Pas son genre

Film : Pas son genre (2013)

Réalisateur : Lucas Belvaux

Acteurs : Emilie Dequenne (Jennifer), Loïc Corbery (Clément), Sandra Nkake (Cathy), Charlotte Talpaert (Nolwenn)

Durée : 01:51:00


Adapté d’un roman, Pas son Genre est la confrontation dans un amour adolescent, de deux personnages que tout oppose.
Il est prof de philo, elle est coiffeuse. Il aime lire, réfléchir, jouir aussi (un peu primate pour un philosophe), elle aime danser, rire, danser aussi …
Ils ne sont absolument pas sur la même longueur d’ondes. Les deux essaient de concilier l’inconciliable.

Ils sont différents à tous points de vue, y compris culturel, le parisien, la provinciale, l’intello, la terre-à-terre.
Et surtout, le cartésien qui ne croit en rien, doute de tout, et se révèle donc extrêmement lâche à croire en ce qui n’est pas palpable, comme l’amour … Par philosophie ? L’intuition féminine (pas la mienne) répond : par lâcheté, tout court. Ainsi, sous de hauts prétextes spéculatifs, monsieur est l’image parfaite de l’individualiste égocentrique, incapable de la moindre empathie, de se mettre à la place de ceux, plutôt de celles qu’il fait souffrir.
Il vient, jouit, et quand ça dérape, il se laisse mettre à la porte, sans réagir. Totalement indifférent. Un cœur endurci.

L’amour entre les deux tourtereaux ne marche pas pour tellement de raisons … Ils ne partagent rien, on l’a vu ; mais on a affaire à un drôle de type qui considère, malgré ses discours, que les autres sont des produits consommables, d’agréables passe-temps.

Car c’est bien pour passer du bon temps qu’il joue avec les espoirs, les rêves, les envies, les sentiments des autres. Il est l’auteur d’un essai, « De l’amour et du hasard ». On aura compris le clin d’œil à Marivaux, même si le titre le plus proche de la morale du film serait celui de Musset, On ne badine pas avec l’amour.

Le problème est donc plus grave que le fait de ne pas être « le genre » de l’autre. Des efforts sont consentis, y compris par le bonhomme, et surtout par la gentille fille pas très futée, mais remplie de bon sens. Libre par la pensée avec la philo, le jeune homme ne l’est pas avec son corps manifestement : celui-ci semble commander autrement plus que sa sacro-sainte Raison.

Mais si le film lui-même pointe clairement du doigt les hics de leur relation, il oublie peut-être celui, assez peu négligeable, qui les a fait coucher ensemble le plus vite possible. Le petit prof trouve même la fille « gamine » de ne pas se laisser consommer sur le champ (principe du fast -food). Pourtant, peut-être vaut-il mieux être fleur bleue et un peu plus digne, qu’avoir une morale de bonobo. Bref, les ravages sont prévisibles.
Dommage d’ailleurs, pour le bonheur de ces deux personnages très bien joués. Pardon d’ailleurs de paraître faire du favoritisme, mais Emilie Dequenne a le mérite de donner vie à des dialogues qui mériteraient parfois (pas toujours heureusement) de figurer dans un sketch des Inconnus sur le cinéma français. Pourtant, si je puis me permettre, mais afin de vous assurer de ma totale objectivité, elle n’est pas mon genre.
Dommage ensuite que les événements soient prévisibles, pour la plupart, ne serait-ce que pour ne pas s’ennuyer.

Contrairement donc aux fantasmes sociaux de quelques lèche-bottes de la pensée unique habituels (qui critiquent pour vivre, alors qu’à l’écran on vit pour critiquer !), le film ne véhicule absolument pas un message égalitariste, invitant les intellos à se décoincer, à montrer que les fameuses barrières sociales sont surmontables etc etc.
Le réalisateur lui-même le souligne, il ne s’agit pas de différence sociale, mais de caractères différents. Comme dirait la future belle-mère de Georges de la Jungle à ce dernier dans un dialogue d’anthologie, « dans la nature, il y a les rayures, et il y a les taches ; or ma fille est une rayure, et vous vous êtes une tache ! ». Sauf qu’ici, la tache, il semblerait que ce soit le plus intelligent … Et paradoxalement (ou pas, puisque la philo qu’il adopte l’éloigne du réel), il s’avère inadapté, c’est un véritable « handicapé de l’amour », pour reprendre l’expression explicite du réalisateur (Lucas Belvaux).

Pas son Genre est volontairement très réaliste, plus vrai que nature souvent, pas toujours, car comme dit précédemment, quelques dialogues pèchent, ainsi qu’un ou deux seconds rôles, qui arrivent à dire leur seule phrase du film aussi mal que quelqu’un qui ne connaît rien des méthodes d’acting (cf scène d’ouverture).

On rit parfois, mais l’ambiance générale n’est pas du tout celle de la comédie. On ressent un malaise permanent, à cause de cette relation mal partie.
La forme est expédiée, sans personnalité ; seul point positif, les plans rapprochés, qui captent de très près les expressions des personnages. Et ce sont eux, finalement, les plus intéressants. L’histoire est banale, la réalisation encore plus, la musique, je ne me souviens même pas en avoir entendu en dehors des karaokés de la jeune femme … Du réalisme, dira-ton. L’avantage en effet, c’est que l’histoire des deux semble authentique.

Mais va-t-on au cinéma pour s’ennuyer devant un miroir ? La réalité, pourquoi pas (c’est d’ailleurs
mon genre, au cinéma), mais, sous un angle original, étrange, parlant, Taxi Driver quoi ! Enfin bref. Lucas Belvaux est habitué des petits drames ordinaires, des polars aussi, ce qui est en général plus amusant …

Un film qui n’innove pas vraiment, la collection des drames sentimentaux français s’allonge. Mais il a tout de même le mérite d’avoir campé deux personnages fouillés, complexes, vrais, et d’avoir permis à une actrice, Emilie Dequenne, de me faire oublier que Marion Cotillard aurait été parfaite pour le rôle.