Sin City

Film : Sin City (2004)

Réalisateur : Frank Miller et Robert Rodriguez

Acteurs : Bruce Willis (Hartigan), Mickey Rourke (Marv), Jessica Alba (Nancy Callahan), Clive Owen (Dwight), Nick Stahl (Roark Junior), Elijah Wood (Kevin), Benicio del Toro (Jackie Boy), Josh Hartnett (le...

Durée : 02:20:00


Robert Rodriguez et Frank Miller ont réalisé ce film à deux. L’enjeu était d’adapter la bande dessinée de Frank Miller, célébrissime aux Etats-Unis. Le résultat détonne. En effet, Sin City n’est pas Spider Man, Daredevil ou
quelque autre de ces histoires à super héros héritées des « comics » américains.  Tout d’abord, le film a été tourné en noir et blanc, sans nuance de gris. Sur ce fond apparaissent des tâches de couleurs criardes : rouge pour le sang, bleu pour les yeux, jaune pour cette créature innommable (« the yellow bastard », dans la BD originale) que poursuit Hartigan – Bruce Willis. Ceci sert de décor à trois histoires au rythme époustouflant, mettant en œuvre des personnages caricaturaux évoluant sous la pluie et la neige, de nuit, le tout narré par une voix-off glaçante. Parmi ces trois histoires qui correspondent à trois épisodes de la bande dessinée, l’une est divisée en deux parties, et elles sont encadrées d’un prologue et d’un épilogue où apparaît Josh Hartnett.  Pour ces tranches d’action, le casting choisi est de marque, riche en stars confirmées tout comme en stars montantes. Notons également la présence de Quentin Tarantino sur le tournage, qui a réalisé une scène du film.  D’autre part, le
film ne cherche pas à s’extraire de l’univers de la bande dessinée pour s’adapter aux contraintes du grand écran. Au contraire, et c’est même ce qui fait sa force. C’est un condensé de bande dessinée, de film et de dessin animé. Les scènes de combat sont irréelles, les personnages débitent des phrases toutes faites avec un naturel déconcertant (c’est tout juste si l’on ne voit pas la bulle), leurs physionomies sont terribles, des stéréotypes ambulants. Les plans également sont très travaillés. Chacun d’entre eux représentent une œuvre d’art, grâce au noir et blanc, aux effets d’ombres et de lumières (pourquoi ne pas parler de clair-obscurs), grâce aussi aux tâches de couleurs. Une technique de tournage particulière a été utilisée : l’intégralité des séquences où apparaissent les acteurs ont été tournées devant un écran vert. L’aide de caméras numériques haute définition a permis d’ajouter les extérieurs de ce film, indépendamment.  Mais si l’on retrouve tous les ingrédients de la bande dessinée, c’est
également un parfait film noir que l’on va voir. En version française (il faut souligner au passage l’excellent doublage), on croirait parfois voir en Bruce Willis un Jean Gabin maîtrisant parfaitement l’argot et tout aussi intimidant. Pour replacer le contexte dans son pays d’origine, on pourrait faire allusion à Humphrey Bogart. « J'ai découvert il y a plus de dix ans les bandes dessinées de Frank Miller, confiait Roberto Rodriguez, lors de son passage au Festival de Cannes. Je n'étais pas prêt pour les adapter au cinéma, mais je savais parfaitement qu'il y avait matière à faire un bon film, différent des autres. Mon idée était d'en faire une sorte d'hommage au film noir avec ses personnages cabossés par la vie et son ambiance très sombre.»  Une autre originalité est celle du jeu des acteurs : Sin City se différencie d’autres adaptations de bandes dessinées, par le fait même qu’il n’y a pas une histoire, avec une star autour de laquelle gravitent le suspense, l’action, les retournements. Chacune
des trois histoires a sa, ou ses propres stars. Sin City (la première), a Mickey Rourke dans toute sa splendeur, Elijah Wood en cannibale psychopathe. Le Grand Carnage (la deuxième) met en scène Benicio del Toro, le flic ripoux, et Clive Owen. Enfin, Cet enfant de salaud nous présente le policier justicier Bruce Willis, Jessica Alba à deux âges différents, et Nick Stahl.  Notons le bref passage de Frank Miller en prêtre (clin d’œil à Hitchcock ?). Un fourmillement d’action, de retournements, de surprises, de répliques cinglantes, sarcastiques, parfois drôles.  Cependant, l’action ne se perd pas. Le film ne part pas dans tous les sens. Notamment, détail amusant, toutes les histoires ont un point commun : le bar interlope où danse Nancy Callahan, qui regroupe toutes les crapules de la ville. À une étape de l’action, les différents personnages s’y croisent, et le spectateur également.  Sin City, agréable fusion du septième et du neuvième art, se place en novateur. On se perd dans la diversité des
personnages, dans les rues de Sin City, on ignore si l’on est dans le film noir, dans la bande dessinée, dans le polar, mais cet apparent désordre est parfaitement contrôlé. Si bien que les subtils tons de couleur viennent à nous manquer.  

Le titre du film est très explicite quant au contenu moral : Sin City. En français, la cité du vice. Luxure, corruption et violence y règnent en maître.  Le problème réside en ce que Sin City est adapté d’une bande dessinée. Et cela a servi de prétexte pour montrer toutes sortes de vices. Le spectateur sait que c’est avant tout une bande dessinée qu’il « regarde ». C’est l’excuse qui permet de lever la censure.  Certes les violences des actions sont atténuées par le côté irréel du film. Par le noir et blanc aussi. Et elle est parfois tournée de manière comique. Mais il reste néanmoins que Sin City est un film très violent. Trop violent, car ce côté devient à la fin pénible, même s’il n’entrave pas la réussite
artistique.  Tout y est : tortures, mutilations, meurtres à la pelle, cannibalisme, psychopathie… Et le côté burlesque ne suffit pas à les excuser.  D’autre part, la corruption est également présente. Citons la famille Roark, un échantillon de crapules finies. Le fils est un pédophile sadique circulant librement grâce au bons soins de son père, le sénateur Roark à qui l’argent a donné tous les pouvoirs, et au cardinal Roark, haute personnalité de la ville. Ainsi, il y a non seulement corruption, mais également corruption de l’Eglise. Ce cardinal Roark prend sous son aile Elijah Wood alias Kevin, jeune homme cannibale qui orne les murs de sa maison des têtes de ses victimes féminines. Ce fou tortionnaire est excusé par l’homme de Dieu, sous prétexte qu’il a la foi et qu’il la vit. Ce sont ses arguments pour expliquer l’attitude de Kevin.  Le fait est que dans une ville comme Sin City, le spectateur aurait très bien compris qu’il n’y ait pas la présence de l’Eglise. Nul besoin donc d’y faire
allusion. Dans un tel lieu, cela paraît incongru ! L’intention du réalisateur est assez nette : l’image que l’on retient de l’Eglise en sortant du film est tout sauf positive. Sans attaque franche certes, il a quand même voulu titiller le côté soi disant « fanatique » de la religion, justification dans le film de crimes terribles (en l’occurrence, le cannibalisme et les violences de Kevin, présenté comme un fou mystique). Le cardinal Roark a droit a une statue immense dans la ville de Sin City, sur laquelle Marv (le bon, rappelons le) vide haineusement son chargeur. Le second degré et le burlesque ne suffisent pas à justifier ces gratuités. La police en prend aussi pour son grade : dans la vieille ville, seules les prostituées règnent. Elles ont le droit de tuer, pourvu que cela reste dans leur territoire. Benicio del Toro, dans la personne du policier pervers, appartient au côté des « méchants », et les prostituées sont les « gentilles ». Où sont le bien et le mal ?  D’ailleurs, à part Hartigan (Bruce
Willis) qui reste à peu près moral dans l’essentiel du film, les personnages que l’on devrait qualifier de « bons », tout bons qu’ils sont, n’en restent pas moins des truands. Mickey Rourke prend plaisir à torturer à mort ses victimes, et le revendique. Seulement, il ne tue jamais de femmes, ce qui est sensé le créditer à nos yeux.  Enfin, le sexe ne pouvait qu’être là. Et il y est : les prostituées sont légion, habillées comme il se doit. Elles sont dans le bon camp. Les policiers (d’une histoire à l’autre), ceux qui détiennent le pouvoir, sont dans le mauvais camp. A plusieurs reprises, la caméra nous montre bien explicitement des scènes destinées à exciter la sensualité plus qu’à respecter une contrainte dramatique. On peut recenser plusieurs scènes de nus, un passage où Roark Junior fouette Nancy Callahan (qui fait plus penser à une scène sado-masochiste).  En conclusion, il est difficile de chercher une morale dans Sin City. Car le but de ce film est justement de n’avoir aucune morale. Un côté
nihiliste qui revendique l’excuse du second degré et du burlesque. Ceci explique qu’aucun des caractères n’est foncièrement bon. 

Jérémy Le Gal