The Prodigies

Film : The Prodigies (2009)

Réalisateur : Antoine Charreyron

Acteurs : Jeffrey Evan Thomas/Mathieu Kassovitz (Jimbo), Dominic Gould/Féodor Atkin (Killian), Moon Dailly Monira/Julie Dumas (Mélanie), Isabelle Van Waes/Claire Guyot (Ann), Laurence Carter/Jessica monceau (...

Durée : 01:27:00


Un film d'animation pour adulte graphiquement remarquable qui traite avec justesse de la colère et de l'injustice.
Le film d'animation est habituellement assimilé aux grosses productions américaines. The Prodigies se pose comme une alternative sérieuse à une animation certes généralement qualitative mais aussi esthétiquement formatée. Il n'est donc pas déplaisant de découvrir un travail plus européen, et, soyons chauvin, largement français. Convaincus que l'animation serait le média idoine pour adapter le roman original, sombre et percutant de Bernard Lentéric, La nuit des enfants rois, les producteurs Marc Missoniers et Olivier Delbosc ont décidé de s'allier à Aton Soumache qui avait produit Renaissance (2005), film d'animation remarqué.

 

align="JUSTIFY">Peu connu, Antoine Charreyron s'est pourtant vu confier la réalisation. Son expérience provient essentiellement de l'univers du jeu vidéo où il réalisa quelques cinématiques. Une autre pièce rapportée du jeu vidéo, Viktor Antonov assure la création de l'univers visuel. Il est connu pour avoir été le directeur artistique de Half Life 2 et travaille actuellement sur le jeu The Crossing, jeu de tir à la troisième personne très original mais qui peine à voir le jour. Les passerelles entre le jeu vidéo et le cinéma sont de plus en
plus fréquentes parce que le cinéma a inspiré les scénarios et les cinématiques des jeux, et parce que le monde vidéo ludique occupe une place sur le marché au moins aussi importante que le cinéma. On n'est donc pas étonné de voir ces techniciens et artistes venir non pas simplement prêter main forte mais concevoir intégralement le monde de
The Prodigies. Mais ce serait insuffisant pour comprendre l'esthétique du film. Selon Marc Missonnier, le but était de développer un style visuel qui se situe entre les comics US et le manga japonais (In dossier de presse). Si l'on peut effectivement retrouver ces influences chez les personnages, dans les décors et le scénario, il faut reconnaître que le résultat final se révèle autonome. Par ailleurs, Viktor Antonov a souhaité avoir une style="font-style: normal"> approche davantage picturale classique en faisant appel à des peintres formés à l'école classique des Beaux Arts*. Il en résulte effectivement une qualité remarquable des décors et ambiances qui donnent corps à l'environnement New-yorkais.

Les personnages aux traits francs n'ont pas été conçus pour le réalisme. Les textures plastiques des visages, des mains et des chevelures un peu grossières mais vitalisées par un travail précis de la lumière, présentent une palette assez convaincante de sentiments. De plus le procédé de Motion Capture permet d'obtenir une gestuelle souple et naturelle. A la manière des mangas, chaque personnage conserve un style vestimentaire et physique très personnalisé suggérant leur caractère et leur origine sociale. Le film est davantage placé sous le signe du symbolisme que du réalisme. On retrouve cette philosophie dans l'expression des trois niveaux d'émotion des enfants prodiges. Selon le réalisateur, le niveau 1, c'est la perception normale, le niveau 2, c'est celui de la tristesse, où l'on ne perçoit que les détails […]. Le niveau 3, celui des émotions les plus intenses et de la sortie du réel, est inspiré des codes comics américains dans lesquels les décors s'estompent énormément (en raison, explique-t- >il, du peu de temps dont disposent les dessinateurs pour finaliser leurs planches). Les sentiments de colère et de solitude sont ainsi particulièrement bien rendus d'autant que ce mélange entre réalité et imagination retranscrit efficacement l'imaginaire explosif mais surdoué des jeunes adolescents. C'était aussi le moyen de compenser la violence de certaines scènes (agression à Central Park) en la rendant plus elliptique (Marc Missonnier*). On se retrouve alors dans un esthétisme graphique entre l'Hulk de Stan Lee et le Sin City de Franck Miller. Plus symbolique, plus elliptique... la violence n'en est pour autant pas moins crue. La scène du viol de Liza ou encore de la mort des parents de Jimbo pourront s'avérer très éprouvantes pour le spectateur. Face à la violence, aux couleurs volontairement désaturées, aux animations chaotiques, on saisit rapidement la noirceur du film qui traite sans concession des tourments de l'adolescence.

En dépit de la grande qualité graphique, le scénario souffre de quelques faiblesses. Comme les scènes d'action sont assez conséquentes le développement des personnages est assez médiocre, à l'exception de Jimbo et peut-être de Liza. Tout est très simplifié. Outre les détails de moindre importance comme la pluie qui ne semble pas avoir d'
effet
s sur les vêtements, le scénario très elliptique ne propose qu'une trame grossière de l'évolution des personnages et ne s’embarrasse pas de la vraisemblance dans l'enchaînement des évènements. Les cinéastes semblent en effet s'être essentiellement attachés aux sensations et aux sentiments : « Toute cette histoire autour de la « fièvre sombre » de l'adolescence, tout ce ressenti, devait se retrouver dans le déroulement du film ». Le but étant de toucher les jeunes d'aujourd'hui, le roman initial a subi de nombreuses retouches approuvées par l'auteur. Ainsi l'intelligence exceptionnelle des protagonistes du roman devient un super pouvoir paranormal dans le film. C'est certes spectaculaire mais on aurait souhaité avoir
plus de profondeur dans l'écriture des psychologies.

The Prodigies n'est autre que l'expression de la colère et du sentiment d'injustice. Les jeunes victimes prennent conscience de leur force et comprennent qu'ils ont un pouvoir de vengeance. Leur première réaction est de vouloir détruire le monde plutôt que de chercher à le changer. Selon Mathieu Kassovitz qui interprète Jimbo, « un des messages forts du film est celui de la responsabilité que nous avons envers les enfants, et que eux ont ensuite envers nous. Les jeunes ont besoin d'être bien guidés, dirigés sur le bon chemin dès le début, afin qu'ils aient confiance en eux et puissent progresser dans
la vie avec le plus de bagages sains possible
 »*. Le film montre en effet que face à la démission ou à l'égoïsme des parents ou éducateurs, d'autres comme Killian et Jimbo, doivent prendre le relai. En effet, comme le dit le vieux professeur, il faut protéger les enfants non seulement des autres mais surtout d'eux-même. Certes ils souffrent de traumatismes, de violences, d'injustices, mais le pire des maux est de laisser ces enfants se pervertir. Car comme l'enseigne Platon, mieux vaut subir l'injustice que de la commettre. L'injuste peut rapidement apparaître comme insupportable, surtout pour un adolescent en construction. Mais bien souvent on pense combattre l'injustice par la vengeance et on finit toujours par se rendre compte que l'injustice demeure. En réalité, la qualité qui permet de passer véritablement à l'âge adulte est la force. La vertu de force permet non seulement
d'attaquer le mal quand il le faut, mais elle permet surtout, car c'est en réalité ce qu'il y a de plus difficile, de supporter le mal. Le film met bien en évidence ce paradoxe de la violence au travers du personnage de Jimbo qui supporte toutes les injustices (haine des enfants, violence contre sa femme, emprisonnement...) jusqu'au sacrifice de sa vie. Par contraste, les jeunes prodiges se laissent porter par les facilités de la vengeance aidés par leur pouvoir surhumain. Ainsi la violence n'est-elle pas la force, elle n'est ici que la manifestation d'une fragilité psychologique et morale. C'est pourtant paradoxalement la violence qui impressionne et fascine l'enfant qui pense que la capacité à détruire est un signe de puissance. Le message du film aurait gagn
é en efficacité si la fin était moins convenue (sauf pour le sort de Jimbo). Vu les crimes qu'accomplissent nos petits génies, les cinéastes auraient pu choisir une autre voie que l'impunité.

Jean Jodeau