Room

Film : Room (2015)

Réalisateur : Lenny Abrahamson

Acteurs : Brie Larson (Joy), Jacob Tremblay (Jack), Joan Allen (Grand-mère), William H. Macy (Grand-père)

Durée : 01:58:00


Mélange renversant du Silence des Agneaux (J. Demme, 1991) et de Vice-Versa (Docter/Carmen, 2015), le film Room frôle de justesse le rayon des films cultes en raison de son scénario original, sans aucun doute l’un des meilleurs de ce début d’année. Tiré du roman éponyme d’Emma Donaghue (2013). La mise en scène un peu dégarnie et la photographie peu ambitieuse empêchent d’associer Room aux indéboulonnables du cinéstore. Si Spielberg avait été aux commandes, on aurait eu l’un des meilleurs films de la décennie. Cela dit, on salue l’excellent travail de la direction d’acteurs du réalisateur Lenny Abrahamson qui a notamment valu à Brie Larson l’oscar 2016 de la meilleure actrice. Le petit Jacob Tremblay aurait tout aussi bien pu rafler l’oscar du meilleur acteur à Di Caprio.

Ce film est renversant. Et pourtant tout démarre très, très mal. Jack, 5 ans, les cheveux longs comme ceux d’une petite fille, tête encore sa mère, en pyjama au milieu de la journée. Il est fasciné par un rat pointant le bout de son museau. Vient le jour de son anniversaire. Gâteau sans bougies. Fête sans cadeau. Jack dort avec sa mère dans le même lit. Il prend son bain avec elle. Il vit dans la même pièce de 8m2. La vie fusionnelle de ce petit garçon avec sa mère met mal à l’aise. L’ambiance de ce huis clos est étouffante. Elle l’est davantage lorsque l’enfant est prié de rejoindre le placard pour terminer sa nuit, au moment où un homme pénètre soudainement dans la pièce pour aller dormir avec sa maman… Au réveil de Jack, qui a parfois fait semblant de dormir, la maman pleure et ne dissimule pas ses coups au visage. On se dit à ce moment qu’on a là le pire film de l’année. Mais alors la mère va choisir de se révéler à son fils et l’horreur de cette situation va se transmuer progressivement en un élan bouleversant vers la lumière.

Elle et lui vivent reclus depuis des années dans cette cabane verrouillée par une porte blindée qui n’a de contact avec l’extérieur que par un vasistas au plafond. Ils sont victimes d’une séquestration. La mère n’est plus sortie de là depuis 7 ans. Jack quant à lui n’a jamais vu le monde extérieur, excepté les nuages au travers de la lucarne, ou bien les gens qu’il regarde à la télé. Mais ils sont irréels à ses yeux, comme sa mère le lui a d’abord enseigné. Le scénario plonge alors dans la psychologie de l’enfant découvrant le monde réel de façon saisissante. A 5 ans, Jack soupçonne déjà l’existence d’un monde invisible, au-delà des murs de sa chambre, déduction faite en observant l’apparition et la disparition de la lumière de sa lampe. De quel monde provient le petit rat furetant ici et là ? Comment la petite feuille morte se collant à la lucarne a-t-elle pu arriver sur les rivages de son existence ? Pourquoi le méchant homme, Nick, revient-il toujours comme les méchants de dessins animés ? La maman apprend à Jack qu’il existe un monde extérieur. Il ne la croit évidemment pas.

La force du scénario est de passer du constat évident de misère humaine à la quête d’un monde dépassant les frontières de l’égo souffrant. Il transforme la déchéance en héroïsme. L’étrange proximité de la mère et du fils n’est pas ce que l’on croyait : c’est une résistance sourde à une violence quotidienne. L’enfant innocent ignore tout. Et pourtant une seconde naissance l’attend de l’autre côté de la porte blindée. Sa mère quant à elle pensait connaître ce monde. Elle n’avait pas soupçonné sa violence. Si bien qu’elle aspire elle aussi, sans vraiment le savoir, à une seconde naissance. Que se passerait-il si les portes de l’enfer s’ouvraient à la lumière ? Si l’enfant s’apercevait de l’immensité du monde terrestre environnant et du nombre d’hommes de bonne volonté ? S’il réalisait l’abominable maltraitance au milieu de laquelle il a construit son jardin d’enfance ?

Indéniablement, Room questionne en profondeur la relation parents-enfant. Le film épouse le regard subjectif de Jack. Il explore l’impact des comportements adultes sur le psychisme de l’enfant, mais aussi le double bouclier protecteur que constituent pour lui son ignorance et son désir intact de voir toute chose sous l’angle du bonheur. Il aborde le thème du monde extérieur sous un prisme quasiment métaphysique, ce qui donne un recul et une profondeur à l’histoire inimaginables au début. Attention donc à ne pas quitter la salle au bout d’une demi-heure ! Fait rare au cinéma en ce moment, il redonne ses lettres de noblesse à la réalité par le biais du virtuel. Jack apprend que les gens qu’il voit à la télévision sont des personnes réelles, qui elles aussi mènent une vie dans d’autres mondes semblables au sien et qui elles aussi sont impactées par leur propre quotidien ! Le virtuel se met pour une fois au service du réel.

Au final, malgré tous les éléments positifs présents sur le fond, on ne recommandera pas ce film pour des enfants de moins de douze ans, c’est évident. En revanche ce film s’adresse à tous ceux qui seraient lassés par la vitesse et la virtualité apparente de leur vie. Ceux qui chercheraient sur leur télécommande existentielle les boutons « Stop » et « Replay » !