Love & Friendship

Film : Love & Friendship (2015)

Réalisateur : Whit Stillman

Acteurs : Kate Beckinsale (Lady Susan Vernon), Chloë Sevigny (Mrs. Alicia Johnson), Tom Bennett (Sir James Martin), Stephen Fry (M. Johnson)

Durée : 01:32:00


L’Angleterre de la fin du XVIIIe refait surface avec cette dernière adaptation cinématographique d’un court roman posthume de Jane Austen, Lady Susan, écrit en 1795 et publié seulement en 1871. On retrouve évidemment sur la pellicule les codes du film patrimonial chers à Orgueil & Préjugés ou encore Raison & Sentiments. Mais on découvre cette fois le talent de l’écrivaine britannique dans le registre de la comédie burlesque, alors que la plupart de ses autres écrits accordent davantage de sérieux et de gravité aux sentiments. Cette aventure assez subjective, narrant les récits épistolaires d’une jeune veuve joyeuse et séduisante (Kate Beckinsale), surprend à plus d’un titre.
Elle semble d’abord prendre le contre-pied parfait des précédents romans exaltant la société patriarcale de l’aristocratie terrienne. Ici, les hommes sont tout bonnement réduits à l’état de pantins manipulés en permanence par une femme prédatrice soucieuse d’assurer financièrement ses caprices sentimentaux. Fidèle aux écrits, le film fait rire à de nombreuses reprises, tant l’héroïne principale étonne par sa capacité à créer des intrigues de toute pièce dans le seul but de servir ses intérêts. Lady Susan Vernon fait voler en éclat l’idéal de soumission, de docilité, de douceur, d’abnégation, de pudeur, de respect des convenances propres à l’épouse modèle et à la mère emblématique de son époque.
Les surprenants déboires de Jane Austen
C’est d’ailleurs la raison majeure pour laquelle le film est encensé par toute la presse de gauche, croyant tenir en Lady Susan l’effigie d’un féminisme pionnier, voire d’une Marianne british en guerre contre les principes de l’aristocratie. En réalité, le film a deux tranchants, et l’on se rend bien vite compte que la caricature légère et amusante de l’aristocratie anglaise occasionne par là même une remontée en surface de thèmes pas franchement de gauche : la valeur de l’éducation, le commandement d’honorer son père et sa mère, le respect de la vie privée, de l’intimité, la question de l’autorité, de la justice et du respect d’autrui dans les relations. Autant Lady Susan apparaît-t-elle une figure féminine du roué, brisant les bienséances, autant brise-t-elle aussi certains tabous propres à notre société comme celui de l’inconsistance de la figure du père et de l’homme en général, devenu faible, déficient, peu inspirant, irresponsable et donc méprisable.  
L’humour de Jane Austen reste ainsi à interpréter avec un certain recul. L’incroyable posture de son personnage principal, arborant une féminité à la fois dangereuse et fascinante, n’est pas seulement le reflet d’une émancipation sotte et impertinente. Elle sonne également comme un avertissement audacieux, presque viril, à la gent masculine : voyez dans quel état de consternation nous sommes capables de jeter le monde si vous ne cessez pas d’être ridicules ! Jouant beaucoup de dialogues décalés dont une grande partie des mots a disparu de notre langue courante, le film Love & Friendship tombe un peu comme un ovni dans nos salles. Malheureusement trop bref (1h30), le scénario ne prend pas suffisamment le temps de développer l’histoire des autres personnages, et se repose sur une prestation solide des acteurs.