Réalisateur amoureux de la "stop-motion" (technique de capture d'image pour dessins animé), Wes Anderson nous a sorti en 2013 un long-métrage très surprenant filmé comme un théâtre de marionnettes avec de vrais acteurs : The Grand Budapest Hotel. Il redessinait avec humour les belles heures d'une institution hôtelière dans l'Europe centrale au début du XXe siècle. Il nous embarque cette fois dans une aventure en 2D au Japon sur une île imaginaire servant de dépotoir et d'exil à des chiens errants soupçonnés de propager un virus infectieux aux habitants de la ville de Kobayashi. Le film reçoit actuellement tous les honneurs en raison de sa créativité, de son casting de voix-off, de ses multiples références à de grands auteurs japonais tels que Kirosawa et Ozu. La musique du très convoité compositeur français Alexandre Desplat vient par ailleurs dramatiser cette histoire d'empathie autour de chiens victimes d'une forme de conspiration politique visant à museler leurs défenseurs, neutraliser les scientifiques trouvant une antidote au virus et naturellement supprimer tous ces chiens perçus comme des menaces pour l'humanité.
Narré sur le ton d'une contine amusante, L'île aux chiens met en scène une histoire aux accents très japonais : d'un point de vue artistique, c'est une belle réalisation. Par contre, le film est un peu victime de son paradoxe : son fil rouge politique est trop insistant pour intéresser totalement les enfants ; tandis que ses longueurs désarment un peu le public adulte. L'idée de véhiculer un message politique via le dessin animé s'avère plutôt judicieuse, par le fait qu'elle permet d'exprimer une opinion d'une manière aussi simple que compréhensible. Et cela tranche avec un certain nombre de thrillers politiques nécessitant un retournement du cerveau dans tous les sens pour en saisir l'intrigue. Ainsi Persepolis (de Marjane Satrapi) en 2007 évoquait avec humour la vie quotidienne des femmes iraniennes, leur rapport au régime politique et à la vie des autres femmes en Occident. L'humour cependant n'est pas le seul vecteur de prédilection pour les messages politiques. Dans L'île aux chiens, on recourt ici à l'empathie, pour stimuler chez le spectateur le désir de s'assimiler au jeune héros de l'histoire, un petit bonhomme qui se donne pour mission de sauver les chiens et de prouver à tous les citoyens qu'ils ont le droit de vivre en société au même titre que les hommes. Pas très difficile de reconnaître dans ces nombreux chiens incarcérés, jetés aux ordures et menacés d'une "solution finale", ces animaux victimes de maltraitance défendus par des associations remuantes promouvant l'"antispécisme".
L'antispécisme part du constat de la maltraitance des animaux pour en arriver au refus de distinction entre l'espèce humaine et l'espèce animale. Si vous revoyez la sympathique série d'animation Les animaux du Bois de Quat'sous (créée entre 1992 et 1995), avec ces fameux animaux qui parlent comme ceux de La Fontaine, vous verrez que le message écologique consistait seulement à l'époque à présenter l'homme comme un être mauvais qui pollue les rivières et brise les écosystèmes en construisant des routes goudronnées. L'île aux chiens nous montre 25 ans plus tard l'évolution du message écologique : il s'agit de montrer que puisque l'homme se conduit parfois comme un animal et que l'animal, par différents attraits, peut se révéler plus aimable que l'homme mauvais, il convient d'attribuer des droits équivalents aux uns et aux autres. Le choix de l'anglais comme langue des animaux est très révélateur de la personnalisation à outrance du chien dans ce film, puisque l'anglais utilise le pronom personnel pour les animaux et non le neutre : "him" ou "her" pour un mâle ou une femmelle, et non "it". La ficèle est bien sûr grossière, mais elle fonctionne grâce au mécanisme émotionnel : il n'est plus anormal de constater à la fin de l'histoire qu'un gentil chien peut bouquiner tranquillement à côté d'un gentil humain dans une bibliothèque. Mais au fait : un chien, ça lit ?!
Commentaires
La mise à jour du mythe du bon sauvage
Si je comprends bien la critique, l'antispécisme, c'est la version XXIe siècle du mythe du bon sauvage : le sauvage, ou le méchant, ou la brute, ou l'animal, n'est pas celui que l'on croit, le coeur, la tendresse et la sincérité ne sont pas où l'on penserait de prime abord, etc.
On peut dire ça
Oui, vous avez raison. Dans le détail, ce que vous dites serait plutôt à mon sens la conséquence de l'antispécisme qui est la négation de l'existence des espèces. Cela conduit effectivement à moderniser la culture du "bon sauvage", alors qu'au départ cette pensée repose simplement sur le constat de la maltraitance des animaux.