Steve Jobs

Film : Steve Jobs (2015)

Réalisateur : Danny Boyle

Acteurs : Michael Fassbender (Steve Jobs), Kate Winslet (Joanna Hoffman), Seth Rogen (Steve Wozniak), Jeff Daniels (John Sculley)

Durée : 02:02:00


Vous prenez Ashton Kutcher et son Jobs de 2013, et vous me mettez ça à la poubelle, tout de suite. De toute façon, personne n’avait attendu que Danny Boyle se dise qu’il fallait réparer l’offense faite à l’atypique personnage pour en faire autant.
Quand de votre siège, devant Jobs par exemple, vous commencez à vous dire « là, ça va être la scène des retrouvailles », ou « là, c’est la scène de doute et d’introspection », arrêtez tout, vous perdez votre temps. A l’inverse, ce qui est fascinant, chez Danny Boyle, c’est que chacune de ses scènes est inattendue et surprenante ; en somme, à l’image d’un personnage qui avait l’innovation, l’art de la surprise, dans le sang.

À la façon de The Social Network, les dialogues fusent dans un portrait pas toujours flatteur (le scénariste est le même en fait). Comme ses Macs au système fermé, Steve Jobs est présenté comme un homme qui a besoin de tout contrôler, jusqu’à en devenir périodiquement imbuvable, mais guidé par la conviction qu’il a raison. Le problème du personnage, et c’est ce qui explique ses échecs, est qu’il tient une bonne idée au mauvais moment. Comme pour cette période d’insuccès, qui précéda la gloire, celui qui se définit comme un chef d’orchestre semble ne jamais trouver le bon tempo avec ses proches.
Difficile de savoir ce que cet homme pressé et totalement pénétré par sa passion pense réellement. Il rappelle quelquefois les paradoxes des surdoués, aussi maladroits en privé que bons dans leur spécialité, et en l’occurrence, le domaine public, les foules, dont il est un chantre d’exception. Mais au bout du compte, on constate qu’il n’est rien d’autre qu’un homme, dont les qualités sont magnifiquement gâchées par les défauts.

Quand on attaque une célébrité, il y a une erreur à éviter : faire une check-list des scènes en public, le succès, les applaudissements, et une liste des scènes en privé, les colères, les bisous, les pleurs, et les mélanger équitablement : trois minutes de l’intérieur, trois minutes de l’extérieur, puis trois minutes d’intérieur, et ainsi de suite. Cette idée aussi académique qu’ennuyeuse est parfois rattrapée par d’excellents acteurs, comme dans Le Prodige (sur le joueur d’échecs Bobby Fischer), ou, en restant vraiment large et indulgent sur le sens de « rattraper », Imitation Game (sur Alan Turing). Le scénario se résume alors à un vulgaire cahier des charges, avec une sorte de personnage à deux faces, côté chambre et côté rue, et l’on ne perçoit plus de continuité que dans son caractère.
Danny Boyle est heureusement un maître, et évite cette tentation de flemmard : au lieu de vous montrer l’icône se brossant les dents ou faisant chialer un auditoire par un discours écrit par le scénariste, il choisit des moments-clefs de la carrière de Steve Jobs, qui confondent le privé et le public. Les passages de l’un à l’autre sont donc beaucoup plus effacés, et le film y gagne considérablement en authenticité et en fluidité. De plus, ces instants sont tous semblables formellement parlant ; ainsi trouve-t-on un certain intérêt à les comparer, pour constater comment le personnage évolue.

Eh oui, il y a du travail, du vrai travail de cinéaste derrière ce métrage qui fera double emploi : rendre un bel hommage à un PDG impressionnant, et en même temps, nous débarrasser des nanars bâclés de jeunes réalisateurs aussi débutants que béats d’admiration, un handicap évident pour peindre de vrais portraits.

Porté par un Michael Fassbender éblouissant (et d’excellents seconds rôles), qui confirme après son injustement méconnu Macbeth, un véritable opéra dirigé par le maestro Danny Boyle, faisant la part belle à son personnage principal (plutôt une bonne idée, pour un biopic). Récit réglé comme une horloge, maîtrisé de bout en bout, on en vient à regretter une bonne heure supplémentaire qui aurait porté l’histoire jusqu’à la mort de Jobs, malgré un final admirable. Un grand(réal) derrière la caméra, un futur grand (acteur) devant, pas de doute, loin des banalités des biopics récents, un "Film Different" (comprenne qui pourra) ...