Noé

Film : Noé (2014)

Réalisateur : Darren Aronofsky

Acteurs : Russell Crowe (Noé), Jennifer Connelly (Naameh), Emma Watson (Ila), Douglas Booth (Shem)

Durée : 02:18:00


Raconter l’Arche de Noé, il fallait du courage… Parce que c’est religieux ? Ou parce que les événements sont assez fous ? On pencherait plutôt pour la deuxième tendance : on ne voit pas, entre protestants et juifs d’Hollywood, qui serait allé cracher sur une telle initiative.
Là où il fallait oser, c’est conter le Déluge, l’Arche, le retour au calme avec une poignée d’hommes, le renouveau de la Terre…

Malheureusement, ça n’a pas suffi à Daren Aronofsky, auteur du (très) sulfureux (mais artistique) Black Swan. Il lui fallait plus, pour épater la galerie, ou en tout cas pour satisfaire sa créativité, qu’on ne saurait remettre en doute. Le bon Daren a donc voulu réinterpréter l’épisode biblique. On vous arrête tout de suite, vous qui attendiez une adaptation fidèle, il n’en est rien. Et c’est le plus grand regret en sortant de ce film spectaculaire.

C’est très simple : ce qui est inventé par le réalisateur vient chercher ses codes grotesques dans la culture pop-corn américaine. Des géants de pierre qui parlent, et sont presque sympas, ça rappelle Transformers… Pas un compliment quand on parle de la Bible. Comme quoi même un type qui semblait détaché de cet imaginarium de super-héros peut y dévier dangereusement…

Et pourquoi est-ce dommage ? Pour la tache risible que cela fait sur le reste du film, qui pour le coup, suit les Textes, tout en les romançant. Ce qui n’est pas inventé est excellent. L’arche, l’entrée des animaux, la Création même, sont présentés de façon assez époustouflante. On se régale sur ces séquences montrant le côté grandiose de l’Ancien Testament. Plans vertigineux, musique épique, casting émouvant, l’intensité et le spectacle sont les maîtres-mots, loin de la touchante simplicité d’une Passion du Christ de Mel Gibson (la Résurrection, par exemple, aucune fioriture, ici, c’est tout l’inverse). On se rapproche de la grandiloquence des Dix Commandements, mais avec pas mal de bourdes malheureusement.

On pourra débattre sur les interprétations tordues de Daren Aronofsky, qui réinvente parfois les choses à sa sauce, voire les transforme en petits délires personnels, faisant du personnage « le premier des écologistes » (dixit le réalisateur), si affligé par l’homme qu’il se demande si Dieu n’a pas voulu éradiquer par le Déluge la race humaine et préserver ainsi la Création.

Mais tout n’est pas delirium personnel, heureusement : le point le plus important par rapport à la Bible est l’attachement particulier qu’il voue à la Providence. Noé, en effet, sent que Dieu lui a confié une mission ; il lui faut accomplir la justice divine, d’un Dieu en colère contre les hommes, malgré les sacrifices immenses que cela implique. 

Mais Dieu peut-il demander le mal ? Fénelon disait qu’il irait en Enfer si Dieu lui demandait, principe de l’amour pur (à ne pas confondre avec la pureté, blanche, immaculée etc), ce à quoi Bossuet répondait que cela n’avait aucun sens, car Dieu, s’Il nous aime, ne peut nous demander de telles choses, puisqu’Il veut notre bien. En effet, l’amour n’est pas un don, c’est un échange.

Ainsi Noé se trouve dans le même dilemme qu’Abraham, à deux doigts de sacrifier son fils.
Lire la volonté de Dieu, comprendre ce qu’Il demande alors que son mode d’expression demeure flou et énigmatique, est un point central de ce grand spectacle, qui montre donc un aspect de réflexion. On voit bien la différence de l’homme qui crie vengeance contre Dieu, fermant son cœur au Créateur qui devient pour lui inaudible, fou de colère face à ce profond silence, et l’homme de Dieu, imparfait, donc suivant la volonté divine, mais pas à l’abri de l’erreur.

Loin d’en faire un Dieu vengeur et coléreux, à la grecque, Daren Aronofsky livre un Être tout puissant, appliquant fermement sa justice, mais surtout aimant, aimant les hommes bien plus que le reste de la Création, malgré les crimes de ses créatures.

Alors oui, on pourra se plaindre des inventions un peu ridicules, de l’« hollywoodisation » du récit biblique, mais on ne saurait enlever cette qualité qu’a le film de ne pas détourner la leçon de cet épisode immense.
Sans compter quelques idées assez géniales, pas toujours parfaites toutefois, sur d’autres épisodes, comme un passage de la Genèse, ou un parallèle entre la méchanceté des hommes et l’Enfer… En se rappelant les visions terrifiantes de la Bible dans certains ouvrages médiévaux, on peut relativiser quelque peu la surenchère apportée par l’auteur du film.

Seul regret, important toutefois, cette surenchère, justement. Inutile, car le reste est suffisamment époustouflant, et parfois stupide. Bien dommage, sans cela, ce Noé aurait pu devenir pour longtemps la référence du récit de l'Arche.