Minuit à Paris

Film : Minuit à Paris (2011)

Réalisateur : Woody Allen

Acteurs : Owen Wilson (Gil), Rachel McAdams (Inez), Michael Sheen (Paul), Marion Cotillard (Adriana), Kathy Bates (Gert), Carla Bruni (Guide du musée)

Durée : 01:34:00


Un Woody Allen réussi, qui rêve de bohème dans un Paris fantasmé et questionne une relation de couple sans issue.

Environ un an après Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu (2010), on pouvait s'attendre au pire. Grâce à Minuit à Paris, Woody Allen démontre cependant qu'il est encore dans la course. Certes le Paris de Woody est fantasmé, mais le pari de Woody est fantastique : réussir à montrer une ville sans ses usagers surexcités, ses bruits de fond klaxonnés, son oxygène pollué et son art contemporain dégénéré... Parvenir à parer Paris de sa légende dorée, de ses brumes mystérieuses, de ses cafés intimistes, de ses artistes et de ses couleurs orangées :
la ville la plus filmée du monde (juste avant New York) s'est faite belle pour sa sortie, extirpant tout french bashing des ardeurs outre-atlantique.  «J’adore livrer au spectateur ma vision de Paris, s'épanche le réalisateur dans le dossier de presse. Tout comme je filme New York à ma façon, et que d’autres réalisateurs la filment à leur façon, un autre metteur en scène que moi donnerait de Paris une image très différente. Moi, ce qui m’intéresse, c’est de filmer cette ville, en y projetant les sentiments qu’elle m’inspire.» L'idée de traverser les époques dans les flancs d'une vieille Peugeot est originale, mais l'idée de faire dire aux contemporains de chaque époque que les temps d'avant étaient plus exaltants (Matisse rêvant par exemple de dessiner aux côtés de Michel-Ange) est beaucoup plus classique. Les premières images de Carla Bruni dénoncent un jeu d'acteur hésitant, mais les scènes suivantes sont correctement interprétées.

 

Sur le fond les nostalgiques de la vie de bohème pourront rêver à loisir, puisque Woody Allen masque les difficultés affreuses d'une telle vie : pauvreté, concurrence, violence, frustration de n'être pas reconnu, errances intellectuelles et sentimentales... Le cinéaste nous fait au contraire rencontrer les artistes dans le monde de la nuit, où l'alcool fabrique la bonne humeur et où les femmes n'ont d'autres préoccupations que de s'amuser pour le plus grand bonheur des chasseurs de coeurs.

 

Gil et Inez, notre « charmant » couple, ne s'entend pas dès le début.

Interprété par Owen Wilson qui réussit à faire oublier Bon à tirer, à l'affiche en même temps, le premier est écrivain, en crise d'identité, amoureux de Paris.  « Il me fait penser à cette vieille blague populaire à Hollywood, précise Woody Allen. Je me suis allongé au bord de ma piscine… et quand je me suis relevé, dix ans avaient passé.»

Sa femme, fort jolie au demeurant, est terre à terre, ne croit pas en sa plume et essaie
continuellement de (se ?) convaincre ses parents que Gil est fait pour elle. « Elle le soutient dans son désir de se remettre à l’écriture d’un roman – à condition que ça ne l’accapare pas jour et nuit. Mais je ne crois pas qu’elle comprenne qu’il s’agit du rêve de toute une vie, et elle se dit qu’il ne devrait pas y consacrer trop de temps.» (Rachel Mac Adams, in dossier de presse).
Raison contre passion peut-être, mais en partant du postulat que les deux s'opposent, ce qui n'est pas prouvé. Contre la seule folie la raison s'insurge, et ce n'est pas folie, quand on est scénariste, de s'essayer à la littérature. Inez est donc décourageante, et le contexte explique que Gil essaie de le fuir, en se réfugiant dans ses discussions tourmentées avec les artistes anachroniques : Dali, Bunuel, Lautrec, Hemingway, Fitzgerald, Matisse, Gauguin,
Degas, etc.

Pendant que son coeur essaie de capturer Adriana, une jeune fille fuyante qui finit par se réfugier au deuxième étage du passé façon Allen, rayon Belle Époque, sa fiancée Inez est volage. Elle s'entiche de son ancien professeur de faculté, rendu exécrable à souhait par le talent de l'excellent Michael Sheen, son mari hors caméra, dont la pédanterie et la suffisance comblent ses attentes. Le personnage d'Adriana est très travaillé. Pour Marion Cottillard :  «Adriana ne sait pas bien où elle en est et elle cherche sa place. Elle admire les artistes parce qu’ils sont libres et que leur imagination les emmène dans des contrées merveilleuses. Elle a besoin de rêver.» Mais pour Woody Allen le personnage est une vraie muse : «Il y a toujours eu ces femmes hors du commun que les artistes aimaient peindre,
ces femmes qui vivaient avec eux et qui leur faisaient beaucoup de bien. Adriana est non seulement adorable, mais elle est aussi très intelligente. Elle les inspire et les stimule intellectuellement, elle leur remonte le moral et les encourage quand ils en ont besoin, et elle n’hésite pas à leur dire parfois qu’ils se fourvoient. Dans la plupart des cas, c’est très enrichissant pour un artiste.»

Un couple sans avenir où personne ne fait d'efforts pour se comprendre, qui finit par éclater comme une bulle de savon au milieu d'un Paris imaginaire, qui n'existe pas et n'a jamais existé que dans l'imagination des romantiques transis, voilà ce que propose Woody Allen sur un plateau doré !

 


div>

Raphaël Jodeau