Lord of War

Film : Lord of War (2005)

Réalisateur : Andrew Niccol

Acteurs : Nicolas Cage (Yuri Orlov), Jared Leto (Vitaly Orlov), Ethan Hawke (Jack Valentine), Bridget Monyahan (Ava Fontaine)...

Durée : 02:02:00


Après Bienvenu à Gattaca (1998) et Simone (2002), Andrew Niccol abandonne les films de science-fiction pour s'intéresser à un sujet aussi brûlant que difficilement appréhendable, celui du trafic d'armes. Jamais ce sujet n'avait été traité de la sorte à Hollywood. Devant les réticences des
producteurs américains (le script circulait aux États-Unis juste avant le début de la guerre en Irak), Andrew Niccol s'est tourné vers le producteur français Philippe Rousselet. Il a alors pu réunir les moyens nécessaires à la réalisation du film, en abandonnant ce qui aurait pu le rendre trop hollywoodien, trop convenu.Andrew Niccol s'est inspiré de faits avérés pour élaborer le scénario de son film. Mais approcher des trafiquants d'armes bien réels fut loin d'être facile: « Il est très difficile de parler à des marchands d'armes. Grâce à un ami, j'ai pu communiquer avec l'un d'entre eux par e-mail. », révèle le réalisateur. Se fournir en matériel de guerre (notamment en indispensables kalachnikovs), pour les besoins du film et dans les limites fixées par le budget alloué, a amené Andrew Niccol à faire l'achat de 3000 de ces armes (les armes factices étant plus chères) et à louer une cinquantaine des chars russes T-72 (leur reproduction en images de synthèse étant hors de prix)... Pour l'anecdote,
le réalisateur a revendu ses armes, en avouant être un piètre vendeur puisqu'il ne fit aucun bénéfice.De ces considérables préparatifs on retient un côté authentique qui donne au film un certain cachet journalistique. Il ne s'agit pas d'un divertissement tout simple, même si la forme narrative (grandeur et décadence du personnage principal) et les acteurs sont à la mode. Certes le film s'ouvre sur une séquence efficace et coup-de-poing, qui trouvera son écho en scène de fin, mais parfois le scénario se dévoile de manière assez convenue. Cependant Lord of war n'est pas un film comme les autres. Le héros nous vante de façon très professionnelle les mérites de telle arme, explique qu'il ne fait pas d'affaires avec Ben Laden, qui paie avec des chèques en bois, et explique avec indignation qu'on ne peut se servir d'une arme avant de l'avoir achetée... Mais sous l'humour noir, extrêmement efficace, Andrew Niccol nous livre un scénario en béton, et se fend même d'une leçon de géopolitique nous rendant
accessible le désordre de notre monde.La mise en scène est bien ficelée, d'une grande virtuosité qui révèle la maturité du réalisateur. La bande-son est impeccable, les musiques sont pétaradantes et donnent au film un côté divertissant (un décalage intéressant compte tenu du sujet préoccupant). Surtout Nicolas Cage excelle dans le rôle de ce marchand de mort, affairé, cynique, honnête, mais dépourvu de tout sens moral et attaché coûte que coûte au rêve capitaliste. Antihéros aussi détestable qu'attirant, il se pose comme un des acteurs les plus séduisants du cinéma américain.

L'aspect moral de ce film engagé est on ne peut plus important. La question de la moralité de Yuri est essentielle, et permet d'ailleurs à sa femme de lui déclarer que, peu importe la légalité (douteuse) des affaires de son mari, c'est l'immoralité de ce trafic qui devrait le convaincre d'y mettre fin. Au fond, Lord of war est un film profondément dérangeant par les questions qu'il pose. En
mettant en scène un vautour d'envergure internationale, au cœur de pierre, mais nécessaire à la réalité, le film fait preuve d’un sombre réalisme. L'impuissance de Jack Valentine, qui incarne la morale et la bonne conscience de l'œuvre, à coincer ce marchand d'armes qui se joue impunément de lui, font de Yuri un mal inexpugnable et même nécessaire. On se surprend même à se réjouir que notre gentleman s'en sorte toujours... Mais Andrew Niccol a planifié la chute du personnage : frère accro à la drogue, femme délaissée qui ne lui fait plus confiance, le monde de Yuri porte en lui le germe de sa déchéance. Le film devient alors une parabole démonstrative sur les méfaits du capitalisme.Le film pèche cependant par cette tendance à la démonstration, c'est-à-dire qu’il accumule l'un après l'autre les mauvais côtés du jeu capitaliste : corruption, dissimulation et mensonge, fraude, recherche du profit maximum par tous les moyens... Ainsi démontré, le capitalisme devient une menace pour la société comme pour
les individus... Mais la présentation est sans doute un peu simpliste et brouillonne, d'autant qu'elle n'explique en rien les dérives du capitalisme mais n'en égrène que les aspects négatifs. En outre, les scènes érotiques sont assez nombreuses, les dialogues vulgaires, très couleur locale, ne sont pas rares. Mais la liberté de ton, l'ironie joviale ne sont qu'autant d'armes dévastatrices qui servent ce pamphlet intelligent et militant. S'étant débarrassé du politiquement correct qu'il pourfend indirectement, le réalisateur nous fait part d'une réalité aussi effrayante qu'immorale.

Stéphane JOURDAIN