R.I.F. (Recherches dans l'Intérêt des Familles)

Film : R.I.F. (Recherches dans l'Intérêt des Familles) (2010)

Réalisateur : Franck Mancuso

Acteurs : Yvan Attal (Stéphane Monnereau), Pascal Elbé (Bertrand Barthélémy), Talid Ariss (Théo Monnereau), Armelle Deutsch (Marion Marquand)

Durée : 01:30:00


Un scénario certes peu original, mais le style réaliste permet de s’intéresser de façon simple à des thèmes psychologiques et aux relations familiales.

Pour son nouveau film, Franck Mancuso, scénariste, dialoguiste et réalisateur de R.I.F. (Recherches dans l’Intérêt des Familles) a donné de sa personne. Cet artiste n’en est pas à son premier long métrage: les scénarios de Contre-enquête en 2007 et 36 Quai des orfèvres (dont il assura lui-même la réalisation en 2004) avaient enthousiasmé le public et redoré le film policier français. Les intrigues originales, palpitantes, plongeaient les héros dans de véritables dilemmes que les acteurs avaient interprétés avec brio.
L’histoire de R.I.F. est autrement plus banale. En effet, un policier dont la femme se fait enlever et qui se trouve soupçonné, rappelle peut-être l’une ou l’autre série télévisée regard& eacute;e par dépit un dimanche pluvieux. De plus, les journaux regorgent tellement de ces tristes histoires, que certains pourraient être tentés de ne plus y prêter attention. Franck Mancuso semble donc nous proposer un polar assez peu divertissant.

On pourrait regretter le manque d’action: le héros, Stéphane Monnereau (Yann Attal), erre sur de fausses pistes, bute sur des échecs, découvre une malheureuse histoire de coucherie quand il se croit tout prêt de tenir la victime, examine avec minutie chaque petit détail le plus insignifiant pour arriver trop tard. Le rythme du film est lent. On assiste à peu de courses-poursuites et le spectateur n’a mê me pas droit à quelques effets spéciaux spectaculaires, belles bagnoles ou jolies femmes.
Mais il ne faut pas s’y tromper, le film n’en est pas moins palpitant: le dénouement reste inattendu jusqu’aux dernières minutes du film. En effet, cette absence de fluidité et d’allant dans le scénario ne relève pas de la maladresse, loin de là.

Il ne faudrait pas sous-estimer les talents du réalisateur et scénariste ni oublier son expérience de 20 ans dans la police. Le souci du réalisme est omnipr& eacute;sent dans ce film. Or, dans la réalité, le flic ne trouve pas le coupable en claquant des doigts. Mancuso va donc confronter le spectateur au constat brut de l’action entreprise face à des évènements tragiques. «Il y a pour moi le souci de vraisemblance, le rappel des faits et l’intrigue policière.» affirme-t-il dans le Dossier de Presse. Aucune fantaisie invraisemblable dans ce film, pas même dans le titre: En effet «R.I.F.: Recherches dans l’intérêt des Familles, est le nom de la notice individuelle que l’on remplit quand une personne majeure de sa famille disparaît». Le scénariste s’est inspiré d’une histoire véridique pour nous plonger dans la simple réalité. Avant de divertir, ce film fait réfléchir: «Il faut savoir qu’il y a eu 58932 disparitions signalées en France en 2010, 710 R.I.F. et 3941 personnes retrouvées mortes» (Franck Mancuso).

«Je ne voulais aucun artifice (…), aucune autre vision que le suivi de l’enquête. Je voulais de la ressemblance, de la sobriété» (Franck Mancuso): voilà bien le maître-mot de l’œuvre. Pour satisfaire à cette exigence, on a privilégié un mélange des genres par le choix, comme scène de crime, d’un coin mal entretenu, style Far-West en pleine Lozère (quoi de plus désertique ?). Louis Bretignac a conservé la sobriété de la guitare sèche chère aux cow-boys tandis que le mutisme du héros rappelle encore le style western. En outre, une image désaturée dont on a fait ressortir le grain et quelques s& eacute;quences filmées caméra sur l’épaule constituent les quelques effets recherchés dans une œuvre qui colle extrêmement bien au réel.

On l’aura compris, l’intérêt d’un film écrit et réalisé par un policier est certainement la vraisemblance et on peut se réjouir de voir les forces de l’ordre représentées de façon élogieuse et honnête. Le film confronte deux mentalités, deux milieux bien différents, dont les représentants sont néanmoins forcés de s’estimer mutuellement: la relation difficile et cependant respectueuse entre gendarmerie et police prend une place importante dans l’œuvre dont quasi toutes les séquences sont filmées, soit sur la zone d’action de la brigade de Barthélémy, soit à Paris où travaille Monnereau.

Il n’est pas sans intérêt de s’attarder sur le représentant de la gendarmerie, le capitaine Barthélémy (Pascal Elbé), personnage droit et solide qui ne s’écarte ni de la loi ni de la procédure afin de ne jamais perdre son objectif de vue: la garantie du bien commun au service duquel le met son métier. Il a donc à cœur de retrouver la jeune femme disparue et son ravisseur. Plein d’empathie et de bienveillance vis-à-vis de ses subordonnés et de ses interlocuteurs, sa personnalité s’efface néanmoins derrière sa fonction pour ne pas risquer de déraper. Franck Mancuso montre ainsi combien il est facile de tomber dans l’illégalité avant même de s’en être rendu compte. La seule manière de se protéger de ce danger, est de prendre du recul par rapport aux évènements en distinguant personne et fonction: Ce à quoi Bertrand Barthélémy pense, c’est son affaire. «Ce n’est pas moral, mais ce n’est pas illégal», déclare-t-il à Stéphane Monnereau. Dans sa fonction de capitaine, cet homme intelligent se soumet à la procédure de façon prudente et professionnelle.

Ses méthodes de gendarme ne sont pas du goût du policier parisien mais servent néanmoins de garde-fou à Monnereau car, comme l’affirme Yvan Attal : «C’est un flic les dix premières minutes du film et ensuite c’est avant tout un homme dont la femme disparaît.» A travers cette relation entre armée et police mais aussi entre deux hommes, Franck Mancuso met en scène le cas insolite et complexe d’un enlèvement, où le mari de la victime est policier. Le héros du film se retrouve donc dans une situation particulièrement éprouvante. Souffrant terriblement de la disparition de son épouse, et redoutant de ne jamais la revoir, il dispose des capacités intellectuelles et professionnelles pour la retrouver mais n’a le droit de les exploiter que de façon très limitée. Aux yeux de la loi, il n’est pas un professionnel; il n’est en effet que l’époux de la victime, celui qui remplit le fameux formulaire R.I.F. Barthélémy l’a bien compris et tente de canaliser l’énergie et les entreprises parfois peu raisonnées de son collègue.

Ce ne sera pourtant pas lui mais bien Monnereau qui découvrira la vérité. A travers ce dénouement, le film prend position par rapport à la question suivante : peut-on contourner la procédure quand celle-ci empêche le triomphe de la vérité ? Autrement dit, quand la procédure pénale menace de mener Monnereau en prison et de laisser au ravisseur son épouse des chances de récidive, cette nécessité grave pourrait-elle justifier le non-respect de la loi ? Celui qui pense que la loi positive, pur produit de l’esprit humain, n’admet aucune dérogation, répondra par la négative. D'autres, comme Socrate, respecterait jusqu'à la mort les lois (et donc la procédure) d'une cité qui l'a accueilli dès sa naissance, logé, nourri et soigné, mais tout le monde n’a pas l’étoffe de l’antique philosophe.
Par sa décision de prendre la fuite devant l’accusation des gendarmes, Monnereau s’estime dans une situation extrême. Celle-ci justifierait un contournement de la loi au service d’un bien supérieur: faire triompher la vérité (finalité première de la procédure pénale) et mettre un homme dangereux hors d'état de nuire. Reste à savoir si ce policier, sensé protéger la communauté, mais qui aime faire cavalier seul et remettre en cause les ordres reçus, ne met pas sa colère au service de sa propre personne. Les situations critiques dans lesquelles il se met prouvent bien que, fou de douleur, il agit davantage par passion que par esprit de justice.

Le film présente en effet la détresse d’un homme qui a perdu ses repères, qui tente désespérément de se raccrocher à ses compétences pour mettre fin à sa détresse. S’agit-il alors d’un film policier ou d’une étude psychologique ? Les deux genres ne sont pas incompatibles. Le réalisme auquel Mancuso semble attacher beaucoup d’importance permet de bien comprendre la personnalité et le piteux état dans lequel se retrouve le personnage principal. La souffrance pleine d’angoisse et de remords d’un homme, d’un époux, d’un père est montrée sans fard. Bien sûr, la musique de Louis Bretignac émeut facilement le spectateur mais elle préserve la pudeur d’un personnage plongé dans la solitude qui exprime sa douleur intérieure par l’action plus que par les paroles. Le silence de Monnereau et le rythme lent du film laissent le loisir au spectateur de prendre conscience de cette souffrance et de la méditer.

L’isolement du héros est palpable face aux gendarmes qui croient davantage à une dispute de ménage qu’à un enlèvement pour le soupçonner plus tard d’avoir liquidé son épouse. Monnereau est seul aussi devant le souvenir pesant de sa femme malheureuse et en désaccord avec lui. Il est encore désemparé devant un fils qui se languit désespérément de sa Maman et lui reproche ses disputes avec cette dernière.

Le métrage s’attarde sur la relation de ce père avec son fils Théo (Talid Ariss). Dévoré par un métier très dur, Stéphane Monnereau aime ce garçon, certes, mais il n’a pas eu le temps d’apprendre à le connaître et à vivre avec lui. Il n’a pas construit de véritable relation avec celui-ci, alors les conversations se limitent à des instructions pratiques et des confrontations. Monnereau est en effet impatient et décontenancé face aux exigences pleines de naïveté de l’enfance qui l’encombrent dans la recherche de sa femme. Sa relation avec Théo n’était déjà pas facile avant la disparition de Valérie Monnereau mais que faire d’un enfant qui ne comprend qu’une seule chose: sa Maman lui manque. Peu à peu, en percevant cette souffrance, le héros évolue vis-à-vis et au contact de son fils. De fait, au cours du film, dans le silence et l’action, on assiste à la transformation de cet homme qui apprend à reconnaître ses erreurs et à demander pardon. Bel exemple d’un père loin d’être parfait mais franc, qui découvre la force des liens qui l’unissent à sa famille. Le titre de ce polar aurait-il un double sens ? Libre à chacun de l’interpréter comme il le souhaite.

Pas de grands discours mais la simple mise en scène d’une réalité tragique dont les héros sortent grandis.