Presque quatre siècles plus tard, le "moi" est toujours haïssable !

Film : Faute d'amour (2017)

Réalisateur : Andrey Zvyagintsev

Acteurs : Maryana Spivak (Zhenya), Aleksey Rozin (Boris), Matvey Novikov (Alyosha), Marina Vasilyeva (Masha), Andris Keiss (Anton)

Durée : 2h 8m


À la fois récit glaçant de réalisme, et fable par ses personnages sans ambiguïtés, Faute d’amour est une réflexion plus glaçante que la Sibérie sur l’égoïsme généralisé. Cet amour-propre, qui devient norme, transforme la vie sociale et familiale en une descente aux enfers dans la colère, la rancoeur, l’inimitié, la répugnance, tout le contraire de ce qui anime, de ce qui donne vie à n’importe quelle relation. 

 

« Le moi est haïssable », et ici, tout le monde n’aime que ce « moi » et hait les autres. On dit que le mal est l’absence de bien : ici, faute d’amour, on meurt. Ce manque d’amour conduit à une sécheresse, une stérilité, une mort. La société nombriliste ici dénoncée devient comparable à une maladie, une aridité qui ferait mourir des champs. Qu’est ce que cela implique ? L’amour est donc ce qui anime, l’amour est donc ce qui donne vie. 

 

Amusant de voir que l’opposant au conservateur Vladimir Poutine, Andrey Zvyagintsev, fait parvenir ses réflexions désabusées à des conclusions à peu près réactionnaires. La femme scotchée à son portable, l’homme qui préfère sa TV à son gosse : voilà comment l’individualisme a mené l’homme à s’aimer lui-même, à ne penser qu’à lui-même, et ainsi à perdre tout lien avec l’autre, tout amour. « Chacun pour soi », c’est l’anarchie, et l’anarchie, c’est un suicide collectif muet. Ici, Andrey Zvyagintsev lui donne la parole, déprimante, et ainsi, alerte l’homme sur l’impasse annoncée de son nombrilisme normalisé, sur la cécité de l’homme ne voyant pas plus loin que le bout de son nez, cécité symbolisée par le patronyme du couple manquant justement de cet amour, les Sleptsov (qui signifie « aveugle » en russe). 

Un film très intelligent, psychologiquement, dans sa pensée anthropologique également, qui fera le bonheur des cinéclubs. Mais quelle tristesse… L’exemple parfait de l’oeuvre invitant à la réflexion, et anti-divertissante, tant on en ressort refroidi par ce blizzard, par ces coeurs glacés, ces terres mortes sur lesquelles plus rien ne pousse, sur lesquelles plus rien ne prend vie.