Pattaya

Film : Pattaya (2014)

Réalisateur : Franck Gastambide

Acteurs : Franck Gastambide (Franky), Malik Bentalha (Krimo), Anouar Toubali (Karim le nain), Ramzy Bedia (Reaz), Gad Elmaleh (Le Marocain), Sabrina Ouazani (Lilia)

Durée : 01:37:00


Il suffirait d'une image et de deux mots pour qualifier cette nouvelle tache dans le cinéma français.

Une image ? Celle, copieusement reproduite en fin de générique, de Malik Bentalha expulsant par l'anus un déluge de matière fécale sur l'écran entier.

Deux mots ? « Au secours ! » qui tournait en boucle dans ma tête lors du pénible visionnement de cette bouse qui, vous l'aurez compris, n'a pas de bouseux que le nom.

Au secours, disais-je, parce que ce film caricature avec une précision déprimante le triste destin des jeunes de nos quartiers populaires. Krimo et Franky, les deux tristes sires faisant office de protagonistes, veulent aller à Pattaya. N'allez pas chercher dans cette quête un glorieux idéal ! À Pattaya l'objectif est de se faire oublier de la société française en se faisant « sucer », d'échapper au triste quotidien pour mieux se vautrer dans celui de l'argent, du sexe, de la violence qui, il faut croire, est certainement plus édifiant. Les moyens les plus vils s'ordonnent tous naturellement à cette fin rocambolesque. Les deux compères mentent à leur ami raisonnable (musulman, propre sur lui, homme de principe) et lui promettent un voyage à la Mecque alors qu'ils l'ont inscrit à un combat de nains, motif officiel du périple.

Une fois là-bas, les mésaventures s'enchaînent et les entraînent jusqu'au bout de l'abject. La vulgarité est omniprésente. Les adolescents venus s'entasser dans la salle de cinéma découvrent ainsi qu'à Pattaya les filles ont des « couilles », que les racailles de grands chemins sont les rois du pétrole, que les grosses sont des « bons plans », que la prétendue amitié entre potes n'exclut pas de leur mentir, de les filmer aux toilettes, etc.

J'entends déjà les panégyristes du genre me crier que je n'ai rien compris au second degré.

Allez, détrompons-les un instant.

Ce film, c'est entendu, est une caricature. Manifestement personne n'y est capable d'enchaîner ce que notre éducation nationale appelle des « phrases complexes » ; les filles des cités, en l'unique spécimen interprété par Sabrina Ouazani, sont brutales et superficielles. On retrouve la ligne initiée par le précédent opus de Franck Gastambide, Les Kaïra, qui avait déjà brossé un portrait cinglant des jeunes des cités.

Ici on va un peu plus loin. La culture populaire est volontairement griffée : L'île des gros parodie L'île de la tentation (mais avec des gros), Enquête abusive tacle Enquête exclusive, bref, les allusions sont assumées.

Sauf que comme dans Les Kaïra, les héros qui font n'importe quoi sont sympathiques et transgressifs (ce qui les rend encore plus sympathiques). L'adolescent abruti qui rit aux blagues ne comprend même pas que c'est de lui dont on se moque. Ce sont ses codes, ses modes d'expression, sa culture et, malheureusement, son humour. Comment dès lors imaginer un seul instant qu'il va prendre de la distance ? À Versailles, Maubeuge, Rosny-sous-Bois, les « jeunes » ont vandalisé le cinéma et blessé des employés. Si l'on juge l'arbre à ses fruits, on doit reconnaître que ceux-ci sont amers, et en tirer des leçons. Dans un monde où la jeunesse cherche ses repères, on lui montre de « bons musulmans » qui se dépravent, on se moque ouvertement et sans aucune charité du nanisme, on ridiculise les personnes obèses. Ces enfants d'immigrés, pleurnichant sans cesse contre l'exclusion et les préjugés, rangent soudainement leurs principes pour se déchaîner (car il s'agit bien de cela) sur des catégories sociales en souffrance. Pour ce faire, le scénario emprunte aux nouvelles comédies. Un peu de found footage, beaucoup de têtes ahuries devant les situations imprévues et explosives, et un burlesque que Molière se serait pour l'essentiel empressé de renier.

Scénario, mise en scène, émotion… Tout est au rabais. De toutes façons la cible du film, le public de jeunes crétins, ne comprendrait pas.

Culture et contre-cultures, écrivait Jean-Louis Harouel quand il dénonçait la culture de masse. Assurément, nous ne sommes pas dans la culture. Est-ce vraiment ce que nous voulons transmettre aux générations à venir ?