Molière

Film : Molière (2006)

Réalisateur : Laurent Tirard

Acteurs : Romain Duris (Molière), Fabrice Luchinni (Monsieur Jourdain), Laura Morante (Elmire), Édouard Baer (Dorante)...

Durée : 02:00:00



Faire un film sur Molière relève du projet ambitieux. Le théâtre de Molière est un monument de la littérature française dont les formes comiques, les matières satiriques et corrosives n'ont
pas vieilli. Sans risquer d'entrer dans une étude maladroite nous pouvons cependant rendre hommage à l'œuvre de Molière en répétant ce que Goethe disait : « Molière a corrigé les hommes en les dessinant dans leur vérité » (A. Eckermann, 19 janvier 1926).
 

Molière
ou le comédien malgré lui devait-il être une biographie, un film historique, anecdotique, ou encore une analyse de l'œuvre ? Le sujet se prêtait à une foule de possibilités ; le réalisateur, Laurent Tirard (Mensonges et trahison), a choisi la fiction. Il est parti d'une idée, aujourd'hui remise en cause, selon laquelle Jean-Baptiste Poquelin aurait disparu pendant plusieurs mois après s'être fait jeter en prison par ses créanciers. Le film n’a donc d’historique que le contexte. Il n'est pas non
plus le fruit d'une admiration particulière pour l'illustre auteur puisque Laurent Tirard reconnaît ne l'avoir découvert que très tardivement. Il s'agissait plutôt de faire une œuvre  "inspirée directement de son esprit et de son travail"* et de se débarrasser de son poids historique, faire fondre la statue de marbre et découvrir l’homme sensible, avec ses défauts et ses qualités. Molière est somme toute un portrait, ou du moins une tentative de portrait s'appuyant sur l'œuvre, les biographies et quelques anecdotes : « Ce film devait avoir l’esprit des pièces de Molière et en même temps, refléter notre point de vue sur lui ».* 
 

L'œuvre s'inscrit alors dans un genre assez classique de comédie costumée et finalement l'amoureux de l'auteur du Misanthrope, de Tartuffe ou encore du
Malade imaginaire ne recevra rien qui puisse nourrir sa passion. Le scénario donne l'impression d'une synthèse de l'œuvre de Molière en ressuscitant des personnages célèbres de ses pièces comme Dorante, Célimène, Monsieur Jourdain, Tartuffe... et en réchauffant les plats satiriques que nous avait concoctés Molière avec génie. Le but était de dessiner un portrait plus humain de Molière et le résultat n'est autre que l'esquisse incomplète d'un homme ordinaire. Ce n'est pas qu'il faille raisonner en termes de déception car le réalisateur est libre de tourner comme il l'entend sur le sujet qu'il veut mais il semble qu'au vu de ce qu'il aurait aimé accomplir la réalisation ne tient pas ses promesses. 
 
Le début ne manque pourtant pas d'être aguichant avec sa musique enjouée, son entrée en matière dynamique mais si le film commence en annonçant "il était une
fois Molière", le récit se poursuit dans un vaudeville sans prétention rythmé par quelques citations des illustres pièces.
 

La comédie n'est pas pour autant absente. Les dialogues sont travaillés dans un bon français et reflètent une certaine tradition théâtrale qui n'est pas désagréable surtout quand les mots sortent de la bouche d'un Fabrice Lucchini pour qui la diction de la langue française n'a plus de secret. Il parvient totalement à transcender son personnage, Monsieur Jourdain, moins sot qu'il n'en a l'air. Édouard Baer est fidèle à lui-même quoiqu'en petite forme, peut-être un peu trop serré dans un costume qui étouffe son irrésistible besoin d'improvisation. Quant à Romain Duris, notons avec humour qu'il fait bien le cheval... Le casting féminin est pertinent avec une Célimène maniérée et cynique (Ludivine Sagnier) tout à fait convaincante. Les genres
comiques se succèdent allant du comique de situation (Jourdain sous une table, le splendide vol plané de Molière) à la satire (surtout religieuse et bourgeoise), classique et sans surprise mais fonctionnelle.
 

Mais Molière cherche également à toucher. Simplement, les personnages ne parviennent qu'accidentellement à être attachants de sorte que l'alchimie ne prend pas. C'est peut-être le principal défaut de ce film : il lui manque un souffle, une certaine force lyrique. C'est en cela d'ailleurs que Molière, dont on se rappelle avec émotion des scènes comme la cérémonie à la fin du Malade imaginaire, n'est pas dans ce film et que son œuvre s'y trouve à peine. Si le métrage évoque bien le désir et le besoin qu'a Molière de dire certaines choses qui le touchent sans passer par la farce, l'émotion ne passe pas ni 
span>dans l'amour qu'il porte à Elmire ni dans la fierté qu'il place au théâtre. Si l'on ose la comparaison, Laurent Tirard échoue là où John Madden a manifestement réussi en réalisant son Shakespeare in love (1998). En effet, le lyrisme et le côté romanesque de ce dernier lui confèrent une puissance émotionnelle qu’on ne trouve pas dans Molière. Pourtant le scénario relevait également de la fiction, construit sur un parallèle entre la vie de l'auteur et Roméo et Juliette (forme que l'on retrouve d'ailleurs dans Molière). Mais une remarque s'impose d'emblée quand on regarde de près les histoires : rien dans le travail de Tirard n'est assez beau et assez pur pour produire un effet d’attachement ou de compassion. C’est en effet ce qui ressort lorsque l’on prête attention à la portée humaine du film.


Les choix scénaristiques n’étonnent plus guère provenant du cinéma français et l’on peine à trouver en quoi ce film « ne ressemble pas aux autres ».* Pour qu’une émotion passe, pour être édifié, ébloui, pour percevoir la beauté des choses et des êtres, il faut que le sujet porte en lui une certaine pureté, une certaine poésie. Or le contrat entre Monsieur Jourdain et Molière n’a rien de réjouissant même si l’intention de le justifier n'y est pas. Plus gênante encore est la relation amoureuse qu’entretiennent Molière et Elmire : mis à part le fait que Molière trompe celle qu’il dit aimer, sa relation n’est autre qu’une liaison adultère et irrationnelle. On espère jusqu’au dénouement le prononcé d’un avis sur ce point mais alors que Molière demande pardon à Elmire, celle-ci, mourante, le remercie d’avoir ouvert les yeux de son mari : une scène qui devrait émouvoir. Cependant le charme ne prend pas. On ne croit pas en la beauté de la situation : il y
a d’une certaine manière une sorte de mensonge à la fois moral et esthétique. L’amour de Shakespeare in love a peut-être un goût d’eau de rose, pourtant on veut y croire parce que le message et le contexte sont émouvants. Et la fin, sorte de statu quo ante, n’y change rien : le mal est fait, le linge blanc est taché, le tire-larmes est cassé.


Le tout n’est pas non plus vraiment rattrapé par les vieux poncifs comme le mariage forcé, l’hypocrisie, l’avarice, même si du temps de Jean-Baptiste Poquelin ces critiques avaient du poids. Le simple plagiat ne permet pas de faire un oeuvre dans l'esprit de Molière. Les films d’Agnès Jaoui et Pierre Bacri (Comme une image
font>, 2004, Le goût des autres, 2000, ou encore Un air de famille de Cédric Klapish en 1996)) sont probablement plus proches du véritable esprit de Molière, grâce à des critiques de moeurs trempées dans un humour acide.

Enfin, les attaques discrètes mais évidentes contre l’Église achèvent de donner à l’œuvre son caractère désinvolte, et même si Molière ne s’en privait pas, lui, au moins, le faisait avec esprit.


* Notes de production

Jean LOSFELD