Loin des hommes

Film : Loin des hommes (2014)

Réalisateur : David Oelhoffen

Acteurs : Viggo Mortensen (Daru), Reda Kateb (Mohamed, le prisonnier), Djemel Barek (Slimane), Vincent Martin (Balducci)

Durée : 01:41:00


La guerre d'Algérie a commencé. Pour Daru, instituteur dans une école perdue au milieu des montagnes, il n'est pas question de choisir un camp, mais la réalité va bien vite le rattraper. Un gendarme français lui amène un prisonnier qu'il devra escorter dans le désert jusqu'au lieu de son procès.

Un tel film suscite l'intérêt pour au moins deux raisons.

D'abord parce qu'il s'agit de l'adaptation d'une nouvelle d'Albert Camus : L'hôte, tiré du recueil L'Exil et le Royaume. On sait combien l'écrivain aimait à introduire dans ses écrits des questions philosophiques d'une grande profondeur. Ici, rien de tel. On assiste tout juste aux hésitations de Daru qui refuse, qui accepte, se méfie, fait confiance, etc. Mais c'est tout. Ce comportement erratique fait de lui un homme sans grande envergure, même s'il sait faire preuve de courage, d'abnégation et de détermination même dans les moments les plus difficiles. De plus, beaucoup de libertés sont prises par rapport à la nouvelle. Dans la chute finale de la nouvelle par exemple, Daru découvre sur le tableau noir une inscription : « Tu as livré notre frère, tu le paieras. » Dans le film, c'est différent.

Ensuite parce que la toile de fond est la guerre d'Algérie. Or Camus, s'il avait l'insigne qualité d'être détesté par les marxistes de son époque, était néanmoins très hostile à la colonisation, qu'il appelait, comme ses amis de rouge condition, du « colonialisme » (colonisation accompagnée d’idéologie). Que l'on soit pour ou contre la colonisation, on pouvait donc craindre que la France, particulièrement dans ce contexte troublé, ne soit à nouveau la cible de ses mauvais enfants, ceux qui profitent de ses dernières forces et de sa richesse culturelle tout en programmant sa mort ou, parce qu'un tel propos heurterait, sa transformation radicale en autre chose, ce qui revient au même.

Qu'on en juge donc. Daru est un instrument de colonisation, puisqu'il fait la classe en Algérie (on a d'ailleurs droit, comme d'habitude, à la sempiternelle ironie sur le terme « nos ancêtres les Gaulois »). Mais rassurez-vous, tout le long du film il est hostile à la France, pour des raisons qui ne sont pas expliquées, et proche des rebelles, compagnons d'arme avec lesquels il a fait la guerre d'Italie. De ce point de vue, l'honneur gauchiste de notre grand cinéma français est sauf. D'ailleurs, l'armée française se comporte fort mal. Après avoir promis qu'ils ne feraient aucun mal à ceux qui se rendraient, les soldats tuent les prisonniers sans sommation avant d'aligner les corps comme « vu à la télé. » Voilà donc une nouvelle bonne raison pour les Algériens de détester la France, et plus largement pour les Arabes de trouver de nouveaux Charlie dans la foule de nos compatriotes.

Les terroristes du FLN, eux, sont montrés comme des soldats ordinaires. On ne parlera pas, idéologie oblige, des bombes, des tortures et des massacres orchestrés par eux. En revanche, Daru reprochera vertement à un harki ses choix.

Après tout la liberté d'expression est belle, et doit être protégée, mais on se demande si la parution d'un tel film, dans le contexte actuel, est en mesure d'apaiser les esprits.