Ponette

Film : Ponette (1996)

Réalisateur : Jacques Doillon

Acteurs : Victoire Thivisol (Ponette), Matiaz Bureau Caton (Matiaz), Delphine Schiltz (Delphine), Leopoldine Serre (Ada)

Durée : 01:37:00


            L'enfance est un thème cher à Jacques Doillon. Après avoir longuement hésité à travailler avec des enfants, il réalisa Ponette, l'histoire d'une petite fille de quatre ans ayant perdu sa mère et refusant de l'admettre. Sorti en 1998, ce film à consonance dramatique suscita de vives critiques, notamment parce que les rôles principaux étaient tenus par des acteurs aussi jeunes, entre quatre et six ans. Beaucoup de téléspectateurs ont accusé le réalisateur de se complaire dans le monde de la souffrance, de la tristesse et de la frustration. Y entraîner des enfants était donc déplacé, voire malsain. Cependant, il semble que Jacques Doillon veuille nous conduire au-delà de l'idée de la mort en présentant aux spectateurs une échappatoire au deuil, un chemin vers l'espoir et le goût de la vie. En effet, l'étape de la mort est un moment dur et parfois même incompréhensible mais le personnage de Ponette, petite fille de quatre ans, pour qui la mort est inconnue, nous fait découvrir la vision pure que peut en avoir une enfant de son âge.

 

            Filmé à la manière d'un documentaire, à l'aide principalement d'un téléobjectif, Ponette propose aux spectateurs d'entrer dans l'univers de l'enfance, des dialogues naïfs et simples - les discussions sur la signification du mot célibataire par exemple - et des jeux. C'est pourtant cet univers si innocent qui va être touché par celui de la mort, du deuil et de la tristesse. Opposition de deux mondes. Il n'est pas facile de parler de la mort aux enfants. Pourtant, le réalisateur a souhaité sensibiliser de jeunes enfants sur cette question, en parcourant de nombreux établissements scolaires. Comment une enfant peut-elle faire face au décès de sa maman ? Quelle réaction doit être celle des adultes qui l'accompagnent ? Comment se conduisent les autres enfants ? La réalisation très intime que nous propose Jacques Doillon permet de mettre en scène des dialogues spontanés, plus ou moins amusants. Les passages tournés auprès des enfants, où la gestuelle et les expressions sont extrêmement importantes - parfois même plus essentielles que les paroles - sont si authentiques que l'on a l'impression que les adultes en sont absents, que les caméras, les perches et les lumières ont disparu. Le jeu d'acteur des enfants est exceptionnel et les émotions éprouvées sont parfaitement perceptibles, notamment celui de Victoire Thivisol, interprète de Ponette (sacrée meilleure actrice féminine à la Mostra de Venise). Les contenus du scénario ont d'ailleurs été écrits grâce aux réflexions spontanées des enfants, comme prises sur le vif. La musique accompagne parfaitement les moments d'émotion.

 

            Cette magnifique interprétation de la petite Victoire nous plonge dans le monde de Ponette, bousculé par la mort brutale de sa maman, mort qu'elle n'arrive pas à accepter. Tous ceux qu'elle rencontre après ce drame cherchent à lui expliquer que sa maman se trouve au Ciel, heureuse. Cependant, les applications divergent et la petite Ponette finit par se renfermer sur elle-même, persuadée que sa maman va lui parler à nouveau : "Elle joue à attendre sa mère", affirment certains. "Non, elle l'attend pour de vrai." Assurément, les espoirs de l'enfant sont assez tristes et le spectateur est pris de pitié pour elle. Mais c'est de cette détermination dont Ponette a besoin, ce qui peut paraître étrange pour un adulte. Ce n'est pas une atmosphère sombre, triste qu'il faut retenir car une certaine joie l'anime. Autour de l’héroïne, enfants et adultes la consolent, en vain. La figure maternelle est primordiale pour un enfant. La petite Ponette aime sa maman plus que tout et n'est pas déterminée à la laisser partir. Elle est prête à tout accepter, même de passer par des épreuves variées pour devenir "enfant de Dieu" et pouvoir lui parler (épreuves proposées par une camarade), à prier sincèrement avec son âme d'enfant, en refusant de renoncer.

           

            L'aspect religieux est présent, du moins par rapport à la vie après la mort. Cette dernière est incompréhensible pour Ponette : pourquoi sa maman ne lui parle pas alors qu'elle est vivante au Ciel ? Toutes les interrogations de la petite fille sont touchantes et légitimes. Chacun au fond de soi désirerait retrouver cette âme d'enfant, simple et belle même si, selon Ponette, "c'est pas drôle d'être un enfant". La figure du père, en revanche, ou du beau-père - on ne sait plus - est froide. C'est un personnage qui semble presque de trop. Quel père peut dire à sa fille : "Ta conne de mère est morte", ou lui demander d'arrêter de "faire la folle" ? Il n'est absolument pas présent pour sa fille et évite les événements. Le père fuit ses responsabilités. La petite Ponette se retrouve confrontée à elle-même, seule et désemparée (de notre temps, elle aurait été confiée à une cellule psychologique !). Elle ne peut se confier qu'au Bon Dieu, ce qu'elle ne manque pas de faire, lorsqu'elle est seule, dans sans chambre ou à la chapelle de la pension, en faisant bien attention à positionner ses petites mains, comme elle le montre à son cousin dans une scène touchante.

 

            Le réalisateur cherche avant tout à faire réfléchir le spectateur sur le comportement à adopter à l’égard d’un enfant touché par le deuil. Beaucoup affirment que les enfants en bas âge ont de la chance car, lorsqu'une personne proche meurt, ils ne s'en rendent pas vraiment compte. Ce film nous prouve le contraire. Les enfants perçoivent très bien les choses, parfois mieux que les adultes car ils sont dotés d'une certaine sagesse. Enfin, ce film met en avant le dépassement du deuil, la capacité à vivre et à être heureux, au-delà du manque. "Elle m'a dit apprendre à être contente" : telle est l’ultime phrase du film, aux accents presque thérésiens, qui peut éclairer la route de chacun d’entre nous.