Rango

Film : Rango (2010)

Réalisateur : Gore Verbinski

Acteurs : Johnny Depp (Rango), Isla Fisher (Fève), Abigail Breslin (Priscilla), Ned Beatty (Le maire), Bill Nighy (Jack La Morsure)…

Durée : 01:40:00


Ce film d’animation recréant une parfaite ambiance de western avec des personnages riches, traite de manière un peu simpliste de la crise économique mais aborde avec justesse le thème de l’identité.

Le film d’animation a connu ces dernières années une explosion quantitative et qualitative en mettant en compétition de redoutables studios comme Disney, Pixar, DreamWorks, ou Ghibli pour oser le tour du monde. Pourtant, si la technique semble à son comble et s’empresse de conquérir la 3D, les cinéastes savent encore surprendre artistiquement. Gore Verbinski à qui l’on doit la réalisation du Pirate des Caraïbes, ou dans un autre registre, Le Cercle (2003), s’est attaqué pour la première fois au film d’animation et n’a pas à rougir de ne pas avoir travaillé avec monstres de la production précités. C’est en effet les très jeunes maisons GK Films (The Town, The Tourist…) et Blind Wink, allié à la trésorerie de la légèrement plus expérimentée Nickelodeon Movies (Les désastreuses aventures des orphelins Baudelaire), qui assureront la production.

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Mais c’est avec sa personnalité et son point de vue « néophyte » sur l’animation que Gore Verbinski a pu s’offrir une manière originale de composer ce qui nous semble être une réussite sur bien des points. Pour la petite histoire, Verbinski n’a pas voulu se contenter d’un simple doublage des personnages d’animation. Sa démarche fut inverse : les acteurs jouent pleinement leur rôle et l’animation s‘adapte. Si cette manière de faire s’est déjà rencontré de nombreuses fois notamment pour accentuer le naturel des mouvements, Verbinski a poussé le concept jusqu’à faire jouer dans des décors reconstitués avec de véritables accessoires, au plus grand bonheur, semble-t-il des acteurs : "La possibilité d’utiliser des accessoires et de me balader avec un chapeau de cow-boy sur la tête m’a beaucoup aidé. C’
était l’occasion pour notre bande d’adultes de faire les idiots !" confie Johnny Depp*. Les cinéastes se sont même amusés à baptiser leur méthode de travail de « Emotion-Capture ». Si un making-off original ne fait pas nécessairement un bon film, il faut reconnaître que le résultat escompté est atteint. Les personnages, malgré leurs apparences tantôt amicales tantôt monstrueuses, développent un éventail d’expressions remarquable qui personnifie ces bestioles de manière très convaincante. Au milieu de scènes de burlesque ou d’action spectaculaires, quelques séquences d’émotion donnent aux acteurs l’occasion de jouer sur tous les registres. Il en résulte évidemment pour le spectateur un certain attachement pour quelques-unes de ces créatures mais surtout pour Rango dont la fragilité séduit autant que le courage.


style="margin-bottom: 0cm" align="justify">Rango est en effet l’antihéros de ce western stylisé. Mais pas seulement. Il finira par devenir pour tous les habitants de la ville « Poussière» un véritable héros. Ce type de personnage est assez courant au cinéma ou dans les films d’animation. Les concepteurs s’évertuent d’ailleurs à les rendre les plus sympathiques possible de manière à renforcer le contraste avec leur incroyables aventures : le maladroit Sid dans L’Age de Glace, le timide Pingouin de Happy Feet, le romantique robot de Wall-E, et pourquoi pas Petit Biscuit dans Skrek ! Bref Rango le Caméléon n’échappe à cette lignée de héros attendrissants, maladroits, drôles mais au cœur généreux. Outre la volonté évidente de jouer sur les cordes sensibles de nos amis les enfants, on pourra apprécier cette manière d’aborder dans le divertissement familial la question du dépassement de soi.
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La thématique centrale du film est le problème de l’identité (que la France a des difficultés à résoudre…). Rango, esseulé dans son vivarium, a pour uniques amis inanimés une Barbie sans tête et sans jambes, un poisson mécanique et un palmier en plastique. Limité par sa prison de verre il se construit diverses personnalités dans les mises en scène qu’il concocte. Sa brutale mise en liberté va enflammer son désir d’être quelqu’un. Savoir ce que l’on est n’est pas chose aisée. On parvient généralement à savoir que l’on existe, d’où l’on vient, les actes que l’on pose habituellement, on connaît ses ambitions, ses rêves mais il est évident que pour ce caméléon le quoi, le comment, et le
pourquoi ne sont pas suffisants pour répondre à son angoisse essentielle. Parachuté dans un monde qu’il ne connaît pas et où personne ne le connaît, il pense pouvoir se créer un personnage afin d’être au moins pour les yeux des autres une personne importante, d’où les récits abracadabrants qu’il inventera. Selon le scénariste, John Logan, Rango « aimerait être un héros, comme on en a tous rêvé, et l’occasion lui en est enfin donnée. À Poussière, il va apprendre à s’affirmer davantage, à mieux cerner son identité et à s’intégrer dans un groupe. Quel que soit votre âge, c’est une expérience universelle », mais finalement si « Rango peut adopter toutes sortes de personnalités hallucinantes,… cela ne fait qu’aggraver sa quête identitaire» (In dossier de presse). De fait Rango pense qu’il se trouvera une identité en s’inventant son personnage de cowboy implacable et en aidant les pauvres gens de la ville. Lorsque les masquent tombent, il comprend qu’il ne sera vraiment reconnu par son entourage qu’
en acceptant d’être ce qu’il est. C’est là le vrai courage et les actions du héros prennent alors une autre dimension, elles deviennent le prolongement de ce qu’il est, au lieu d’être l’imposture de ce qu’il fantasme d’être.


L’héroïsme suppose une grande cause. Ce grand enjeu c’est l’eau qui manque à la ville parce qu’elle est détournée. Selon Johnny Depp qui prête son jeu d’acteur à Rango, «Il y a quelque chose de très actuel dans cette histoire car l’eau, encore aujourd’hui, vaut de l’or. L’eau, c’est la vie. Et malgré toute notre technologie, c’est bien là une chose sans laquelle on ne peut pas vivre». La banque de la ville n’a plus d’eau (plus de liquide !) non parce qu’elle
a raté sa gestion mais parce que le maire l’a coupée pour réaliser ses projets. Ainsi on comprend que le coupable c’est l’autorité en qui on a confiance (le maire est initialement aimé par les habitants de Poussière) mais qui use de sa force pour détourner un bien commun à son profit ou pour une industrialisation violente … Malgré cette réalité dénoncée à juste titre dans le film, il faut éviter un certain nombre de raccourcis que des enfants pourraient inconsciemment intégrer. D’une part, l’industrialisation n’est pas un mal en soi mais elle doit se faire dans le respect d’une écologie humaine, pour l’épanouissement de l’humanité. D’autre part, il ne faudrait pas développer une allergie à l’autorité, suspecte de par son pouvoir sur les autres. Lorsque le maire s’exclame que les privilèges engendrent les responsabilités on se réjouit, puis on apprend assez rapidement qu’en réalité sa pensée est celle d’un gourou, voire d’un tyran, qui ne pense qu’à son profit. Et pourtant, l’autorité est nécessaire et les
privilèges ne sont pas mauvais en soi lorsqu’effectivement ils permettent à leurs bénéficiaires d’assumer leurs responsabilités.


u regard de ces éléments d’analyse, il est indéniable que le film ne s’adresse pas aux très jeunes enfants qui ne comprendront que les quelques pitreries de Rango. Par ailleurs l’univers de l’œuvre est assez sombre, certains personnages (les taupes notamment) peuvent être terrifiants, rivalisant de laideur et de saleté, et les dialogues sont plus compliqués et plus riches en vocabulaire qu’à l’accoutumé. En revanche plus on avance en âge plus les thèmes du film pourront être développés. Même d’un point de vue esthétique, il faudra une certaine maturité pour
en apprécier les subtilités, spécialement pour la reprise des codes du western.


Jean LOSFELD