Paris

Film : Paris (2008)

Réalisateur : Cédric Klapisch

Acteurs : Romain Duris (Pierre), Juliette Binoche (Elise), Mélanie Laurent, Fabrice Luchini, François Cluzet, Albert Dupontel, Karin Viard…

Durée : 02:10:00



 

Malgré un scénario bancal, une réalisation soignée, un casting d’acteur français impressionnant par son ampleur et un accompagnement sonore adapté au sujet, jouent en faveur de ce film choral.


Le scénario de Klapisch entre dans le genre du film choral. Ce type de scénario est en vogue, notamment pour les films
parisiens (
Fauteuils d’orchestre de Thompson en est l’illustration même). Il offre une chronique sociale urbaine mettant en scène une multitude de personnages dont les vies se recoupent et dont les rencontres changent parfois leur destinée. Mais la trame de l’histoire est ici contrariée par une succession de portraits. Le fil conducteur dramatique de la narration (Pierre et sa maladie) est distillé. En effet, la multiplication de petites intrigues sur les Parisiens noient le peu de séquences consacrées à la prise de conscience de la mort par Pierre. La tension dramatique en est affectée. En ce sens, il est presque suffisant de visionner la bande-annonce, un concentré du fond du film. La proportion des passages directement liés à Pierre par rapport à celle des intrigues parallèles y est plus équilibrée. Par ailleurs, pour pallier l'éparpillement du scénario, les pièces du puzzle s’assemblent de façon trop visible. L’évidence des métaphores est parfois même grossière : la diversité de l’origine des fruits disposés côte à côte à Rungis, soulignée par le maraîcher, renvoyant à celle des Parisiens cohabitant dans la Ville Lumière... « J'ai voulu dire que Paris est une ville plurielle et que tous ces personnages de races et de milieux différents font qu'elle existe* » expliquera le réalisateur.

Au niveau de la réalisation, Paris est une compilation de supports divers. Archives de film amateur (Pierre en représentation au Moulin Rouge), de séquences en
images de synthèse (le rêve de l’architecte), de plans oscillant entre fixité et mouvement (prises depuis le métro, les voitures…) sont enchevêtrés. Les panoramas de la capitale sont filmés via un objectif anamorphosant ; « le choix du format nous a beaucoup aidés. Tourner en cinémascope permet de sublimer le réel* » souligne Klapish. Ce dernier a effectivement réussi ainsi à concentrer l’héritage architectural parisien dans ses caméras. L’ensemble de ces techniques renforce le caractère choral du film. Le montage est fluide et minutieux. Il fonctionne notamment par raccords analogiques, à l’instar de cette prise de vue d’un défilé de mode de Jean-Paul Gaultier prolongeant les réseaux électriques que suivent les maraîchers parisiens... Les jeux de dégradés de gris, symboles de la grisaille parisienne sont omniprésents. Seules quelques touches de couleurs viennent trancher comme les étalages de marchés et les halles « ventre de Paris ». Enfin, un travail de clair-obscur est mis en
oeuvre. L’appartement de Pierre, dont il ne sort quasiment pas, est très sombre contrairement à la luminosité de la rue. Dans ce lieu, quand le sujet de la mort est abordé, les visages des acteurs sont éclairés par des rayons de la lumière du jour. La silhouette générale reste au contraire dissimulée dans le noir. Le parallèle entre l’homme malade à l’intérieur et l’homme vivant à l’extérieur est marquant.

« Je n’ai fais que des films urbains * », souligne Klapisch. Or, cet habitué des tournages dans les grandes villes européennes (Barcelone pour L’Auberge espagnole, St Petersbourg pour Les Poupées russes...) a déjà filmé Paris. Mais la vision de la capitale est pour la première fois chez Klapish une vision d’ensemble. En effet, après avoir montré des spécificités de Paris dans ses premiers longs métrages (le Paris du luxe et des grands magasins dans Rien du tout, le Paris de la Bastille dans Chacun cherche son chat...), Klapisch s’efforce de réaliser un quadrillage de Paris intra-muros : Ménilmontant, Rungis, le Père Lachaise, le Moulin Rouge, la Butte Montmartre, la Tour Eiffel, la Sorbonne, le Palais Royal, les Catacombes, les plus célèbres cafés et brasseries parisiens comme l’Écritoire... Là encore, la réalisation va dans le sens du film choral. Il s’agit de montrer le Paris des multiples facettes à la fois à travers les personnages mais aussi les lieux de tournages. Un Paris historique, incarné d’une part par le personnage de Luchinni, spécialiste de l’histoire parisienne en poste à la Sorbonne et d’autre part par les Catacombes. Un Paris moderne, en mouvement permanent, symbolisé par Cluzet en architecte visionnaire dont l’appartement surplombe le quartier de Tolbiac
actuellement en construction. Un Paris contemplatif avec la possibilité de prendre du recul tel Pierre à sa fenêtre et tels les plans sur les hauteurs de Montmartre, de la Tour Eiffel ou Montparnasse. Un Paris dynamique, c’est-à-dire le Paris des maraîchers et celui des mannequins...
Le casting rentre aussi dans cette logique de film choral avec de nombreux acteurs ayant fait leur preuve dans le cinéma français. Pour la sixième fois (sur neuf longs métrages à son actif), Klapish offre un des rôles principaux, celui de Pierre, à Romain Duris. C’est pour ce dernier l’occasion de se défaire de l’étiquette de Xavier, l’étudiant erasmus insouciant de
L’Auberge espagnole, en jouant un rôle grave... Juliette
Binoche en sœur exemplaire, Fabrice Luchinni en professeur rajeuni, Karin Viard en boulangère raciste, donnent successivement la réplique à Albert Dupontel, François Cluzet ou encore Mélanie Laurent... Le film est accompagné d’une bande originale mélancolique soigneusement choisie ; on notera, entre autres, la première gnossienne d’Eric Satie. Ils sont en plus ponctués par des bruitages humains, intimes rappels de la vie : battements de cœur, souffles coupés...

 

Paris n’offre à la question de la vie et de la mort qu’une réponse éphémère, faisant fi de toute recherche existentielle.

Pierre, en proie à l’angoisse de la mort, cherche un sens à la vie face à la solitude éprouvée. Cette solitude est destructrice chez Klapish. De Tomasi dans Le Péril jeune à Pierre dans Paris, en passant par le Xavier des Poupées russes, la solitude apparaît assurément comme le plus grand mal de l’homme. L’isolement physique de Pierre renforce cet aspect. Seul le lien social le plus fondamental - le lien fraternel de Pierre et Elise - perdure, et le fait tenir. Le film soulève alors le hasard et l’insolite des rencontres qui ponctuent la vie humaine et qui,
ainsi, participent à des moments de bonheurs temporels. Mais la réponse qu’il trouve à son mal-être est uniquement cette réponse éphémère. Klapish le dit lui-même : « Je pense que le message c’est Carpe Diem* - cueille le jour. » Traiter un sujet aussi grave que la mort peut être fait avec légèreté et poésie, si on n’en oublie pas l’essentiel.

En effet, étonnamment, Pierre, l’homme au regard neuf, fait fi de toute question existentielle. Nulle part l’existence de Dieu n'est soulevée. Pierre est transporté par un profond sentiment de nostalgie. S’appuyant sur de partiels moments heureux, il éprouve la beauté de l’existence. Mais Klapish s’arrête là dans sa manière d’aborder la mort. Aucune interrogation sur l’essence même de cette beauté ne s’impose à Pierre. Il constate, admire, mais n’est
pas dans une démarche de recherche à part entière. Or, il apparaît difficile de croire qu’un homme qui a le temps de se préparer à la mort n’entreprend aucune démarche spirituelle. Tel est le portrait de l’homme que dresse Klapish dans l’ensemble de son œuvre cinématographique, et dans
Paris en particulier : un portrait désespérant, caché par un optimisme apparent et illusoire, ou la raison de vivre n’est que le fruit de moments de bonheurs éphémères de l’existence.

* style="font-size: small" class="Apple-style-span"> in Notes de production

 

Emily ROWE