De retour derrière la caméra, après avoir réalisé le film-choc Collateral (2004), Michael Mann replonge dans le thriller policier, et plante le décor dans la ville de Miami, après avoir filmé avec une rare maîtrise la vie nocturne de Los Angeles. Miami Vice offre un
nouvel exemple du talent de ce maître du polar, où on y retrouve sans peine la même technique artistique, ainsi que quelques clins d’œil à Collateral (la scène d’ouverture dans une boîte de nuit, l’apparition furtive d’un loup…). Le film est l’adaptation cinématographique de la série télévisée Deux flics à Miami, programme culte des années 80 produit par Michael Mann, qui avait révolutionné les codes du genre en adoptant une manière de filmer très stylisée, aux dépens de l’histoire et de la profondeur des personnages. Le réalisateur s’éloigne toutefois de l’esthétique des années 80, tapageuse et colorée. L’adaptation cinématographique a permis d’actualiser et d’enrichir la série : « Un film interdit aux moins de 17 ans peut montrer bien plus de choses que la télévision. Nous nous sentions toujours un peu bridés au temps de la série, alors qu’aujourd’hui, nous pouvons restituer à nos personnages toute leur sensualité, et faire exister à l’écran les couples Crockett/Isabella et Tubbs/Trudy », dixit Michael
Mann. Ces deux couples vont s’ailleurs former la moelle épinière du scénario, plutôt alambiqué mais toujours mouvementé.
La technique de Michael Mann a peu changé depuis Collateral. Le réalisateur a notamment utilisé le numérique et tourné en haute définition les scènes nocturnes, de la manière inaugurée par Collatéral, avec le soutien de son fidèle collaborateur, le chef-opérateur Dion Beebe. Le rendu de la caméra est net, avec un grain plus marqué la nuit et des nuances « que la pellicule n’attrape pas » en temps normal (Chef opérateur, notes de production). La lumière acquière donc une place remarquable : bleutée et douce, elle distille une ambiance toute particulière soulignant le mystère et le danger latent de la jungle urbaine. La beauté de ce monde que nous croyons connaître, mais que le réalisateur rend trouble et inquiétant, est rehaussée par une profondeur de champ extraordinaire, qui laisse entrevoir les orages éclatant dans le lointain et les lumières des gratte-
ciel perdus derrière la nuque des personnages.
Michael Mann insuffle à son film, comme à tous ses précédents chefs d’œuvre, une tristesse diffuse, entraînant le spectateur dans une sorte de rêve éveillé. La tension reste palpable, entretenue par des scènes d’action brutes et extrêmes (dans le bungalow et sur les docks), et des moments de flottements, le tout porté par une bande-son choisie avec soin. La caméra évolue au plus près des acteurs et le plan d’après se perd dans l’horizon immense, au gré d’un montage aux enchaînements rapides et surprenants.
On assiste en réalité à une nouvelle démonstration du style Michael Mann : entre légèreté et menace, la caméra traque l’élégance dans l’action, le panache, transformant parfois l’image en pure abstraction (rendus flous, décors impersonnels, rapidité des bolides qui filent en un éclair dans la nuit). Les personnages évoluent vite, de façon fluide, avec une classe et une esthétique tout en
harmonie et flamboyance. Cette recherche du style constitue d’ailleurs le principal défaut de ce film : le scénario en est atrophié, sans réel attrait, le jeu des acteurs peut sembler passif, et Miami Vice tend à devenir une œuvre d’art purement formelle.
La vie de ces policiers qui à chaque instant se frottent à la mort permet à Michael Mann d’explorer une problématique qui lui tient à cœur, à savoir la question des frontières de la moralité, et des mouvances qui peuvent les affecter. L’épée de Damoclès qui pend au-dessus de la tête de ces agents infiltrés dans l’antichambre de la mort les conduit à des choix de pragmatisme moral, le seul souci étant la survie et la réussite de leur mission. La frontière entre le bien et le mal devient floue, au point que les deux s’interpénètrent, à la manière des deux personnages principaux, complémentaires au point de se passer de dialogue pour se comprendre, et jusque dans leur look (noir et blanc, coupe de cheveux…). Tous deux
sortent blessés de l’aventure, tous deux ont transgressé la morale pour se tirer des griffes de la mort et ont profité à cent à l’heure des opportunités qui leur étaient offertes (Crockett avec Isabella…), sans chercher à en mesurer les conséquences. S’entremêlent parfois les intérêts de leur mission et les leurs, et tout le problème consiste à tirer son épingle du jeu (Tubbs et l’enlèvement de sa femme Trudy…).
Ce réalisme noir est encore souligné par la quasi-absence d’humour et la crudité de certaines scènes (érotisme et violence). L’action est dure, le vacarme des armes assourdissant et leur effet dévastateur ; l’amour est filmé avec sensualité, et envisagé soit comme une passion fugitive soit comme une sorte de repos du guerrier, bref sans racine profonde et durable.
Miami Vice est donc un film résolument adulte, loin des classiques du cinéma policier, et somme toute il fait réfléchir, sur la valeur de la vie, l’importance des choix que l’
on prend, et sur la nécessité d’une morale à toute épreuve. Car la tristesse de ces personnages, la mélancolie présente dans ce film est sans aucun doute la cause du manque de repères, tant matériels que moraux, qui donne cette impression de tourbillon et de vertige dans lequel nos héros doivent bon gré mal gré évoluer.
Stéphane JOURDAIN
nouvel exemple du talent de ce maître du polar, où on y retrouve sans peine la même technique artistique, ainsi que quelques clins d’œil à Collateral (la scène d’ouverture dans une boîte de nuit, l’apparition furtive d’un loup…). Le film est l’adaptation cinématographique de la série télévisée Deux flics à Miami, programme culte des années 80 produit par Michael Mann, qui avait révolutionné les codes du genre en adoptant une manière de filmer très stylisée, aux dépens de l’histoire et de la profondeur des personnages. Le réalisateur s’éloigne toutefois de l’esthétique des années 80, tapageuse et colorée. L’adaptation cinématographique a permis d’actualiser et d’enrichir la série : « Un film interdit aux moins de 17 ans peut montrer bien plus de choses que la télévision. Nous nous sentions toujours un peu bridés au temps de la série, alors qu’aujourd’hui, nous pouvons restituer à nos personnages toute leur sensualité, et faire exister à l’écran les couples Crockett/Isabella et Tubbs/Trudy », dixit Michael
Mann. Ces deux couples vont s’ailleurs former la moelle épinière du scénario, plutôt alambiqué mais toujours mouvementé.
La technique de Michael Mann a peu changé depuis Collateral. Le réalisateur a notamment utilisé le numérique et tourné en haute définition les scènes nocturnes, de la manière inaugurée par Collatéral, avec le soutien de son fidèle collaborateur, le chef-opérateur Dion Beebe. Le rendu de la caméra est net, avec un grain plus marqué la nuit et des nuances « que la pellicule n’attrape pas » en temps normal (Chef opérateur, notes de production). La lumière acquière donc une place remarquable : bleutée et douce, elle distille une ambiance toute particulière soulignant le mystère et le danger latent de la jungle urbaine. La beauté de ce monde que nous croyons connaître, mais que le réalisateur rend trouble et inquiétant, est rehaussée par une profondeur de champ extraordinaire, qui laisse entrevoir les orages éclatant dans le lointain et les lumières des gratte-
ciel perdus derrière la nuque des personnages.
Michael Mann insuffle à son film, comme à tous ses précédents chefs d’œuvre, une tristesse diffuse, entraînant le spectateur dans une sorte de rêve éveillé. La tension reste palpable, entretenue par des scènes d’action brutes et extrêmes (dans le bungalow et sur les docks), et des moments de flottements, le tout porté par une bande-son choisie avec soin. La caméra évolue au plus près des acteurs et le plan d’après se perd dans l’horizon immense, au gré d’un montage aux enchaînements rapides et surprenants.
On assiste en réalité à une nouvelle démonstration du style Michael Mann : entre légèreté et menace, la caméra traque l’élégance dans l’action, le panache, transformant parfois l’image en pure abstraction (rendus flous, décors impersonnels, rapidité des bolides qui filent en un éclair dans la nuit). Les personnages évoluent vite, de façon fluide, avec une classe et une esthétique tout en
harmonie et flamboyance. Cette recherche du style constitue d’ailleurs le principal défaut de ce film : le scénario en est atrophié, sans réel attrait, le jeu des acteurs peut sembler passif, et Miami Vice tend à devenir une œuvre d’art purement formelle.
La vie de ces policiers qui à chaque instant se frottent à la mort permet à Michael Mann d’explorer une problématique qui lui tient à cœur, à savoir la question des frontières de la moralité, et des mouvances qui peuvent les affecter. L’épée de Damoclès qui pend au-dessus de la tête de ces agents infiltrés dans l’antichambre de la mort les conduit à des choix de pragmatisme moral, le seul souci étant la survie et la réussite de leur mission. La frontière entre le bien et le mal devient floue, au point que les deux s’interpénètrent, à la manière des deux personnages principaux, complémentaires au point de se passer de dialogue pour se comprendre, et jusque dans leur look (noir et blanc, coupe de cheveux…). Tous deux
sortent blessés de l’aventure, tous deux ont transgressé la morale pour se tirer des griffes de la mort et ont profité à cent à l’heure des opportunités qui leur étaient offertes (Crockett avec Isabella…), sans chercher à en mesurer les conséquences. S’entremêlent parfois les intérêts de leur mission et les leurs, et tout le problème consiste à tirer son épingle du jeu (Tubbs et l’enlèvement de sa femme Trudy…).
Ce réalisme noir est encore souligné par la quasi-absence d’humour et la crudité de certaines scènes (érotisme et violence). L’action est dure, le vacarme des armes assourdissant et leur effet dévastateur ; l’amour est filmé avec sensualité, et envisagé soit comme une passion fugitive soit comme une sorte de repos du guerrier, bref sans racine profonde et durable.
Miami Vice est donc un film résolument adulte, loin des classiques du cinéma policier, et somme toute il fait réfléchir, sur la valeur de la vie, l’importance des choix que l’
on prend, et sur la nécessité d’une morale à toute épreuve. Car la tristesse de ces personnages, la mélancolie présente dans ce film est sans aucun doute la cause du manque de repères, tant matériels que moraux, qui donne cette impression de tourbillon et de vertige dans lequel nos héros doivent bon gré mal gré évoluer.