Premier Contact

Film : Premier Contact (2016)

Réalisateur : Denis Villeneuve

Acteurs : Amy Adams (Louise Banks), Jeremy Renner (Ian Donnelly), Forest Whitaker (Le colonel Weber), Michael Stuhlbarg (L'agent Halpern)

Durée : 01:56:00


Premier Contact, ou Arrival dans son titre original, est le dernier film de Denis Villeneuve – Canadien qui a dû attendre de passer aux Etats-Unis pour se faire connaître ici en France. C’est un grand adepte de « l’étrange » : il s’est fait remarquer du grand public avec Prisoners et Enemy en 2013, puis Sicario l’an dernier. Il est toujours surprenant, avec un style sans cesse renouvelé. Dans ces deux films, l’atmosphère pesante, écrasante, accompagne un sentiment d’étrangeté. C’est un premier pas dans le fantastique, qui précède un second pas, plus définitif, vers l’univers de la science-fiction – définitif puisque Denis Villeneuve prépare en ce moment la suite du classique de Ridley Scott, Blade Runner.

Dès la première scène, après un prologue tout droit sorti du cinéma de Terence Malik, le Québécois annonce son intention : montrer des hommes. Par exemple l’arrivée des « Autres » se fait sans fanfare : quelques étudiants découvrent la nouvelle sur CNN. Mieux encore, nous ne voyons pas les images de cette arrivée ; mais, en adoptant le point de vue de l’écran (sans mauvaise pub)… En adoptant le point de vue de l’écran de télévision, nous observons les personnages observant la scène. C’est un effet d’une sobriété parfaite et à l’efficacité déconcertante. On peut lire sur leur visage l’épouvante : identification, empathie ! On peut imaginer nous-mêmes la scène invraisemblable, comme en lisant un roman… et, dans le chapitre premier du film, découvrir l’intention réelle du réalisateur qui nous dit en un plan : « Vous êtes venus voir des extraterrestres, je vais vous montrer des hommes ! ». Et, en quelque sorte, c’est malgré tout des étrangers que nous observerons en nous observant nous-mêmes !

En effet, Premier contact est aussi un essai et un exercice de style sur la communication, le langage. Nous suivons une linguiste chargée de développer un moyen de communiquer avec des heptapodes qui râlent comme des cuivres et crachent des nuages à géométrie variable. Le défi fait sourire, mais Villeneuve a creusé son sujet et sait très bien que c’est un projet réaliste pour qui s’y connaît assez dans l’art du langage. Et le personnage de la ravissante Amy Adams fait à de nombreuses reprises de belles démonstrations de force. Elle étale avec simplicité toute sa science du langage, en la rendant très intéressante.

Le langage est la science du contact ? de la communication ? Pas seulement, c’est aussi le moyen de se connaître soi, de développer une pensé — pensée qui d’ailleurs sera formatée par le langage que l’on emploiera. La création d’une langue nouvelle, destinée à rentrer en contact avec les extraterrestres, devient le moyen d’une nouvelle ontologie. Pour nos personnages, c’est l’occasion de découvrir — après I, ich, yo, ya, ego — une nouvelle manière de dire « JE », de s’appréhender soi-même. Et donc, en quelque sorte, de découvrir un autre en soi.

C’est pourquoi le propos est profondément anthropologique ! Et en plus d’une nouvelle appréhension du moi, on gagne par cette nouvelle langue que développent les personnages, une nouvelle compréhension du monde — dans le récit, il s’agit surtout d’une meilleure conscience du temps. Et le génie de Villeneuve, ce qui me donne envie de l’embrasser, en quelque sorte, réside ici : cette conscience affinée, cette science augmentée, ne devient pas l’occasion d’un nouveau progrès scientifique technique, mais d’un approfondissement de notre nature humaine. Un progrès qui nous rend plus HOMME, comme dirait Orwell. Ainsi, l’éternel recommencement et la fatalité qui pèse sur des personnages conscients du malheur qui les attend, poussent ces derniers à s’adoucir — et non pas à se débattre avec un orgueil stérile.

Je m’explique en un mot : l’ACCEPTATION, l’abandon confiant… peut-être même l’espérance chrétienne, qui sait ? Une des dernières phrases du film est que face à une mort inévitable, l’abandon stérile est de renoncer à vivre, l’abandon confiant est de persister à vivre chaque jour qu’il reste. 

Alors, quand le cinéma américain fait penser à Anne-Dauphine Julliant et à sa merveilleuse maxime : « Quand on ne peut pas ajouter des jours à la vie, il faut ajouter de la vie au jours »… Quand la science-fiction se fait pro-life alors que la science est de plus en plus froide et inhumaine… On approuve ! C’est déjà ce qui avait plu dans le Midnicht Special de Jeff Nichols. Alors bravo à monsieur Villeneuve pour ce beau film qui offre à tous les cinéphiles le plaisir trop rare de se dire : « Ah tiens, ça je ne l’avais encore jamais vu ! »