Rien à déclarer

Film : Rien à déclarer (2010)

Réalisateur : Dany Boon

Acteurs : Dany Boon (Mathias Ducatel), Benoit Poelvoorde (Ruben Vandevoorde), Julie Bernard (Louise Vandevoorde), Karin Viard (Irène Janus) .

Durée : 01:48:00


Cette comédie plutôt lourde et stéréotypée, visuellement et musicalement agréable, entend s'attaquer au racisme mais le confond avec la xénophobie et ridiculise le patriotisme.

Dany Boon endosse son costume de clown et enfourche de nouveau sa monture de pourfendeur de préjugés
qui lui avait valu l'improbable succès de Bienvenue chez les Ch'tis. Si dans ce dernier film, il s'agissait de tourner en dérision les idées préconçues sur le Nord de la France, il pousse plus loin dans Rien à déclarer en s'attaquant au racisme. Avec "Rien à déclarer", j’ai (...) voulu imaginer une comédie qui permettrait d’aller très loin dans le racisme sans le moindre malaise. Puisque les Français et les Belges sont des cousins, la francophobie de Ruben Vandevoorde peut sonner réaliste, faire rire et réfléchir. On peut dire beaucoup de choses sur le patriotisme ou le racisme en agissant, ainsi, par ricochet. Il suffit de remplacer, dans la bouche de Ruben, le mot «français» par «arabe», «juif» ou «noir» et la dimension devient soudain différente", nous explique Dany Boon. Il est certes plus simple d'évoquer un racisme dont on ne parle jamais (et qui ne doit pas vraiment exister), le racisme d'un Belge à l'égard des Français.

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Mise à part l'immense facilité du politiquement correct de son propos, le film enchaîne les lieux communs et raccourcis qui favorisent les amalgames. Ruben est insulté à plusieurs reprises de gros c... de raciste. En réalité il ne s'agit pas de racisme mais de xénophobie. Au risque de paraître tatillon, si l'on prend simplement la définition du Petit Robert, le racisme est la « théorie de la hiérarchie des races, qui conclut à la nécessité de préserver la race dite supérieure de tout croisement, et à son droit de dominer les autres » et précise qu'il existe un sens abusif qui est une « hostilité systématique contre un groupe social ». Le même dictionnaire définit la xénophobie comme étant une hostilité à ce qui est étranger. Un Belge un peu agité qui aime son pays et ne supporte pas de voir des
étrangers chez lui est en fait un xénophobe. Ruben ne prétend à aucun moment que les Belges sont une race supérieure qui devrait s'étendre et dominer les autres races.


Ce laïus sémantique est important si l'on veut éviter par exemple des assimilations rapides et infondées de la xénophobie et du nazisme. Un glissement des notions favorise une forme de diabolisation sociale. Ne pas aimer son voisin est primaire et mauvais, notamment chez certains supporters, mais cela n'a pas le degré de déviance philosophique du racisme qui a engendré de grands maux comme le nazisme et l'eugénisme. Les personnes publiques comme les cinéastes ont la responsabilité des mots qu'ils utilisent et doivent faire en sorte de lutter contre le galvaudage
des notions.


Par ailleurs, Dany Boon semble mettre le patriotisme sur le même plan que le racisme (cf. la citation précédente). Rappelons que le patriotisme est l'amour de la patrie, le désir de se dévouer, de se sacrifier pour la défendre. Il s'agit d'un élan naturel et bon qui n'a rien à voir avec l'expansion de la race. Il n'est pas rare de voir dans le cinéma français un antipatriotisme extrêmement préjudiciable à la cohésion nationale. Lorsque Ruben, alpagué par son patron, explique que ce n'est pas parce qu'on préfère son pays qu'on est raciste, il passe pour un hypocrite. Bien sûr il ne fait pas que préférer son pays et agresse le premier Français qui passe mais les cinéastes incitent à
mettre en relation amour de son pays et racisme. Il est intéressant de voir qu'à part ce Belge xénophobe, personne chez les Français ne dit aimer son pays. Dans une autre scène, qui fait malgré tout rire, Ruben commente avec force la ligne jaune marquant la frontière pour expliquer à son subordonné que c'est le symbole d'une histoire et que des Belges sont morts pour préserver leurs frontières. Si l'attitude excessive de Poelvoorde est évidemment amusante, il n'en demeure pas moins qu'une nouvelle fois le patriotisme est tourné en dérision.


En outre, Dany Boon, en se plaçant dans le contexte de l'application du traité de Maastricht, tend à faire passer pour des racistes ceux qui s'opposaient à la suppression des douanes
fixes, ou qui s'opposait à la construction européenne préconisée par ce traité. C'est un peu réducteur et il est fort probable que le Général De Gaulle qui a toujours combattu contre l'Europe supranationale que nous connaissons aujourd'hui se retourne dans sa tombe.


Tel un Don Quichotte, Dany Boon qui prétend s'attaquer au racisme ne fait rien d'autre que de brasser de l'air. On peut noter néanmoins que le prêtre que fréquente Ruben a une saine réaction lorsque Ruben vient fièrement lui présenter son ami français en espérant que ça lui ouvre les portes du paradis : être l'ami de quelqu'un en vue d'obtenir quelque chose de Dieu relève du calcul matérialiste et non de la vertu. En généralisant, on comprend que l'amitié est au-
delà de la recherche d'un simple bien utile. C'est d'ailleurs vrai pour Mathias qui souhaite devenir l'ami de Ruben pour améliorer ses rapports avec celle qu'elle aime. La fin du film semble montrer qu'en définitive ils sont amis pour ce qu'ils sont et ce qu'ils ont vécu ensemble.


D'un point de vue artistique, il faut reconnaître au film un travail soigné des images et une musique de Philippe Rombi qui souligne les ambiances avec légèreté (les clochettes de Noël), ou humour (les cuivres graves). Le scénario plutôt simpliste peine à donner du corps aux différentes intrigues pourtant étalée sur près de deux heures de pellicule. L'amour entre Mathias et Louise ne séduit pas, les péripéties des trafiquants de drogue relèvent du
sketch...


L'humour est au rendez-vous mais on est loin d'une irrésistible hilarité. Les situations burlesques manquent souvent d'originalité et les dialogues sont relativement stéréotypés. Cependant, il faut avouer que Dany Boon a tenté de jouer sur tous les registres : monologues enflammés, imitation de l'accent belge, situations catastrophes qui conviendraient parfaitement à Ben Stiller, burlesque, gestuel, expressions de visage... Le rythme est bon mais il semble que l'absurde ne soit pas totalement assumé. On se demande par exemple si la scène où Ruben enragé tire à vue sur Mathias lorsqu'il apprend son idylle avec sa sœur ne vient pas exagérément casser l'ambiance. Était-ce une manière de faire comprendre qu'on rigole du
racisme mais qu'il ne faut pas oublier que c'est une chose sérieuse? Il aurait peut-être mieux valu filmer sur le ton de la comédie ou bien carrément s'adonner à la comédie dramatique, ce qui n'est pas le cas. Il manque donc un équilibre entre les genres qui porte préjudice à l'unité de l'œuvre.

Globalement, si l'on regrette la finesse qui a fait la grandeur des comédies françaises, Rien à déclarer est de bonne facture et les acteurs principaux se donnent à fond. Benoît Poelvoorde est fidèle à lui-même, expressif à l'infini, colérique et maladroit mais toujours touchant.


Jean LOSFELD