Poulet aux prunes

Film : Poulet aux prunes (2011)

Réalisateur : Marjane Satrapi, Vincent Paronnaud

Acteurs : Mathieu Amalric (Nasser-Ali), Edouard Baer (Azraël), Maria de Medeiros (Faringuisse), Golshifteh Farahani (Irâne)

Durée : 01:33:00


Un drame romantique teinté de poésie et d'immaginaire enfantin qui, malgré quelques effets appuyés, accroche jusqu'au bout.

En 2007, sortait Persépolis, dessin animé réalisé par Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, adapté de la propre bande dessinée de Satrapi, en grande partie autobiographique. Quatre ans plus tard, le duo de réalisateurs a remis le couvert avec une nouvelle adaptation d’une bande dessinée de Satrapi, mais en live cette fois. Le film surprend de prime abord car il mélange beaucoup les genres : on passe ainsi du comique burlesque au drame sentimental déchirant en passant par le conte fantastique. Et, de ce fait, le film prend rapidement de nombreuses libertés avec le réalisme. Les deux réalisateurs résument ainsi leur ambition : « On aimait bien cette idée de faire un grand film d’amour, un mélo à la Douglas Sirk, mais avec de l’humour » (Source : dossier de presse). Cet univers assez
particulier n’est cependant pas déstabilisant et même assez agréable à observer. Visuellement très beau et inventif, il rappelle assez l’univers de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro. A l’instar de Persépolis, le film est partiellement autobiographique de la réalisatrice car celle-ci s’inspire fortement de l’histoire d’un de ses oncles. Elle considère d’ailleurs les deux films comme faisant parti du même univers puisque le héros de Poulet aux prunes est apparenté au personnage du patriarche de Persépolis et que l’on retrouve dans les deux films les fleurs de jasmin qui flottent. Signalons que le titre du film est trompeur car le fameux poulet aux prunes, plat préféré du héro, n’est pas le moteur principal de l’histoire, il s’agit plutôt du violon de ce personnage.

L’
interprète de Nasser-Ali, Matthieu Amalric (Le Scaphandre et le papillon de Julian Schnabel, 2007 ; Rois et reine d’Arnaud Desplechin, 2004) est très convaincant et nous fait partager sans difficulté les tourments et les émotions du personnage. Son personnage d’artiste tourmenté et qui doit faire le deuil de son violon détruit par sa femme, constitue le fil conducteur du film et pose avec élégance la question de la place et de la signification de l’artiste dans la société contemporaine (enfin, l’Iran de 1958). « Un artiste, c’est un être magnifique et aussi un grand égocentrique, un grand narcissique…En être conscient vous fait forcément avancer » déclare Marjane Satrapi (Source : dossier de presse). Mais c’est également un être tourmenté et un amoureux déçu qui a dû renoncer &
agrave; la femme qu’il aimait pour se concentrer sur sa carrière de violoniste et, finalement, se résoudre à un mariage de raison. Cet amour brisé explique sa quasi-absence de sentiments pour ses semblables, y compris pour sa famille, et en premier lieu pour sa femme Faringuisse (Maria de Medeiros, Pulp fiction de Quentin Tarantino, 1995) qui supprima également sa dernière raison de vivre, son violon qui lui fut légué par son maître de musique et qu’il n’arrive pas à remplacer. Les rapports de Nasser-Ali à sa famille sont ambigus : il semble proche de son frère Abdi, ainsi que de sa fille Lili, mais n’arrive pas à les comprendre ni à se faire comprendre d’eux et ne cherche pratiquement pas à le faire. Cette perte de son violon va également l’inciter à mourir, ce qu’il mettra une semaine à faire. Une semaine durant laquelle il
revivra les étapes marquantes de sa vie et se laissera emporter par des rêveries étranges. Il verra notamment l’ange Azraël, incarné par Edouard Baer (Betty Fisher et autres histoires de Claude Miller, 2001 ; Cravate club de Frédéric Jardin, 2002) qui fait également office de narrateur pour le film. Ce dernier fait figure de guide discret pour Nasser-Ali et son aspect terrifiant est fortement contrebalancé par un humour (noir) et une nonchalance décontractée affichée par le personnage. La voix suave d’Edouard Baer (l’acteur est méconnaissable dans son costume) correspond parfaitement à cet étrange protagoniste. Parmi les autres acteurs, signalons Eric Caravaca (La Chambre des officiers de François Dupeyron, 2001 ; Son Frère de Patrice Chéreau, 2003) dans le rôle d’Abdi, frère de Nasser-Ali, aussi rationnel
et sérieux que son frère est fantasque et idéaliste, Djamel Debbouze (Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre d’Alain Chabat, 2001 ; Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet, 2001) dans le double rôle d’un marchand d’antiquités et d’un mendiant mystique et Isabella Rossellini (Blue velvet de David Lynch, 1986 ; La Mort vous va si bien de Robert Zemeckis, 1992) dans celui de Parvine, la mère de Nasser-Ali. Un casting prestigieux donc et international pour un film qui ne l’est pas moins puisqu’ils s’agit d’une coproduction entre la France, l’Allemagne et la Belgique, bien que le film soit sorti sous bannière française lors de son exploitation en salle.

Du point de vue de la mise en scène, il n’y a pas grand-chose à reprocher au film. Celle-ci est
inventive, dynamique et suffisamment entraînante pour le spectateur. Colorée et chaleureuse, elle mêle différents styles de narration selon les scènes du film, on a même droit à un passage en dessin animé lors de l’histoire racontée par Azraël ! Le film fait bien sûr la part belle aux sentiments qu’il sait plutôt bien doser entre humour et tristesse, excepté durant le dernier quart d’heure où il cède à la dramatisation systématique. Mais ce film est également un bel hommage à la musique et aux histoires d’amour contrariées. Il est cependant fort dommage qu’il se termine sur une note fortement nihiliste et désespérante, ce qui est d’ailleurs revendiqué par la réalisatrice : « Quand c’est fini, c’est fini, tout est foutu » (Source : dossier de presse). Un peu de place
laissée à l’espérance aurait été bien venu. Une fin de film un peu moins triste et plus optimiste également !

Par ailleurs, Nasser-Ali se laisse aller comme tant d'artistes contemporains dans une mélancolie fort malvenue et parfaitement injustifiée. Il est marié à une femme qui l'aime plus ou moins tendrement et a deux enfants mignons. Pourquoi dès lors ne pas assumer ses devoirs de père ? Au nom de la musique bien entendu, tel le Monsieur de Sainte Colombe de Pascal Quignard, mis en scène dans le film d'Alain Corneau, Tous les matins du monde, en 1991. Nasser-Ali s'éblouit lui-même et déifie tellement sa musique qu'il considère la brisure de son violon par sa femme comme un sacrilège. C'est pourtant ce qui pouvait lui arriver de mieux. Ce violon cassé aurait pu symboliser la cassure de sa spirale narcissique, il nen est rien. Il préfère de loin se laisser mourir comme une loque, et mettre en scène ce suicide long et ridicule devant lequel le public bobo parisien s'attendrira peut-être, à tort.