Pourquoi tu pleures ?

Film : Pourquoi tu pleures ? (2010)

Réalisateur : Katia Lewkowicz

Acteurs : Benjamin Biolay (Le marié), Emanuelle Devos (La sœur du marié), Valérie Donzelli (Anna), Nicole Garcia (La mère), Eric Lartigau (Paco)

Durée : 01:39:00


Pour un premier film à petit budget il faut reconnaître à Katia Lewkowicz d'indéniables qualités. Le sujet qu'elle aborde a pourtant été traité de nombreuses fois déjà, et souvent dans les comédies romantiques
américaines. Son approche française et indépendante a sans doute contribué à donner son originalité au ton à la fois brutal et drôle. Les thèmes habituels sont donc au rendez-vous mais plus naturels et moins édulcorés qu'à l'accoutumé. La bande de potes du marié forme ainsi une joyeuse troupe mais un peu triste voire pathétique, la mère du marié est hystérique, la marié est entre romantisme et niaiserie, sa famille et chaleureuse mais un peu collante et bruyante, bref chaque personnage est bancal, « borderline ». L'objectif était de faire appel aux sentiments et souvenirs des spectateurs dans une situation banale : « J’ai décidé d’utiliser une histoire « vieille comme le monde » pour que le spectateur puisse toujours être en phase avec ce que le jeune homme ressent. Et qu’il puisse s’interroger en même temps que lui. J’avais envie de jouer avec cette base de données sensorielles collective. » (Katia Lewkowicz, in dossier de presse)

Le point fort est certainement dans la mise en scène et les acteurs. Nouvel réalisatrice, Katia Lewkowicz a d'abord une expérience de comédienne. On le ressent dans un direction d'acteur percutante et naturelle mais aussi légèrement caricaturale. La photographie du film relativement approximative et peu soignée se rapproche du documentaire. C'est un univers parisien gris et triste que peint la cinéaste, certes loin du monde aux couleurs saturées de la comédie américaine. L'avantage de la comédie, c'est que l'on est plus enclin à pardonner une photographie médiocre si la mise en scène remplit son rôle, faire rire. Les ressorts comiques du film ne sont pas hilarants mais efficace. Les dialogues, bien écrits, sont portés par des acteurs talentueux. Benjamin Biolay, plus connu comme chanteur ou compositeur, incarne avec justesse un trentenaire en
proie au doute et incapable de prendre une décision, en apparence calme mais dont l'esprit bout. Toujours sur le fil, on s'attend à tout moment à ce qu'il explose soit pour remettre à leur place tous les agités qui l'entourent, soit pour fuir ses responsabilités. Katia Lewkowicz a soigné l'écriture de son héros dont la psychologie inspire tantôt le dégoût, tantôt la pitié. Sa sœur, magnifiquement interprétée par Emmanuelle Devos, essaie de gérer mais s'avère rapidement débordé par ses affaires et surtout par son frère indécis. De manière générale, le casting est bien senti, chaque caractère est bien écrit et contrasté. Les scènes oscillent entre réalisme (dialogue entre le marié et sa sœur) et surréalisme (la belle-famille juive, les copains du marié) conférant au film à la fois sa dimension dramatique et comique. Il en est de même pour le montage très découpé ou elliptique qui plonge le spectateur dans une tempête humaine de sentiments incontrôlés, de joie furieuse, de larmes absurdes...
On prend le train en route, ou plutôt on est parachuté dans une ambiance caméra à l'épaule pour capter les émotions d'un événement important. C'est petit à petit que l'on comprend les relations entre les personnages, les attentes, les angoisses et les incompréhensions dont l'élément moteur est la disparition de la mariée. Dans cet ordre d'idée, la réalisatrice a fait le choix de ne pas nommer ses personnages principaux (le marié, la mère, la sœur...), de manière à recentrer sur l'émotion et l'universalité des situations. « À mon sens, leur caractérisation ne devait pas passer par là. Je voulais rester sur le ressenti, au-delà de tout artifice, pour que le spectateur se forge aussi lui-même l’image de chaque personnage. Les trois piliers de l’histoire sont le frère, la sœur et la mère, trois typologies. » (Katia Lewkowicz).

align="JUSTIFY">Outre son aspect comique, du burlesque à l'humour noir, on ne peut s'empêcher de voir dans ce film une histoire profondément triste. Ce qui pourrait passer pour une happy end semble en réalité être la conclusion d'une grande velléité du marié, et d'une grande inconscience de la part de son entourage. Tout au long du film, le marié interroge ses amis. Pourquoi se marier ? Évidemment, les réponses sont toutes plus stupides les unes que les autres. Personne ne sait pourquoi il veut ou il s'est marié... Il manque au film un personnage raisonnable (il y en a souvent un dans la tradition de la comédie, Molière en étant le spécialiste) qui permette au spectateur de mettre les choses en perspective et de se raccrocher à une bouée dans ce flot chaotique. Ce personnage aurait pu être la sœur mais il se contente de s'agiter et de demander ce qu'il décide au final. Mais lorsque le marié lui demande son avis sur son mariage, elle ne
parvient pas, soit par lâcheté soit par déni intellectuel, à lui donner une réponse. Le marié a donc au moins deux problèmes : non seulement il est en proie au doute et indécis mais en plus il est profondément seul. En l'absence de voix rationnelle, la cinéaste ne parvient pas non plus à donner une réponse, d'autant que sa fin est assez ambiguë. En effet, soit le mariage est une institution absurde basée sur des traditions que plus personne ne comprend, soit c'est une institution sérieuse qui a un sens et marque une étape déterminante dans la vie d'un individu. Tout le film tourne autour de la première idée, donc le film aurait pu logiquement se finir sur une annulation du mariage ou sur le mariage mais en suggérant au spectateur que c'est une erreur. Au lieu de ça, tout se finit dans la joie et la bonne humeur alors que le marié, fraichement arraché des bras de son amante, Léa, semblait chercher à dire qu'il ne voulait plus se marier. Face à la pression des autres, il n'est pas
parvenu à le dire. En définitive, le fond du film n'a de grande utilité pour le spectateur car il n'apporte aucune réponse. On en ressort avec une image pathétique du mariage qui serait un étrange passage de la vie « qui fait plaisir aux femmes » comme dirait un des « amis » du marié, qui s'est, lui aussi, manifestement marié sans savoir pourquoi. Si ce n'est que ça, le mariage n'a effectivement strictement aucun intérêt (sauf peut-être fiscalement). Mais lorsque l'on traite d'un thème aussi important, il paraît assez basique d'en traiter les différents aspects.

Cela dit, on peut se demander si le film ne traduit pas d'une certaine manière une mutation du regard sur le mariage. Autrefois considéré comme un événement entraînant a priori pour la vie le devoir de fidélité et d'éducation des enfants, il serait aujourd'hui un moment folklorique et capricieux
validant un certain amour. Il en résulte un paradoxe tout au long du métrage. Les deux personnages ont-ils en tête une vision traditionnelle du mariage avec la volonté de s'engager pour la vie ? Vu que la veille ils se mettent à parler du désir d'avoir des enfants, il y a fort à parier que non. Mais alors, pourquoi tout ce baroufle ? Concrètement, de quoi ont-ils peur ? De quel engagement ? De quel avenir ? Il est compréhensible d'être envahi par le doute et la crainte de ne pas y arriver quand on s'engage à être fidèle pendant toute sa vie, à s'occuper de son conjoint quoiqu'il advienne, à élever du mieux possible ses enfants, à renoncer à l'égocentrisme... mais en l’occurrence, et c'est un grave défaut du film tant artistiquement qu'humainement, le spectateur ne sait pas pourquoi les protagonistes ont peur puisqu'il ne sait pas quelle est leur conception du mariage.

>Par ailleurs, la fin semble effacer comme par magie l'amour qu'a entretenu le marié avec Léa. C'est entre autres ce qui fait qu'il s'agit davantage, contrairement à ce que peut lire ou entendre, d'un drame que d'une comédie. Le marié, porté par un flot d’excitation baisse les bras, accepte d'aller à son mariage comme un robot après avoir trompé sa fiancée pendant une semaine avec une autre et sans avoir répondu à la question essentielle du pourquoi. C'est donc un film triste par essence et drôle par accident.

Pour ceux qui veulent juste rire, c'est possible mais ce n'est pas la meilleure comédie. Pour ceux qui veulent une véritable approche de la décision de se marier... passez votre chemin, achetez un bon bouquin !

Jean LOSFELD