Perhaps Love

Film : Perhaps Love (2005)

Réalisateur : Peter Ho-Sun Chan

Acteurs : Takeshi Kaneshiro (Lin Jian Dong), Zhou Xun (Sun Na), Jacky Cheung (Ni Wen), Jin-hee Ji (M. Loyal)…

Durée : 01:47:00


Le genre de la comédie musicale s'est endormi pendant une quarantaine d'année en Chine et c'est avec surprise que nous recevons Perhaps Love. Le cinéma chinois s'inspirant beaucoup d'Hollywood (comme le rappelle quelques dialogues pertinents du film), la
crainte unanime était de retrouver un deuxième Moulin Rouge (Baz Luhrmann, 2001) ou un Chicago (Rob Marshall, 2003). Quelles que soient les pages que l'on parcourt sur internet ou dans un quotidien (et celles-là ne font maintenant pas exception), cet a priori plane. La comparaison est humaine et le nombre des comédies musicales étant relativement réduit, elle est même nécessaire. Cependant ce serait faire preuve de beaucoup de cruauté que de noyer cette tentative chinoise dans le bassin noirâtre de nos préjugés.

Peter Chan, avec ses soucis de réalisateur et de producteur, a souhaité réveiller un genre que les Chinois ont oublié tout en racontant une histoire d'amour, son sujet de prédilection : "Chacune de mes œuvres parle de relations humaines parce que je sais que c'est ce que je fais le mieux, et c'est aussi ce que j'aime*." C'est d'ailleurs pour ça que le côté musical perd un peu d'importance et que le réalisateur définirait son film comme étant une histoire d'amour sur fond de
comédie musicale*. La nuance est de taille car on ne peut passer à côté de la dualité de cette œuvre : la comédie musicale est signe de divertissement populaire et de légèreté, mais Peter Chan a voulu donner toute sa force, toute sa crédibilité à son drame amoureux. C'est pourquoi Perhaps love évolue avec une double personnalité : "J'ai tenu à ce que les passages dialogués soient extrêmement différents de la partie musicale. La partie dramatique est réaliste et pas l'autre*." Entre réalisme et fantaisie l'équilibre n'est pas une partie de plaisir même si le genre peut se prêter plus facilement à ce dualisme. Si le risque était de bousculer l'unité de l'œuvre, la réalisation est relativement convaincante.

D'un point de vue purement musical, Perhaps Love n'a rien de révolutionnaire et emprunte largement aux poncifs du genre. Cela n’atténue nullement son efficacité et son charme. Très varié, le film passe du  lyrique au music-hall, du chœur au solo, des tonalités orientales aux
tonalités typiques chinoises, d’une valse à un tango qui n’en serait pas un selon Peter Chan (Interview sur Dvdrama). Quelques originalités demeurent cependant dans les thèmes comme celui de l’eau, voix grave a capella dont l’ambiance étouffante est soutenue par un son bouche fermée.  Les chanteurs sont quant à eux assez convainquants avec une mention toute particulière pour Jacky Cheung (Nie Wen) qui parvient à faire passer beaucoup d’émotion et Zhou Xun (Sun Na). Les chorégraphies pleines de sens orchestrées par Farah Khan (Shakti de Krishna Vamsi, 2004) sont soignées et s’harmonisent agréablement avec la musique. Classique et original à la fois, Peter Chan a réussi, dans une certaine mesure, à faire ce qu’il voulait : une comédie musicale.

L’autre versant de l’œuvre est le réalisme et il se rapproche plus de ce que Chan a déjà pu réaliser (Chez nous dans Trois histoires de l’au-delà, 2002). Les couleurs se délavent, la neige se fait plus dense, l’atmosphère se fait plus froide, la relation
amoureuse triangulaire est pesante, sérieuse. Le sujet n’est pas nouveau : la jalousie, la vengeance, la haine, l’amour, l’abandon sont les constantes du genre, mais le montage parallèle parsemé de flashbacks donne à l’œuvre le rythme et le souffle dont elle avait besoin. Comme souvent en Asie, le récit n’est pas linéaire et c’est tant mieux car l’ennui pourrait facilement s’immiscer. La séquence où Lin (Takeshi Kaneshiro) souffre d’insomnie et se laisse couler dans la piscine est particulièrement virtuose : le découpage très dynamique projette littéralement le spectateur docile dans le tourbillon de l’esprit tourmenté de Lin. De manière générale la caméra allie souplesse et poésie, suit le mouvement et le provoque, se veut intimiste par ses gros plans et possessive par son cadrage pour donner enfin une impression de liberté et impliquer au maximum le regard. La photographie de l’image dirigée par Peter Pau (Tigre et Dragon de Ang Lee, 2000) et Christopher Doyle (In the mood for love de Wong Kar-Wai, 2000)
achève de frapper l’esthétisme de Perhaps Love du sceau qu’il mérite. Du spectacle ? Sans nul doute. De l’art ? Pourquoi pas… Quand on est producteur et réalisateur on peut se le permettre. En tout cas, charger ce film de copie du Moulin Rouge serait de la paresse intellectuelle ou de l’absentéisme dans les salles de cinéma. D’ailleurs Peter Ho-Sun Chan s’en défend à juste titre car en tant que réalisateur il lui semble "qu'ils n'ont rien à voir l'un avec l'autre, si ce n'est le fait que ce sont deux comédies musicales. L'ambiance de Moulin Rouge est irréelle alors que celle de Perhaps Love est très réelle." (Interview sur Dvdrama).

Les rouages d’un bon drame amoureux sont les mêmes en comédie musicale qu’au théâtre, et ce quelles que soient l’époque et le lieu. Ce qui fait souffrir c’est d’aimer unilatéralement et la jalousie implique une troisième personne qui, elle, a le droit d’être aimée. Mais il y a plus que de la jalousie dans cette comédie, il y a la possession. L’une des scènes les
plus importantes selon Peter Chan* est celle où le réalisateur dit que Sun Na lui appartient, clef qui explique pourquoi Ni Wen est brisé. Il y a donc une double relation : une sorte d’amour ambigu et un lien professionnel. Les deux hommes sont simples dans leurs intentions mais souffrent tous les deux des caprices d’une femme. Sun ne voit que sa carrière s’est progressivement enfermée dans une indifférence totale oubliant jusqu’à son passé. La séquence musicale Song of fate illustre bien cette conception matérialiste de l’amour. L’amour n’est qu’un outil raisonne sur une musique et une chorégraphie à la Chicago des plus sensuelles, cauchemar de Lin Jian Dong.
 
Perhaps Love manque cependant de caractère, de profondeur d’analyse si bien qu’on ne se sent pas très impliqué dans les choix de chacun des protagonistes. L'amour peut-être... cette love story est finalement une loveless story, la fin étant assez significative. Les réflexions sur le passé et l’avenir sont plus intéressantes, l’
importance du souvenir, l’appât de la célébrité… Peut-être un peu trop formaliste, l’œuvre de Peter Chan passe légèrement à côté de l’intensité dramatique qu’il voulait malgré le jeu solide des acteurs. Aucun personnage n’est finalement pur : Sun s’est forgé un cœur d’acier, Lin n’a vécu que dans la tristesse pendant des années (la scène où il essaie d'embrasser Sun de force est assez inquiétante), Ni Wen est dépassé. Pourtant le message est globalement positif puisque que le film ne force pas à prendre parti et ce qui ressort c’est justement l’absurdité de telles relations sans pour autant pousser aux extrémités comme dans le secret des poignards volants (Zhang Yimou, 2003). Cette comédie musicale destinée au grand écran et au grand public atteint un degré artistique satisfaisant mais offre une réflexion somme toute superficielle sur les rapports humains.

* in notes de production


Jean LOSFELD

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