà de la morale, et par conséquent être amoral, il faut d’emblée reconnaître que les images ne doivent pas être un obstacle ; tout est affaire de beauté, il faudrait voir ce qu’il y a derrière les images : « Ce n’est que lorsque l’on regarde très précisément une chose sordide que l’on découvre sa beauté » (Kim Ki-Duk). Il va donc plus loin ; l’image forte,
non seulement ne doit pas bloquer le spectateur, mais elle est nécessaire puisqu’elle véhicule le beau, non pas plastique mais cachée. C’est pourquoi Locataires présente un certain nombre de scènes violentes ou sensuelles. Mais le réalisateur aura été beaucoup plus provocant dans d’autres de ses films comme Samaria, l’île ou encore Bad guy. Le premier problème est que les spectateurs n’ont pas forcément la même aptitude à prendre de la distance par rapport à ce qu’ils voient, d’autant plus que Kim ne semble pas utiliser des moyens spécifiques pour que le spectateur ne s’identifie pas (Cf. théorie de Brecht sur la distanciation). Méfions nous donc car ce qui est bon ou non nuisible pour l’un ne l’est pas obligatoirement pour d’autres ! En outre, le second problème est que la teneur d’une image peut s’avérer objectivement immorale (certaines images érotiques par exemple). Mais la répercussion des images n’est pas le seul souci moral dans Locataires. Il y a au-delà d’elles la référence à des idées
nettement influencées par le bouddhisme du cinéaste. En effet, le message du film est loin d’être parfaitement clair, du moins pour un occidental imprégné de judéo-christianisme. Voici le poème que Kim Ki-Duk a écrit au sujet de son film : « Nous sommes tous des maisons vides, Attendant ardemment que quelqu’un vienne ouvrir la porte et nous libère… Et un beau jour, Un homme, comme un fantôme, apparaît et ouvre la porte pour m’emmener Avec lui. Aujourd’hui, je fais confiance à cet homme pour le suivre sans réserve, Vers un destin nouveau… » Ce poème, tout comme le film dont il est le reflet, entraîne une série de questions mais n’apporte que peu de réponses. Qu’entend-il par « maisons vides » ? De quelle libération s’agit-il ? Peut-être est-ce évident pour une personne trempée de culture orientale ! Le personnage le plus énigmatique est Tae-Suk, qui ne parle pas. Nous sommes témoin tout long du film d’une métamorphose, la sienne. Il finit par atteindre un degré parfait de
furtivité, de quasi-invisibilité ce qui lui permet d’être une réalité intangible, sauf pour celle qu’il aime. Faut-il avoir recours à la notion de symbolisme ? Le monde de la presse et de la cinéphilie s’est heurté à une large incompréhension non pas esthétique mais référentielle de l’œuvre (c'est-à-dire, en sémiologie, qui a trait au référent, au message). On pourrait considérer, sans prendre le risque de contredire la volonté du réalisateur, que Tae-Suk est le symbole de cette réalité qui nous entoure, que nous ne voyons pas mais qui a une incidence sur notre vie (Tae prend toujours soin de rendre l’appartement qu’il « squatte » mieux qu’il n’était avant son arrivée…). « L’essentiel est invisible pour les yeux » disait le petit prince de Saint-Exupéry, mais faut-il comprendre a contrario que ce qui est visible n’est pas essentiel, voire qu’il n’est qu’une illusion ? Pour Kim Ki-Duk en tout cas, « il est impossible de savoir si le monde dans lequel nous vivons est un rêve ou une réalité » (Citation
affichée à la fin du film). On reconnaît bien ici l’influence des philosophies orientales qui irriguent le corps du film. Vivons-nous dans un rêve ? Cette question métaphysique a été résolue par les philosophes réalistes. De fait, et sans plonger dans les affres de la philosophie, n’est-il pas plus naturel de considérer que ce que nous voyons est ce qui est vu, plutôt que d’accomplir un acte supplémentaire de l’intelligence qui consisterait à se demander si ce qui "est" est visible et si ce qui est vu "est" indépendamment de nous ? D’un point de vue plus humain, Kim nous laisse un beau message d’amour, un amour sans égoïsme. La femme est sans conteste le centre de son film : C’est elle qui souffre, c’est elle qui décide de changer son destin en suivant un inconnu, et c’est elle qui finit par atteindre un certain bonheur (bonheur, on l’a vu, qui est soit illusoire soit réel). Pour Kim, les coréens sont de nature « égoïste », et il aimerait pouvoir changer ça. Dans le film Sun-houa se refuse à son mari
tyrannique, sûrement symbole d’une réalité masculine coréenne, mais se donne spontanément à l’homme qui la respecte. L’amour n’est pas la satisfaction de soi, c’est un partage (l'amour est oblatif, disent les psychologues); ici, deux solitudes s’apprivoisent petit à petit dans un environnement hostile. Cependant, La vie de Tae-Suk n’est pas un modèle même si tout au long de l’histoire on s’attache à sa personnalité (d’autant plus qu’il viole l’intimité et la propriété privée des gens chez qui il loge provisoirement). La liberté est certes une chose fondamentale chez l’homme mais ne doit pas entrer en contradiction avec celle d’autrui.