Polisse

Film : Polisse (2011)

Réalisateur : Maïwenn

Acteurs : Karin Viard (Nadine), Joey Starr (Fred), Marina Foïs (Iris), Nicolas Duvauchelle (Mathieu)

Durée : 02:07:00


La violence psychologique importante de ce film est montrée avec un réalisme bouleversant, brisant les tabous et cependant empreint de pudeur face à la misère. Une conception erronée de l'amour et l'instabilité de la vie sentimentale des héros est néanmoins quelque peu exagérée.

Comme tout homme, comme tout membre d’une société, comme tout citoyen, l’artiste a le devoir de dénoncer les désordres dans la communauté et de rendre hommage aux hommes servant le bien commun. C’est bien l’objectif du producteur Alain Attal : « En tant que producteur, j’assume entièrement d’avoir produit un film sur des gens dont la mission est de se mettre au service d’autrui » (in dossier de presse). À sa façon, utilisant l’art cinématographique avec talent, la réalisatrice Maïwenn rend compte avec intelligence et délicatesse d’une réalité peu connue des Français : au travers d’un scénario « inédit dans le polar français » (Maïwenn), elle déroule le quotidien des policiers de la Brigade de Protection des Mineurs sous les yeux du spectateur bouleversé et surpris de découvrir des hommes avec leurs faiblesses et leurs forces qui remplissent une mission les confrontant en permanence à la souffrance et à la violence, qu’elle soit physique ou surtout psychologique.

La BPM est « chargée de la répression des infractions à l’encontre des mineurs ainsi que de la prévention et la protection de l'enfance et de l'adolescence » (source : site de la préfecture de police).

Est-il besoin de démontrer la nuisance que représentent le viol et la pédophilie, sexe sans amour qui réduit l'homme à l'animal s'il ne se doublait d'une perversité bien humaine celle-là ? Faut-il rappeler combien l'inceste déchire les familles et déstabilise ainsi un ordre social déjà fort compromis ? À lire les écrits de certains écrivains ou hommes politiques, d'hier ou d'aujourd'hui, il semblerait que oui, mais rien de ce qu'un critique de cinéma pourrait é crire n'impacterait l'opinion aussi durablement que ce film.

Au nom de cette loi morale qui finit toujours par rattraper celui qui la fuit, la loi légale, par le code pénal français, punit sévèrement les délits sexuels. Dans le cadre de la protection des mineurs, il s’agit plus particulièrement de protéger un enfant sans défenses physiques, intellectuelles et psychologiques face à ce type d'agression, quelle qu’elle soit. Si le droit français le considère incapable juridiquement, ce film s'emploie à matérialiser cette innocence : « Parfois, les mineurs pensent qu’ils sont coupables, alors qu’ils ne sont en réalité que des victimes : c’est le cas du pickpocket dans le métro. Ce sont des mineurs exploités, donc des victimes, et donc c’est la BPM qui se charge d’attraper ceux qui les exploitent. Ce qui rend leur boulot très complexe, car les exploiteurs sont… les parents. » (Maïwenn in DP).

On notera cependant l'explication complètement idiote que donne la policière incarnée par Marina Foïs à un jeune enfant qui demande si son professeur de gymnastique va en prison par sa faute. La première réponse est correcte : il va en prison à cause de ce qu'il a fait. Mais la jeune femme poursuit en disant que son professeur est malade, et que les policiers sont là pour le punir. La réponse du petit garçon est évidente : s'il est malade, pourquoi ne le met-on pas dans un hôpital ?

La réalité est toute autre. Qu'un homme puisse avoir des tendances (acquises ou innées peu importe) à la pédophilie peut s'expliquer, mais il n'en reste pas moins libre, et c'est le fondement d'une culpabilité qui n'a rien d'une maladie. Est-ce qu'au nom de l'attirance d'un homme pour les femmes un garçon se promenant sur la plage devrait se jeter sur toutes les filles qui s'y allongent ? Et s'il venait à en violer une, pourrait-il invoquer une maladie en sa tendance aux femmes ?

L’artiste aborde dans son film un thème coutumier des faits divers ou des affaires judiciaires. Mais Maïwenn innove. Il ne s’agit pas de s’attarder avec sentimentalisme sur la dureté des temps, mais de mettre en valeur un système peu connu et pas toujours estimé à sa juste valeur. Elle ne se gêne pas pour le dénoncer : « Je trouve aberrant qu’on ne donne pas davantage de moyens à la Brigade des stupéfiants, même si celle-ci fait un travail essentiel, qu’à la Brigade qui s’occupe de la protection de tous les enfants et ados de Paris! Un bébé secoué ? C’est eux. Le suicide d’un ado ? C’est eux. Une fugue ? C’est encore eux » (Maïwenn in DP). On sort des colonnes de lamentation sur la dureté des temps et la multiplication des scandales d’enfants violés et de pédophiles traqués. Ce sujet grave est ici abordé de manière inédite. En effet, la jeune femme s’est immergée durant trois mois dans la vie de la BPM afin de tourner un drame sur le quotidien de ces policiers.

« Mon moteur, c’est la vérité » s’écrie-t-elle. Pour rendre la réalité de ce qu’elle a vécu à la BPM, Maïwenn n’invente rien, elle plonge le spectateur dans l’action quotidienne de ces policiers, elle en fait un témoin. Le scénario s’attache à décrire des cas précis. Du père incestueux, mais sorti d’affaire par ses amis haut placés, au musulman persuadé d’être tout à fait dans son droit en envoyant sa fille se marier au bled, la succession des cas critiques est incessante : on évoque aussi très longuement les bandes roumaines exploitant leurs enfants (il aurait été tellement facile de dénoncer de méchants policiers briseurs de sommeil !), une jeune maman africaine séparée de son fils pour manque de places dans les foyers, ou encore l'accouchement ou l'avortement (ce n'est pas clair) d'une jeune fille violée. Bien des sujets brûlants qui se trouvent rarement en titre de l’actualité, et pour cause : Maïwenn, dans une logique réaliste tout à fait consé quente ne se laisse pas intimider par la peur de briser des tabous. Elle montre les faits réels, soulevant ainsi des problèmes aujourd’hui un peu trop récurrents en France pour que l’on trouve de bon ton d’y réfléchir.

Malgré la rudesse de ce réalisme, le film plaît, non seulement par le sujet principal qu’il traite mais aussi par les nouvelles lunettes au travers desquelles la police est regardée : « À la brigade des mineurs, les flics dégainent peu leur arme et leur rôle s’inscrit davantage dans le social que dans le respect de l’ordre et de la justice. C’est quelque chose qu’on n’a pas franchement vu dans le polar français » (Maïwenn in DP).

Néanmoins, dans la réalité comme dans ce film, la souffrance, la misère, la violence ne sont jamais loin pour les policiers qui traitent ces cas. Si ce film est déconseillé aux personnes fragiles et sensibles, il ne se complaît pas dans l’horreur. La pudeur de la caméra (volontiers mise en abyme par la réalisatrice qui se reconnaît dans la jeune photographe qu'elle incarne à l'écran) mais aussi du scénario rendent le film encore plus poignant. En effet en concentrant son attention sur les policiers et non pas directement sur les victimes, la scénariste déjoue le piège du voyeurisme. Les sujets abordés sont souvent si pénibles que beaucoup d’entre nous ont du mal à s’y confronter, mais on ne s’attarde pas inutilement. On explique, on montre et on expose les faits sans jamais glisser dans le sentimentalisme pleurnichard et indiscret ni dans la démonstration exagérément crue de tel ou tel délit. On ne peut que saluer avec admiration cette délicatesse de la réalisatrice et scénariste mais aussi des acteurs vis-à-vis du travail de ces policiers et de la souffrance de leurs concitoyens. Un véritable défi à bien des films sociaux qui se complaisent dans les détails peu édifiants d’actions indignes. Une telle attitude aurait évidemment porté atteinte à la dignité des victimes présentées dans ce film. S'il n'est pas pour autant anéanti, le spectateur oublie alors le confort du relativisme devant la réalité, l’information brute, jamais maquillée d’horreur ou d’embellissement.

Pour plus de réalisme toujours, Maïwenn a tenu à montrer également l’évolution personnelle des policiers qui permet également l’identification du spectateur : « Je me souviens qu’elle est venue me voir avec un paper-board comme dans les conseils d’administration : sur chaque feuille, séparée en deux, on pouvait lire en rouge, dans la colonne de gauche, la vie privée des flics et dans celle de droite, en noir, la vie professionnelle et les affaires qu’ils ont à traiter » (Alain Attal) En effet comment les policiers font-ils pour tenir face à cette pression permanente, pour supporter toute cette mystérieuse souffrance, pour accepter les échecs ? Certains échouent et vont jusqu’au suicide, d’autres peinent et leur évolution est ponctuée de crises et d’explosions de colère ou encore de disputes douloureuses.

Cet investissement affectif est probablement amplifié par le cinéma. À l'annonce qu'un bébé récupéré dans les bras d'une mère tortionnaire est entre la vie et la mort, la brigade se retrouve, silencieuse, près du téléphone, les visages tendus, et le champagne pétille dès que la bonne nouvelle tombe. Si vraiment les policiers s'investissent autant dans chaque affaire, on ne leur donne pas plus de quelques jours avant une utilisation malheureuse de leur arme de service. Plus encore, le contraste est saisissant lorsque les policiers piquent un fou rire quand une jeune fille leur dit avoir fait plusieurs fellations pour récupérer un téléphone portable. Les blagues fusent, le spectateur se bidonne, mais les policiers semblent soudainement bien moins investis.

L’importance du rire face aux difficultés devient alors capitale. Loin de tomber dans la dérision, celui-ci permet aux personnages, mais aussi aux acteurs de prendre de la distance par rapport aux faits afin de ne pas se laisser submerger par l’émotion. Il permet de se détendre dans une alternance équilibrée entre scènes intenses ou rudes, et fous rires ou échanges pleins d’humour. On passe de bons moments à découvrir la solidarité quasi fraternelle entre ces policiers pour qui les 35 heures ne semblent pas exister et qui passent la majeure partie de leur temps au travail. Les pauses déjeuner peuvent être aussi hilarantes qu’explosives, on apprécie « un côté très populaire, avec une gouaille très parisienne et franchouillarde » (Maïwenn in DP).

Il est temps de rendre hommage aux acteurs qui se prêtent admirablement au jeu de la réalisatrice. Il faut dire qu’une fois de plus, celle-ci insiste sur le réalisme : « J’ai écrit avec Emmanuelle Bercot une "bible" pour chacun des protagonistes qui comportait des éléments biographiques, des traits de caractère et des précisions sur les rapports et les rivalités entre les membres de la brigade : mê me s’il s’agissait d’infos qu’on ne retrouve pas forcément dans le film ; je crois que ça a nourri certains acteurs qui s’y sont souvent référés pendant le tournage» (DP). De plus Maïwenn recherche l’authenticité dans le jeu de ses acteurs : « Et puis, la lumière c’est secondaire pour moi. Ce qui compte, avant tout, c’est de capter des moments de vérité, et pour cela il faut être à l’écoute de tout ce qui nous entoure, et pr& ecirc;t tout le temps à filmer, et c’était le cas. » Son obsession est de faire oublier la caméra à ses acteurs : les scènes ont été tournées avec deux ou trois caméras tout au plus, presque toujours à l’épaule. Le style visuel est donc dénué d’artifice ce qui met bien en valeur la sincérité du jeu des acteurs.

Afin de permettre au spectateur de mieux saisir l’évolution des personnages, ceux-ci ne sont pas considérés uniquement comme des policiers mais comme des êtres ayant une vie privée. Ceux-ci semblent avant tout des hommes comme les autres, même rendus vulnérables par leur travail, comme l'explique Maïwenn : « Il y a comme un effet miroir entre la vie professionnelle de ces flics et leur vie personnelle. Par exemple, je me souviens d’un policier qui me racontait que, depuis qu’il travaillait à la BPM, il n’osait plus faire de chatouilles à sa fille. Du coup, chaque geste est pesé, pensé, réfléchi – de manière évidemment excessive. C’est ce qu’on voit lorsque Joeystarr donne le bain à sa fille » (DP). Il est donc essentiel, pour la conduite d'une profession aussi difficile, d'avoir une vie privée stable et harmonieuse. Pourtant, la plupart des personnages de Maïwenn ont une existence sinistrée, minée par les problèmes personnels de toutes sortes qui alourdissent le ciel de leur existence. Comment dès lors espérer que personne ne pique de crises de nerfs, ou ne se suicide ?

Le personnage de Fred, interprété avec beaucoup de sensibilité et de spontanéité par Joeystarr, est l’exemple type de l’émotionnel incapable de conserver sa sérénité et de prendre la distance nécessaire par rapport à son travail. Rongé intérieurement, comme ses autres collègues, on le voit se détourner de sa compagne. La solution à ses problèmes se trouve dans sa rencontre avec la jeune photographe Mélissa (Maïwenn), elle-même dans une situation familiale assez insolite et compliquée. Leur relation se construit beaucoup sur leurs sentiments (attirance mais aussi mélancolie partagée). Est-elle faite pour durer ? Le choix d’un nouveau partenaire est-il la solution à leur problème ou s’agit-il d’un bonheur passager et superficiel qui ne soigne pas les blessures en profondeur ? Certes, cette histoire d’amour, qui constitue une intrigue à part entière, imbriquée dans la vie des policiers de la BPM est tournée avec esthétisme et ces moments de douceur permettent de s’échapper de la difficulté du quotidien, mais au prix d'une petite fille malheureuse (celle de Fred).

Le montage final est assez obscur. Un enfant est sauvé, un policier se suicide. Faut-il y voir le sacrifice de l'un pour le salut de l'autre ?

À la question de l’acceptation de la souffrance dans le monde, le film répond par un réalisme courageux et pudique mais aussi par le rire et par l’amour. En effet, on évite l’écueil du d& eacute;faitisme en montrant que le bonheur existe, qu’il se vit au quotidien. La souffrance en est-elle pour autant acceptée par les personnages, ou bien les moments de bonheur puisés dans l’amitié et la vie sentimentale constitue-t-il uniquement une échappatoire passagère avant de replonger dans l’horreur du quotidien?