Mon pire cauchemar

Film : Mon pire cauchemar (2011)

Réalisateur : Anne Fontaine

Acteurs : Isabelle Huppert (Agathe), Benoît Poelvoorde (Patrick), André Dussollier (François), Virginie Efira (Julie)

Durée : 01:43:00


Un film qui hésite tellement entre la comédie et le drame qu'il finit par s'y perdre. Le déchirement des familles est trop sérieux pour être hilarant, ce qui leste beaucoup la bonne humeur de l'ensemble.
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Il est assurément des comédies qui n'ont pas de chance. Le problème de Mon pire cauchemar est de sortir une semaine après Intouchables, qui n'a pas fini d'amuser le public. Benoît Poelvoorde, André Dussolier et Virginie Efira sont pourtant des routiers du genre, et le contraste saisissant avec la glaciale Isabelle Hupert aurait pu donner un mélange détonnant. Malheureusement il n'en est rien. La réalisation est d'une très grande sobriété, le scénario linéaire et prévisible, le jeu d'acteurs juste satisfaisant, les ressorts comiques un peu usés. Pourtant ce n'est pas faute d'avoir essayé : « Je n’avais abordé le genre qu’en partie avec La fille de monaco,raconte Anne Fontaine, où le dernier quart d’heure virait au drame psychologique, comme si je résistais à la comédie. Là, je voulais vraiment aller jusqu&
rsquo;au bout du parcours, et maintenir jusqu’à la fin une vision ludique »

L'idée de base est simple. Isabelle Huppert incarne Agathe, une femme surgelée désagréable avec tout le monde et particulièrement avec François, son mari, qui n'a droit qu'à très peu de faveur dans tous les sens du terme. Débarque alors dans le couple Patrick,un paumé apparemment très décomplexé qui jure comme un charretier, n'a aucune éducation ni aucune politesse et va, bien entendu, décrasser un peu tout ça. Anne Fontaine raconte comment l'idée a émergé de sa biographie : « Il y a quelques années, mon fils a ramené à la maison un copain qui semblait véritablement venu d’ailleurs. Mon fils l’avait intronisé son meilleur ami. Je m’interrogeais : comment se faisait-il que ce gamin paraisse si seul ? Tout
semblait mystérieux. Et puis, j’ai découvert son père. Un personnage extravagant, qui évoluait dans une grande précarité sociale, mais ne se vivait pas comme victime. Et j’ai commencé à me demander comment évolueraient les relations entre deux familles complètement différentes, que leurs enfants auraient rapprochées plus ou moins par hasard. »

Ce contraste entre l'aisance et la précarité va être vécue de façon marxiste par la réalisatrice : « Depuis Nettoyage à sec, mes sujets renvoient souvent à la lutte des classes, même si mes personnages ne sont jamais complètement déterminés et vissés par leurs origines. Mon pire cauchemar oppose sur un mode léger le snobisme, la culture et la maîtrise de soi (qui touche en l’occurrence à une certaine frigidité affective) à l&
rsquo;apparente grossièreté, le sans-gêne, toute une façon directe et brutale d’être au monde. »

Jusque là et le marxisme en moins, on n'est pas loin d'une comédie à la Veber sauf que le personnage de Benoît Poelvoorde, malgré tous les efforts de l'acteur, n'inspire pas la même sympathie. Non qu'on ne rit pas, parfois, mais les quelques gags amusants ayant été concentrés dans les quelques minutes de la bande-annonce du film, on gagnera aisément son temps en s'en contentant.

Les enfants des deux familles (ou assimilé en ce qui concerne Benoît Poelvoorde, qui n'essaye qu'à peine d'élever son garçon seul) s'entendant bien, Patrick est amené à fréquenter Agathe et François assez souvent d'autant que ce dernier, amusé par les facéties du « beauf » de service, lui a
demandé de faire des travaux d'aménagement chez eux. Et là, c'est le drame.

Ce beaucoup moins sympathique Patrick fait rencontrer à François une charmante jeune fille, incarnée par Virginie Efira, et l'encourage vivement à tromper sa femme, dont il parvient à son tour à conquérir le lit. Le spectateur devrait se dire que, de toutes façons, les deux bourgeois n'étaient pas heureux ensemble, mais la solution à ce problème ressemble furieusement à de nouveaux ennuis : la nymphe de François est une psychopathe écologiste, François et Agathe sont tellement chien et chat que la happy end du film est à peine crédible, et les garçons sont complètement satellisés autour de ce grand souk.

Alors que le public devrait s'attendrir devant la reconstruction d'une famille, il regarde, perplexe, ces pauvres âmes torturées s'
agiter sur l'écran, comme ces femmes-objets qui s'agitent dans les aquariums rêvés par Patrick et réalisés par Agathe à la fin du film.

Peut-être cette absence de rêverie est-elle due à la démarche paradoxale de la réalisatrice. Même si la réalisatrice s'en défend (« Je ne voulais pas faire une satire sur l’art contemporain et l’univers des bobos parisiens »), son film donne une vision bien négative des salons bourgeois de la capitale. « C’est un mélange entre mes observations dans la vie et mes rencontres pour écrire le scénario, explique-t-elle. Je connais bien le milieu de l’édition, d’où le personnage de François, le mari d’Agathe incarné par André Dussollier. Cela m’amusait que l’auteur star de sa maison d’édition soit un écrivain plutôt
médiocre. Ce sont des choses qui arrivent… J’ai aussi fréquenté les galeries d’art moderne, et, bien sûr, la très belle Fondation Cartier (dont les responsables nous ont laissé l’usage avec beaucoup de fairplay). » Elle met alors en scène un écrivain médiocre particulièrement fier de lui, mais ne parvient pas elle-même à s'extirper de ce milieu rabougri, dont la recherche de l'originalité détrompe le quotidien. Là voilà donc qui s'enflamme pour une œuvre centrale du film : « Quant à la photo en noir et blanc, qui joue un rôle déterminant dans la relation des deux personnages principaux, je tenais à ce que ce soit une «vraie» œuvre d’art, pas un accessoire de cinéma. C’est donc son auteur, Hiroshi Sugimoto, qui joue son propre rôle dans Mon pire cauchemar ! Il avait vraiment photographi&
eacute; Isabelle en train de regarder la pianiste, la photo que l’on voit à de nombreuses reprises dans le film. Cette image très particulière, cette spectatrice solitaire, cet «écran blanc qui n’est pas vraiment blanc», est comme une métaphore de la relation amoureuse entre Agathe et Patrick,de leur éloignement initial, du chemin qu’ils ont à parcourir pour se trouver... J’ai contacté Sugimoto en me disant que, s’il avait de l’humour, il accepterait peut-être d’apparaître... Il a d’ailleurs insisté pour «saccager» la photo de sa propre main, et dessiner lui-même le graffiti final. »

Mouais... Bien bobo tout ça !...

Comme pour ajouter à la déprime, les réelles améliorations des personnages ne sont qu'à peine suggérées par le film : on suppose que Patrick est
plus raisonnable sans en voir de preuve tangible, on devine qu'Agathe est moins glacée mais que c'est encore difficile, on espère que le fils de Patrick a cessé son trafic de puces de téléphone, qui lui a permis de faire accuser son camarade à sa place...

Cette ambiance cauchemardesque donne à cette comédie revendiquée des allures de drame, et derrière les quelques gags qui amusent un peu, se profile l'ombre menaçante d'une vacuité existentielle.

Entre rire et pleurer, le spectateur hésite, pour finir par ne faire ni l'un, ni l'autre...