Pirates des Caraibes: La Fontaine de Jouvence

Film : Pirates des Caraibes: La Fontaine de Jouvence (2011)

Réalisateur : Rob Marshall

Acteurs : Johnny Depp (Jack Sparrow), Penélope Curz (Angelica), Ian McShane (Barbe Noire), Kevin McNally (Joshamee Gibbs), Astrid Berges-Frisbey (Syrena), Sam Calfin (Philip Swift) et Geoffrey Rush (Hector...

Durée : 02:20:00


Un vaisseau quasi-monstrueux, des sirènes tellement enchanteresses qu’elles semblent réelles, on est entraîné dans une aventure trépidante où légendes, fourberies et défis lancés à la mort donnent un peu le tournis.
Entre Londres, Cadix et… les Antilles, entre jungles, îles sablonneuses et mers déchaînées, ce film d’aventure sélectionné (hors compétition) au Festival de Cannes, entraînera les spectateurs dans un périple en premier lieu géographique, dans un voyage, tout à fait représentatif du film d’aventure. Mais loin de s’en tenir à une découverte de nouveaux horizons terrestres, Jack Sparrow et ses compagnons voguent vers un monde légendaire : à la recherche de la Fontaine de Jouvence. Toute l'oeuvre est tendue, orientée, vers cette découverte qui constitue, il faut le dire, une apothéose bien réussie tant par le décor, que par la progression bien menée vers cette source magique. Ce mythe reprend vie : on pourrait parfois prendre ces tréfonds
de l’imaginaire humain pour une réalité !

 
Metteur en scène (Rob Marshal), scénaristes (Ted Elliot et Terry Rossio) et chef décorateur (John Myhre) se sont aussi surpassés dans une autre scène, à savoir l’épisode des sirènes. Inquiétantes, envoûtantes et enfin effrayantes. L’équipe a donné le jour à des créatures qu’on croirait une fois de plus réelles, tant leurs mouvements souples et silencieux donnent lieu à des ballets aquatiques enchanteurs et des prises d’assaut infernales. Est-ce si étonnant, quand on sait que Rob Marshall est le producteur et le chorégraphe de Nine et que John Myhre a reçu l’Oscar de la meilleure direction artistique pour ce même film ?
Enfin, tout ceci serait sans fondement, si les deux scénaristes n’avaient su recréer un monde flibustier captivant et pas si
éloigné de réalités anciennes. Tout d’abord, par rapport aux premiers épisodes, l’équipe a nettement réduit le nombre de squelettes, monstres et autres êtres du genre pour leur redonner leur juste place dans un contexte historique : les squelettes ne prennent plus vie. Ils restent ici des accessoires dont se servent les pirates pour effrayer leurs victimes. La plus notoire est bien la figure de proue du Queen Ann’s Revenge, idée tout à fait authentique. Barbe-Noire a bien dressé un squelette à la proue de son bateau ! On apprécie mieux ce qu’ont pu être les pirates antillais et même, paradoxalement, ce réalisme aide à se prendre au jeu des légendes. On ne peut qu’admirer le chef d'oeuvre de la reconstitution du vaisseau de Barbe-Noire par John Myhre, « véritable monstre des mers, un vaisseau massif, terrifiant et redoutable qui reflète la vision sombre que Barbe-Noire se fait de la vie… et de la mort » (Dossier de Presse).

> Il n’en reste pas moins que le macabre est quasi omniprésent dans une ambiance souvent sombre et inquiétante, tant dans les tavernes londoniennes qu’au fond des jungles. Pas étonnant : les pirates bravent la mort. Mais ils  ont peur d’elle. Sinon pourquoi Barbe-Noire chercherait-il désespérément la Fontaine ? C’est ce que fait justement remarquer son ennemi juré Hector Barbossa (Geoffrey Rush). Ils jouent avec la mort, dans de nombreux combats, capes et épées obligent ! Bien plus ! Le mélange des genres met mal à l’aise : croix en pendentif et capitaines vêtus de cuir clouté façon gothique ne font pas bon ménage. Et pour cause, on parie et on s’amuse de l’interdit et du sacré. Ces esprits superstitieux à souhait ne se gênent pas pour ironiser à ce sujet. L’horreur et le désir effréné de liberté et de puissance, c’est dans la nature du pirate. Cela correspond à juste titre à l’image qu’on se fait de lui. A noter cependant : l’orgueil de ces hommes sans foi ni loi et
la méchanceté manifestée dans l’horreur et le macabre peuvent-ils être désamorcés par le comique ?
 
Jack Sparrow reste égal à lui-même. Depuis le dernier épisode, il n’a pas changé. Quelques mèches de ses cheveux sont plus délavées par le soleil et il a ajouté une dent en or à son dentier, indique la chef costumière, Penny Rose (Dossier de Presse). Il est l’âme de ces films, tout particulièrement de ce quatrième épisode. En effet les scénaristes ne se sont pas seulement inspirés du roman de Tim Powers : Sur des mers plus ignorées (1998). Mais ils ont aussi travaillé en étroite collaboration avec Johnny Depp.  « Sans lui le scénario serait complètement différent. Il connaît si bien le personnage de Jack Sparrow qu’il suffit d’écouter son instinct et ses idées », déclare Terry Rossio (Dossier de Presse). L’acteur et le personnage forment une
symbiose parfaite dans laquelle ils se confondent. Quel talent ! C’est pourquoi : « Le public ne veut pas qu’il change » (Rob Marschall, in Dossier de Presse). Son charme est hilarant. Ses maladresses ne font que cacher une habileté remarquable et un humour indestructible, quelle que soit la circonstance ! Tout ceci fait de ce capitaine un personnage fort sympathique.

 Néanmoins, ici aussi le mensonge et les défauts sont célébrés. La fourberie est à son comble, elle est un jeu tout à fait séduisant dans lequel on se perd parfois. Jack fait ainsi remarquer à Angelica : « Tu m’as menti en disant la Vérité » ! C’est bien le trait de caractère commun à ces deux personnages : ce jeu subtil qui constitue leur relation. Angelica le brigand, la femme sensuelle, en somme la manipulatrice ! Mais que se cache-t-il derrière le mensonge, ce masque leur colle-t-il à la peau, au point d'
étouffer toute grandeur chez ces deux personnages pourtant si sympathiques ?

Une question semblable se pose au sujet du terrible Barbe-Noire. Cet homme posé semble tellement rationnel ! Mais l’est-il vraiment ? En réalité il est fou de peur et de désespoir devant sa mort qu’il sait proche. Sa cruauté, sa méchanceté, bien plus monstrueuses que ses zombies, lui ont fait perdre la raison. Il incarne le tyran avide de pouvoir et sadique dont le royaume ressemble à un camp de travail forcé.
Tout au long du film, le spectateur est sans cesse invité à reconsidérer ces trois personnalités et leurs doubles visages. Bref, dans ce monde de fourbes, il ne faut pas se fier aux apparences, semble-t-il, et rester sur ses gardes.

Un rayon de clarté vient néanmoins réchauffer l’atmosphère parfois un peu
oppressante malgré l’humour de Sparrow. Le personnage de Philip Swift, le missionnaire idéaliste, dont on ne sait pas tout à fait s’il est pasteur ou prêtre. Fier et amoureux de sa foi, courageux jusqu’à l’héroïsme, c'est un personnage inattendu dans cette aventure et donc intéressant. Premièrement, représentant du monde des croyants, il constitue durant un moment un repère entre bien et mal. Il est le seul à dénoncer la monstruosité de Barbe-Noire. Ensuite, il cristallise quelques-uns des thèmes importants de ce film : l’amour et la générosité, la foi, le salut de l’âme humaine. En effet, son grand cœur se laissera séduire par une sirène qu’il sauve à plusieurs reprises. Un amour qui repose sur le don de soi au nom d’une religion.  Mais en plaçant sa bible dans la fente du cercueil de Syrena, acte généreux, courageux et salutaire pour la sirène, l'homme met le doigt dans un engrenage : il cesse peu à peu de se donner pour s’abandonner à une douceur plus attirante dont on ne sait pas
vraiment où elle le mène et si elle le perd. En tout cas, la morale de l’histoire, c’est que l’amour d’une femme vaut mieux que la foi.

Peut-on aussi parler d’amour entre Jack Sparrow et Angelica ? Sous ses airs de brigand charmeur, Sparrow a tout de même une conscience : au moyen d’une fourberie, dont il ne peut décidément se passer, il sauve la vie d’Angelica qu’il avait abandonnée des années auparavant en lui brisant le cœur. Amour là aussi fondé sur une générosité bien cachée, car Sparrow a du mal à se l’avouer et se méfie du charme de sa compagne. Du côté d’Angelica, s’il y a attirance, rien ne semble confirmer qu’elle l’aime. Ne fait-elle donc que l’utiliser pour atteindre ses fins ?
Ceci ne signifie pas qu’elle n’ait pas de cœur, pourrait-on protester. Angelica est toute concentrée sur le désir de sauver son père retrouvé de la vengeance de
Barbossa. Pour cela elle est prête à employer beaucoup de moyens. Elle voue un amour filial sans borne à son père pour qui elle est déterminée à mourir même lorsqu’elle s’aperçoit qu’il serait bien assez monstrueux pour la tuer. Elle voit sa méchanceté, mais une sorte d’instinct la garde fixée sur son objectif : elle est furieuse que Sparrow lui sauve la vie au détriment de celle de Barbe-Noire. Figure de l’enfant attachée à ses mauvais parents, elle présente une réalité dont on peut souligner le mystère. 

Tout particulièrement à travers Angelica le film aborde aussi le thème de la rédemption.
La rédemption étant, dans le christianisme, la plus grande preuve d'amour de Dieu pour les hommes, il est intéressant de découvrir les différentes approches que donne le film de l' « amour. »
>La première relation interpersonnelle est celle de l'amitié. Le pirate est peut-être drôle, sympathique, mais mauvais en amitié puisqu'il laisse pourrir le bon Gibbs (à ses côtés depuis le début de la saga) dans sa prison alors qu'il prétend l'apprécier. En réalité pas d'amitié possible pour lui en dehors d'une relation utilitaire (voir notre fiche à ce sujet)..
Le deuxième type de relation est l'amour. Compris comme un don de soi à quelque chose ou à quelqu'un, cet amour est incontestable pour l'argent et la Fontaine de Jouvence (pour laquelle tout le monde est visiblement prêt à tout sacrifier), mais beaucoup moins évident pour nos deux « tourtereaux pirates. » Chacun se sert de l'autre. Ils ne finissent pas le film ensemble, et les images projetées à la fin du générique ne laissent aucune ambiguïté sur la rancoeur d' Angelica à l'égard de Sparrow (qui l'a dépucelée au moment où elle s'apprêtait à prononcer ses
voeux dans un couvent. Quelle classe !) A une époque où personne ne se fait plus confiance dans les contrats, les entreprises et même les familles, ce type de relation est dans l'air du temps. Quant à s'y complaire, comme le font les protagonistes du film !..

Cette relation n'est pas celle qu'entretient le pasteur avec la sirène. Il l'aide, la chérit, la cajole, la défend, lui témoigne son affection, tant et si bien qu'il finit par la préférer explicitement à... Dieu (lui qui était si pieux) !
Du coup pas vraiment besoin de s'interroger, comme nous y incite le film, sur l'amour entre l'homme et Dieu. Après nous avoir seriné pendant tout le film qu'il fallait se convertir pour le salut de son âme, le seul qui défend continuellement cette conviction finit par tourner casaque. On pourrait bien essayer de se rabattre sur Angelica qui, entre deux félonies,
espère sauver l'âme de son pirate de père, mais comment espérer d'une menteuse congénitale qu'elle soit sincère ?

Bref il aurait fallu, pour rendre un pirate bon, une finesse cinématographique bien supérieure ! A moins que cette complaisance dans la moisissure humaine soit volontaire ?..  On y perd notre boussole !

Cécile Chavériat