"Je sais que lorsque les vers auront rongé ma peau, je sais que dans ma chair je verrai encore Dieu, je le verrai avec mes yeux, et non ceux d'un autre". Telles furent les paroles sorties de la bouche de Job (XIX) dans l'Ancien Testament. Ces paroles semblent résonner d'un bout à l'autre du véritable thriller spirituel réalisé par Xavier Giannoli sur une étonnante affaire d'apparition (mais ne le sont-elles pas toutes ?) dans les Alpes. Une histoire rongée par les tourments d'incertitude, traversée par les désirs de compréhension, et jugulée par l'espoir fou de voir l'impossible se réaliser.
Ciel Vs. Terre : de la croyance à l'exigence
Anna (Galatea Bellugi), la petite sainte, entre soudain en scène, sous le feu des projecteurs. Elle a vu la Vierge. La Vierge lui a parlé. Des foules venues du monde entier accourent désormais aux pieds d'Anna. De toute part, des marées de dévotion populaire se rejoignent pour porter aux nues celle que l'on dit privilégiée de Dieu. On vend quantité de statuettes, d'images et d'objets de culte à son effigie et à celle de la Vierge Marie. Rien ne suffit à démontrer sa piété et son humilité. Ne conduit-elle pas des foules entières avec son petit minois de 18 ans, son regard d'une extrême pureté ? Quelle pareille ferveur ne servirait pas la dévotion à la Vierge ? Qui, dans l'assemblée des pélerins et des curieux, aurait le culot déplacé de voir dans cette démonstration de sainteté un élan passionné pour le péché préféré d'Al Pacino, la vanité (L'associé du diable, 1998), voire le profit ? C'est bien ce que pense le curé du village, véritable réplique d'un célèbre curé de campagne (Depardieu dans Sous le soleil de Satan, Maurice Pialat, 1987) et protecteur de la petite Anna, au moment de voir débarquer dans son alpage les émissaires de l'enquête canonique dépêchés par Rome. Parmi eux, Jacques (Vincent Lindon), reporter à Ouest-France. Recruté par les autorités romaines pour ses qualités journalistiques et sa "vision" (!) critique de non-croyant, Jacques emmène avec lui de l'artillerie lourde. Sa mission ? Evaporer les possibles subterfuges émaillant cette apparition revendiquée. Flanqué d'une psychiatre, d'un théologien, d'un exorciste et autres experts en biologie, le bon Jacques doit tout passer au crible : scanners, microscopes, caméras... la courte vie d'Anna ne doit plus laisser l'ombre d'un mystère. Son passé d'orpheline, ses maisons d'accueil, ses attirances éventuelles pour les garçons, les motivations de sa vocation de novice, sa relation épistolaire avec une amie disparue en Jordanie : l'enquête canonique ne laissera aucun miracle au hasard. Le cas célèbre et très douteux des apparitions de Medjugordje (Croatie) savamment utilisées par un réseau d'escroquerie ne doit pas se reproduire.
Entre salut du monde et "mondialisation de l'indifférence"
Le film de Giannoli sort ainsi le grand jeu pour traquer le mystère. C'est une enquête digne du Zodiac (David Fincher, 2007) qui se met en place au fil des minutes. Le scénario dévoile une opposition saisissante des contraires entre la foi et l'incroyance, le doute et l'assurance, l'incommunicabilité et la simplicité, l'extériorité et l'intériorité. L'excellence du script fait que ces oppositions demeurent durant la quasi totalité de l'intrigue. Beaucoup d'aspects fort réalistes en ressortent : la rigueur d'une enquête canonique et l'extrême prudence de l'Eglise pour reconnaître les faits d'apparition ; les enjeux commerciaux de l'effervescence populaire qui obstruent la clarté de la révélation portée par la messagère ; la crainte des esprits zélés qu'une vérité contraire projetée sur cette affaire effondre tout le mystère de la foi ; l'envie que la spiritualité à la Vierge puisse servir de remède à la "mondialisation de l'indifférence", quels que soient les moyens pris pour la promouvoir ; la pression intolérable qui vient s'abattre d'un coup sur les épaules de la petite voyante quasiment "starifiée" ; et le désir, bien sûr, de connaître la vérité d'un monde que seuls ses yeux de jeune fille innocente et au passé irréprochable affirment avoir vu avec la certitude la plus absolue. Ainsi Giannoli évite-t-il le piège du duel parfois simpliste entre la foi et l'athéisme, la foi et la science, que l'on découvre parfois dans des films peu profonds où la foi ne peut justement pas rivaliser avec la science, à cause de la primauté des images sur notre système de connaissance sensible (Da Vinci Code, Ron Howard, 2006). Sa mise en scène sérieuse montre qu'il s'empare du sujet à bras le corps. Le film, s'étirant entre Rome, les Alpes et la Jordanie, affiche une ambition parfois comparable à celle d'un thriller de marque, notamment lors de la convocation de Jacques au Vatican pour la révélation de cette mission quasi-impossible. A d'autres moments elle se mélange à la rusticité des alpages, ce qui offre un vrai relief au phénomène : vue de cette bourgade, du Vatican ou bien sur internet, cette apparition ouvre le champ à un retentissement et des problématiques très diverses. Le village a tendance à y déceler un sujet de prédestination du lieu et de sa population, tandis que Rome y voit un possible sujet de controverse, et internet une curiosité de plus dans le rayon des vidéos insolites. La sainteté à l'époque du numérique draîne ainsi avec elle un fourmillement d'espoirs et d'inquiétudes que ne connaissaient probablement pas autant les siècles précédents.
Du tribunal au sanctuaire impénétrable
Giannoli ne tombe pas non plus dans le piège tentant du parasitage de son scénario par des incursions du genre fantastique façon Ghost (Jerry Zucker, 1990). Il ne veut que du réel, jusqu'au bout. Pas de fantômes, ni de photomontages, ni de projection de faits paranormaux (Paranormal Activity, 2007). C'est pourquoi L'Apparition consacre véritablement un éloge à la recherche de la vérité. Le film écarte avec autorité et même sévérité les réflexes de crédulité et de superstition propres à certaines formes de foi plus soucieuses de l'extériorité du culte et des manifestations divines, que de la générosité du coeur de l'homme et de sa transmission invisible. Il ne se contente donc pas de répondre à la question : croire ou ne pas croire ? Il questionne en profondeur la sincérité de la foi chrétienne. C'est un film sur le regard plus que sur la chose vue. Si bien que le regard enquêteur du journaliste Jacques, en lequel se retrouve aisément le spectateur, devient inexorablement attiré et transporté par la force de l'événement. Une force qui pousse Jacques bien au-delà de ce qu'il aurait pu imaginer dans ses enquêtes ordinaires, lui, le reporter de guerre. Les scènes finales, notamment celle de la révélation de l'intrigue, le font entrer dans une autre dimension, grâce à un superbe thème musical. Si vous avez trop de doutes ou de certitudes sur la foi, ce film est fait pour vous, même si vous dénichez quelques imperfections dans l'attribution de certains seconds rôles pas toujours au taquet dans l'équipe de Jacques. Quant à savoir si Marie se cache vraiment dans le regard d'Anna, voici en tout et pour tout un indice : Marie est ici et ailleurs. Elle n'est guère là où vous le pensez, c'est-à-dire devant la tribune de la plèbe. Comme l'Eternel annoncé par le prophète Isaïe, elle habite "dans un sanctuaire élevé et dans la sainteté" ; mais elle est "avec l'homme contrit et humilié, afin de ranimer les esprits humiliés, afin de ranimer les coeurs contrits" (Is, 57,15). La fin ouvre la voie à des interprétations diverses. Dans une démarche étonnamment inverse à celle de Luther ("sola fide"), Giannoli cherche à montrer que les oeuvres ont une importance supérieure à la croyance dans le mystère de la foi. Cependant il ne se contente pas de rester sur le seuil d'une foi purement agnostique. Comme son maître à penser Martin Scorsese (Silence, 2016), il admet qu'une force surnaturelle meut l'homme et le pousse à contempler des vérités invisibles. Ce franchissement de seuil est le bienvenu à une époque où la conscience populaire s'interroge sur sa propre vision de la foi : l'irréligion n'aurait-elle pas fabriqué des préjugés fallacieux érigés en dogmes sur la religion ? L'irreligion ne serait-elle pas une fausse religion ? Autant de questions passionnantes que le film soulève, sans bien sûr avoir la prétention d'y répondre, un peu à la manière de Scorsese, justement.
"Je sais que lorsque les vers auront rongé ma peau, je sais que dans ma chair je verrai encore Dieu, je le verrai avec mes yeux, et non ceux d'un autre". Telles furent les paroles sorties de la bouche de Job (XIX) dans l'Ancien Testament. Ces paroles semblent résonner d'un bout à l'autre du véritable thriller spirituel réalisé par Xavier Giannoli sur une étonnante affaire d'apparition (mais ne le sont-elles pas toutes ?) dans les Alpes. Une histoire rongée par les tourments d'incertitude, traversée par les désirs de compréhension, et jugulée par l'espoir fou de voir l'impossible se réaliser.
Ciel Vs. Terre : de la croyance à l'exigence
Anna (Galatea Bellugi), la petite sainte, entre soudain en scène, sous le feu des projecteurs. Elle a vu la Vierge. La Vierge lui a parlé. Des foules venues du monde entier accourent désormais aux pieds d'Anna. De toute part, des marées de dévotion populaire se rejoignent pour porter aux nues celle que l'on dit privilégiée de Dieu. On vend quantité de statuettes, d'images et d'objets de culte à son effigie et à celle de la Vierge Marie. Rien ne suffit à démontrer sa piété et son humilité. Ne conduit-elle pas des foules entières avec son petit minois de 18 ans, son regard d'une extrême pureté ? Quelle pareille ferveur ne servirait pas la dévotion à la Vierge ? Qui, dans l'assemblée des pélerins et des curieux, aurait le culot déplacé de voir dans cette démonstration de sainteté un élan passionné pour le péché préféré d'Al Pacino, la vanité (L'associé du diable, 1998), voire le profit ? C'est bien ce que pense le curé du village, véritable réplique d'un célèbre curé de campagne (Depardieu dans Sous le soleil de Satan, Maurice Pialat, 1987) et protecteur de la petite Anna, au moment de voir débarquer dans son alpage les émissaires de l'enquête canonique dépêchés par Rome. Parmi eux, Jacques (Vincent Lindon), reporter à Ouest-France. Recruté par les autorités romaines pour ses qualités journalistiques et sa "vision" (!) critique de non-croyant, Jacques emmène avec lui de l'artillerie lourde. Sa mission ? Evaporer les possibles subterfuges émaillant cette apparition revendiquée. Flanqué d'une psychiatre, d'un théologien, d'un exorciste et autres experts en biologie, le bon Jacques doit tout passer au crible : scanners, microscopes, caméras... la courte vie d'Anna ne doit plus laisser l'ombre d'un mystère. Son passé d'orpheline, ses maisons d'accueil, ses attirances éventuelles pour les garçons, les motivations de sa vocation de novice, sa relation épistolaire avec une amie disparue en Jordanie : l'enquête canonique ne laissera aucun miracle au hasard. Le cas célèbre et très douteux des apparitions de Medjugordje (Croatie) savamment utilisées par un réseau d'escroquerie ne doit pas se reproduire.
Entre salut du monde et "mondialisation de l'indifférence"
Le film de Giannoli sort ainsi le grand jeu pour traquer le mystère. C'est une enquête digne du Zodiac (David Fincher, 2007) qui se met en place au fil des minutes. Le scénario dévoile une opposition saisissante des contraires entre la foi et l'incroyance, le doute et l'assurance, l'incommunicabilité et la simplicité, l'extériorité et l'intériorité. L'excellence du script fait que ces oppositions demeurent durant la quasi totalité de l'intrigue. Beaucoup d'aspects fort réalistes en ressortent : la rigueur d'une enquête canonique et l'extrême prudence de l'Eglise pour reconnaître les faits d'apparition ; les enjeux commerciaux de l'effervescence populaire qui obstruent la clarté de la révélation portée par la messagère ; la crainte des esprits zélés qu'une vérité contraire projetée sur cette affaire effondre tout le mystère de la foi ; l'envie que la spiritualité à la Vierge puisse servir de remède à la "mondialisation de l'indifférence", quels que soient les moyens pris pour la promouvoir ; la pression intolérable qui vient s'abattre d'un coup sur les épaules de la petite voyante quasiment "starifiée" ; et le désir, bien sûr, de connaître la vérité d'un monde que seuls ses yeux de jeune fille innocente et au passé irréprochable affirment avoir vu avec la certitude la plus absolue. Ainsi Giannoli évite-t-il le piège du duel parfois simpliste entre la foi et l'athéisme, la foi et la science, que l'on découvre parfois dans des films peu profonds où la foi ne peut justement pas rivaliser avec la science, à cause de la primauté des images sur notre système de connaissance sensible (Da Vinci Code, Ron Howard, 2006). Sa mise en scène sérieuse montre qu'il s'empare du sujet à bras le corps. Le film, s'étirant entre Rome, les Alpes et la Jordanie, affiche une ambition parfois comparable à celle d'un thriller de marque, notamment lors de la convocation de Jacques au Vatican pour la révélation de cette mission quasi-impossible. A d'autres moments elle se mélange à la rusticité des alpages, ce qui offre un vrai relief au phénomène : vue de cette bourgade, du Vatican ou bien sur internet, cette apparition ouvre le champ à un retentissement et des problématiques très diverses. Le village a tendance à y déceler un sujet de prédestination du lieu et de sa population, tandis que Rome y voit un possible sujet de controverse, et internet une curiosité de plus dans le rayon des vidéos insolites. La sainteté à l'époque du numérique draîne ainsi avec elle un fourmillement d'espoirs et d'inquiétudes que ne connaissaient probablement pas autant les siècles précédents.
Du tribunal au sanctuaire impénétrable
Giannoli ne tombe pas non plus dans le piège tentant du parasitage de son scénario par des incursions du genre fantastique façon Ghost (Jerry Zucker, 1990). Il ne veut que du réel, jusqu'au bout. Pas de fantômes, ni de photomontages, ni de projection de faits paranormaux (Paranormal Activity, 2007). C'est pourquoi L'Apparition consacre véritablement un éloge à la recherche de la vérité. Le film écarte avec autorité et même sévérité les réflexes de crédulité et de superstition propres à certaines formes de foi plus soucieuses de l'extériorité du culte et des manifestations divines, que de la générosité du coeur de l'homme et de sa transmission invisible. Il ne se contente donc pas de répondre à la question : croire ou ne pas croire ? Il questionne en profondeur la sincérité de la foi chrétienne. C'est un film sur le regard plus que sur la chose vue. Si bien que le regard enquêteur du journaliste Jacques, en lequel se retrouve aisément le spectateur, devient inexorablement attiré et transporté par la force de l'événement. Une force qui pousse Jacques bien au-delà de ce qu'il aurait pu imaginer dans ses enquêtes ordinaires, lui, le reporter de guerre. Les scènes finales, notamment celle de la révélation de l'intrigue, le font entrer dans une autre dimension, grâce à un superbe thème musical. Si vous avez trop de doutes ou de certitudes sur la foi, ce film est fait pour vous, même si vous dénichez quelques imperfections dans l'attribution de certains seconds rôles pas toujours au taquet dans l'équipe de Jacques. Quant à savoir si Marie se cache vraiment dans le regard d'Anna, voici en tout et pour tout un indice : Marie est ici et ailleurs. Elle n'est guère là où vous le pensez, c'est-à-dire devant la tribune de la plèbe. Comme l'Eternel annoncé par le prophète Isaïe, elle habite "dans un sanctuaire élevé et dans la sainteté" ; mais elle est "avec l'homme contrit et humilié, afin de ranimer les esprits humiliés, afin de ranimer les coeurs contrits" (Is, 57,15). La fin ouvre la voie à des interprétations diverses. Dans une démarche étonnamment inverse à celle de Luther ("sola fide"), Giannoli cherche à montrer que les oeuvres ont une importance supérieure à la croyance dans le mystère de la foi. Cependant il ne se contente pas de rester sur le seuil d'une foi purement agnostique. Comme son maître à penser Martin Scorsese (Silence, 2016), il admet qu'une force surnaturelle meut l'homme et le pousse à contempler des vérités invisibles. Ce franchissement de seuil est le bienvenu à une époque où la conscience populaire s'interroge sur sa propre vision de la foi : l'irréligion n'aurait-elle pas fabriqué des préjugés fallacieux érigés en dogmes sur la religion ? L'irreligion ne serait-elle pas une fausse religion ? Autant de questions passionnantes que le film soulève, sans bien sûr avoir la prétention d'y répondre, un peu à la manière de Scorsese, justement.