Dans cette nouvelle mise à l’écran d’un Comic Marvel de 1962 (Stan Lee et Jack Kirby), nous quittons les Spider-Man, Quatre
Fantastiques et autres héros qui se fondaient bien dans le décor de notre XXIe siècle. Thor, ce film d’aventure fantastique et de science-fiction nous plonge dans la mythologie viking et va nous faire valser entre trois mondes. Les voyages entre Terre, Asgard et Jotunheim sont peut-être même un peu trop fréquents, de là à devenir plus fatigants qu’extraordinaires.
Mais saluons les moyens mis en œuvre et l’imagination des metteurs en scène qui nous offrent des paysages merveilleux, témoins d’une véritable ingéniosité de la part des artistes, même s’ils revêtent parfois un peu trop l’apparence de décors plastics. «Anthony Hopkins portait la lance de laiton de 15 kilos tous les jours. Une ou deux fois, je lui en ai donné une version allégée mais à chaque fois il me demandait : Russell, donne-moi la vraie lance.» (Russell Bobbitt, chef accessoiriste : in dossier de
presse) Si les acteurs ont tourné en portant des objets assez lourds pour plus de réalisme, cette qualité disparaît totalement dans les costumes, les décors et même les combats, où on assiste assez souvent à un feu d’artifices plus assourdissant qu’impressionnant malgré la troisième dimension.
Allons plus loin et examinons le fond de cette présentation du monde de l’au-delà : pourquoi mettre nos « sacro-saintes » sciences en relation avec cet univers et ses personnages qu’on a un peu de mal à prendre au sérieux, eux, leurs barbes ou leurs armures postiches? Le décalage est assez surprenant et peu réussi. Dans les hésitations des collègues de Jane Foster ou le contrôle que l’Etat cherche à garder sur les recherches de l’astrophysicienne, on voit bien que le film pose cette question : la science conduit-elle à saisir une dimension surnaturelle qui nous dépasse et nous fait-
elle réaliser notre impuissance ? C’est ce qu’exprimaient si bien les mythes… Pour toute réponse, sans explication, ces derniers sont mis en corrélation étroite avec la science : « Vos ancêtres appelaient ça la magie, vous appelez ça la science. Je viens d’un monde où les deux ne font qu’un », explique Thor à Jane. On peut regretter cette rapidité quand ont voit le sérieux de la question qui constitue tout de même l’introduction du film, son point de départ. Ces légendes, qui perdent ici un peu de leur magie et n’arrivent pas à nous envoûter, sont vidées de leur dimension mystérieuse et proche du surnaturel. Décevant. Quand Jane Foster (Natalie Portman) tente de convaincre ses collègues que le pont « Einstein-Rosen » mène au monde des dieux du Nord, tout comme ses amis, le spectateur a envie de sourire et a du mal à ne pas prendre Thor (Chris Hemsworth) pour un body-builder un peu malade. Ici la science est involontairement discréditée, mais c’est plutôt, semble-t-il, un dommage collatéral.
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Le but premier des auteurs de la BD et par là-même, celle du réalisateur Kenneth Branagh est tout autre : « Créons un dieu et faisons chuter ce dieu » s’étaient dit Stan Lee et Jack Kirby (in dossier de presse). Autrement dit, donnons au sacré une dimension plus humaine. Ceci n’est pas inédit dans l’histoire des hommes : l’Iliade d’Homère ne chante rien d’autre que la colère d’Achille. Pour les Anciens le sacré, le religieux, le poétique, l’épique, étaient tout un et on ne fabriquait pas un dieu à coup de prises au ralenti et de voix tonitruantes. Et Kenneth Branagh, cet acteur de théâtre anglais shakespearien en est bien conscient. D’ailleurs ses acteurs, tout comme son équipe de pré-production ont du parfaire quelque peu leur culture littéraire, en lisant par exemple des ouvrages sur la mythologie viking ou le Siddharta de Herman Hesse (cf. dossier de presse,
Siddharta est un roman s’inspirant de la mythologie bouddhiste).
Mais la mythologie ne sert ici que de toile de fond, semblable au décor d’une scène de théâtre devant laquelle se déroule un drame plus psychologique. «L’intrigue prenait sa source dans des conflits universels qui ont inspiré les dramaturges depuis la nuit des temps : un fils impatient de démontrer son courage à son père, un frère maladivement jaloux, ou encore une femme aidant un homme à voir le monde d’un œil nouveau. Une lignée royale, une vengeance meurtrière, une histoire d’orgueil blessé et de déchéance : quel que soit le contexte, ce sont là des thèmes qui méritent d’être traités. » (dossier de presse)
En effet, plusieurs caractères sont ici représentés.
Pour commencer, honneur aux dames : le choix de Natalie Portman est assez judicieux pour jouer Jane Foster, astrophysicienne intelligente et influente, source d’inspiration pour l’élu de son cœur, Thor, qu’elle « convertit » à l’obéissance, à l’humilité et au service de ses sujets. Elle incarne parfaitement ce rôle… Malheureusement, ce thème n’est que suggéré. Elle n’influence même pas volontairement Thor. Deux autres types de femme sont présentés dans cette œuvre. Au modèle de la scientifique brillante et un peu illuminée s’oppose celui de la guerrière, Sif, qui, malgré ses activités plutôt contraires à sa nature, sait faire preuve d’intuition et de sensibilité. La suite de l’intrigue dans un prochain film révèlera quelle considération est accordée à son statut plutôt ambigu… Enfin la mère joue davantage un rôle de pot de fleurs et d’infirmière impuissante qui n’a pas grand-chose à dire. Dommage quand on voit l’hommage, un peu pompeux quand même, rendu au père et au chef.
Venons-en donc à Odin, dieu et roi d’Asgard, incarné par Anthony Hopkins. Est-ce un chef, un modèle pour ses sujets et tout spécialement pour ses fils ? Il est la voie de la sagesse, le « dieu du bien » qui s’oppose à Laufey et ses géants des glaces. Ceci ne fait aucun doute puisqu’il constitue tout particulièrement pour Thor et Loki un repère fixant la limite entre le bien et le mal et commande : il fixe les règles avec prudence. C’est d’abord en cela qu’il remplit son rôle de père et de chef. Petit bémol : un peu encombré par son trône monstrueux et mis en veille au moment des conflits les plus subtils du film, il apparaît parfois comme un libérateur et un régisseur bienveillant qui arrive au bon moment pour sauver les meubles. En dernier lieu, Odin se montre exemplaire, au point que Thor suivra le modèle de son père : « J’ai beaucoup sacrifié pour établir la paix » déclare Odin. C’est bien là l’
objet de la conversion de Thor. La personnalité de ce fils un peu trop fougueux est, comme celle d’Odin, peu complexe. On évoque donc ici les vraies qualités d’un chef qui se donne tout entier au bien de ses sujets, de ceux qu’il commande et abandonne pour cela tout amour de la gloire et tout orgueil, tout plaisir pour aller jusqu’au sacrifice. L’idée est assez classique mais belle d’opérer la conversion du dieu quand celui-ci réalise que ceux qu’il aime sont en danger.
Si on s’en réfère au genre du studio, on ne risque pas de se perdre dans un dédale des questions pour savoir de quel côté penche la conscience du héros. Rien de bien compliqué, on tend un peu vers le schématique, le mal exprimé et mal représenté. Venons-en ainsi à ce fait très surprenant de retrouver Kenneth Branagh pour la réalisation d’un Marvel. L’un des meilleurs acteurs de théâtre anglais
shakespearien dans les années quatre-vingt, et membre de la Royal Shakespeare Company dès l’âge de 23 ans. Passé derrière la caméra, il aime mettre en scène les choses de façon shakesperienne et cet aspect trouve son apothéose dans le dernier caractère que nous évoquerons. Ce qui plaît au réalisateur « ce sont les qualités fondamentales » de l’album Marvel, « le rapport à un monde antique et, l’aspect des armes » … Mais surtout : « Le génie de l’association de Marvel et de la mythologie viking est que les créateurs de la série ont compris que c’est la dimension humaine au cœur du récit d’aventure qui en constitue le ciment. » (Kenneth Branagh in dossier de presse).
Il y a bien une réussite dans ce scénario, à savoir le personnage de Loki, admirablement joué par Thom Hiddelston. Le suspens est maintenu : qui est-il vraiment ? Quelles sont vraiment ses intentions
et quelle pente choisit-il quand il découvre sa véritable famille ? Pas mal. Toujours moins brillant, parce que moins bruyant que son frère, il souffre d’un véritable complexe vis-à-vis de ce dernier. C’est un problème, assez courant dans les familles mais aussi dans l’histoire : combien de princes, jaloux de leur frère aîné ont tenté de le renverser? Mais ici, de nombreux subterfuges sont mis en œuvre pour montrer qui vaut mieux. L’arme de prédilection est le subtil mensonge. Sous couvert de diplomatie et d’intelligence, on peut en mesurer les ravages. Mais il ne semble pas tout-puissant, cf. la disparition du prince Loki dans l’espace. Est-ce un suicide, un échec, ou une partie remise? La suite nous l’apprendra…
Cécile Chavériat
Dans cette nouvelle mise à l’écran d’un Comic Marvel de 1962 (Stan Lee et Jack Kirby), nous quittons les Spider-Man, Quatre
Fantastiques et autres héros qui se fondaient bien dans le décor de notre XXIe siècle. Thor, ce film d’aventure fantastique et de science-fiction nous plonge dans la mythologie viking et va nous faire valser entre trois mondes. Les voyages entre Terre, Asgard et Jotunheim sont peut-être même un peu trop fréquents, de là à devenir plus fatigants qu’extraordinaires.
Mais saluons les moyens mis en œuvre et l’imagination des metteurs en scène qui nous offrent des paysages merveilleux, témoins d’une véritable ingéniosité de la part des artistes, même s’ils revêtent parfois un peu trop l’apparence de décors plastics. «Anthony Hopkins portait la lance de laiton de 15 kilos tous les jours. Une ou deux fois, je lui en ai donné une version allégée mais à chaque fois il me demandait : Russell, donne-moi la vraie lance.» (Russell Bobbitt, chef accessoiriste : in dossier de
presse) Si les acteurs ont tourné en portant des objets assez lourds pour plus de réalisme, cette qualité disparaît totalement dans les costumes, les décors et même les combats, où on assiste assez souvent à un feu d’artifices plus assourdissant qu’impressionnant malgré la troisième dimension.
Allons plus loin et examinons le fond de cette présentation du monde de l’au-delà : pourquoi mettre nos « sacro-saintes » sciences en relation avec cet univers et ses personnages qu’on a un peu de mal à prendre au sérieux, eux, leurs barbes ou leurs armures postiches? Le décalage est assez surprenant et peu réussi. Dans les hésitations des collègues de Jane Foster ou le contrôle que l’Etat cherche à garder sur les recherches de l’astrophysicienne, on voit bien que le film pose cette question : la science conduit-elle à saisir une dimension surnaturelle qui nous dépasse et nous fait-
align="justify">elle réaliser notre impuissance ? C’est ce qu’exprimaient si bien les mythes… Pour toute réponse, sans explication, ces derniers sont mis en corrélation étroite avec la science : « Vos ancêtres appelaient ça la magie, vous appelez ça la science. Je viens d’un monde où les deux ne font qu’un », explique Thor à Jane. On peut regretter cette rapidité quand ont voit le sérieux de la question qui constitue tout de même l’introduction du film, son point de départ. Ces légendes, qui perdent ici un peu de leur magie et n’arrivent pas à nous envoûter, sont vidées de leur dimension mystérieuse et proche du surnaturel. Décevant. Quand Jane Foster (Natalie Portman) tente de convaincre ses collègues que le pont « Einstein-Rosen » mène au monde des dieux du Nord, tout comme ses amis, le spectateur a envie de sourire et a du mal à ne pas prendre Thor (Chris Hemsworth) pour un body-builder un peu malade. Ici la science est involontairement discréditée, mais c’est plutôt, semble-t-il, un dommage collatéral.
Le but premier des auteurs de la BD et par là-même, celle du réalisateur Kenneth Branagh est tout autre : « Créons un dieu et faisons chuter ce dieu » s’étaient dit Stan Lee et Jack Kirby (in dossier de presse). Autrement dit, donnons au sacré une dimension plus humaine. Ceci n’est pas inédit dans l’histoire des hommes : l’Iliade d’Homère ne chante rien d’autre que la colère d’Achille. Pour les Anciens le sacré, le religieux, le poétique, l’épique, étaient tout un et on ne fabriquait pas un dieu à coup de prises au ralenti et de voix tonitruantes. Et Kenneth Branagh, cet acteur de théâtre anglais shakespearien en est bien conscient. D’ailleurs ses acteurs, tout comme son équipe de pré-production ont du parfaire quelque peu leur culture littéraire, en lisant par exemple des ouvrages sur la mythologie viking ou le Siddharta de Herman Hesse (cf. dossier de presse,
Siddharta est un roman s’inspirant de la mythologie bouddhiste).
Mais la mythologie ne sert ici que de toile de fond, semblable au décor d’une scène de théâtre devant laquelle se déroule un drame plus psychologique. «L’intrigue prenait sa source dans des conflits universels qui ont inspiré les dramaturges depuis la nuit des temps : un fils impatient de démontrer son courage à son père, un frère maladivement jaloux, ou encore une femme aidant un homme à voir le monde d’un œil nouveau. Une lignée royale, une vengeance meurtrière, une histoire d’orgueil blessé et de déchéance : quel que soit le contexte, ce sont là des thèmes qui méritent d’être traités. » (dossier de presse)
En effet, plusieurs caractères sont ici représentés.
Pour commencer, honneur aux dames : le choix de Natalie Portman est assez judicieux pour jouer Jane Foster, astrophysicienne intelligente et influente, source d’inspiration pour l’élu de son cœur, Thor, qu’elle « convertit » à l’obéissance, à l’humilité et au service de ses sujets. Elle incarne parfaitement ce rôle… Malheureusement, ce thème n’est que suggéré. Elle n’influence même pas volontairement Thor. Deux autres types de femme sont présentés dans cette œuvre. Au modèle de la scientifique brillante et un peu illuminée s’oppose celui de la guerrière, Sif, qui, malgré ses activités plutôt contraires à sa nature, sait faire preuve d’intuition et de sensibilité. La suite de l’intrigue dans un prochain film révèlera quelle considération est accordée à son statut plutôt ambigu… Enfin la mère joue davantage un rôle de pot de fleurs et d’infirmière impuissante qui n’a pas grand-chose à dire. Dommage quand on voit l’hommage, un peu pompeux quand même, rendu au père et au chef.
Venons-en donc à Odin, dieu et roi d’Asgard, incarné par Anthony Hopkins. Est-ce un chef, un modèle pour ses sujets et tout spécialement pour ses fils ? Il est la voie de la sagesse, le « dieu du bien » qui s’oppose à Laufey et ses géants des glaces. Ceci ne fait aucun doute puisqu’il constitue tout particulièrement pour Thor et Loki un repère fixant la limite entre le bien et le mal et commande : il fixe les règles avec prudence. C’est d’abord en cela qu’il remplit son rôle de père et de chef. Petit bémol : un peu encombré par son trône monstrueux et mis en veille au moment des conflits les plus subtils du film, il apparaît parfois comme un libérateur et un régisseur bienveillant qui arrive au bon moment pour sauver les meubles. En dernier lieu, Odin se montre exemplaire, au point que Thor suivra le modèle de son père : « J’ai beaucoup sacrifié pour établir la paix » déclare Odin. C’est bien là l’
objet de la conversion de Thor. La personnalité de ce fils un peu trop fougueux est, comme celle d’Odin, peu complexe. On évoque donc ici les vraies qualités d’un chef qui se donne tout entier au bien de ses sujets, de ceux qu’il commande et abandonne pour cela tout amour de la gloire et tout orgueil, tout plaisir pour aller jusqu’au sacrifice. L’idée est assez classique mais belle d’opérer la conversion du dieu quand celui-ci réalise que ceux qu’il aime sont en danger.
Si on s’en réfère au genre du studio, on ne risque pas de se perdre dans un dédale des questions pour savoir de quel côté penche la conscience du héros. Rien de bien compliqué, on tend un peu vers le schématique, le mal exprimé et mal représenté. Venons-en ainsi à ce fait très surprenant de retrouver Kenneth Branagh pour la réalisation d’un Marvel. L’un des meilleurs acteurs de théâtre anglais
shakespearien dans les années quatre-vingt, et membre de la Royal Shakespeare Company dès l’âge de 23 ans. Passé derrière la caméra, il aime mettre en scène les choses de façon shakesperienne et cet aspect trouve son apothéose dans le dernier caractère que nous évoquerons. Ce qui plaît au réalisateur « ce sont les qualités fondamentales » de l’album Marvel, « le rapport à un monde antique et, l’aspect des armes » … Mais surtout : « Le génie de l’association de Marvel et de la mythologie viking est que les créateurs de la série ont compris que c’est la dimension humaine au cœur du récit d’aventure qui en constitue le ciment. » (Kenneth Branagh in dossier de presse).
Il y a bien une réussite dans ce scénario, à savoir le personnage de Loki, admirablement joué par Thom Hiddelston. Le suspens est maintenu : qui est-il vraiment ? Quelles sont vraiment ses intentions
et quelle pente choisit-il quand il découvre sa véritable famille ? Pas mal. Toujours moins brillant, parce que moins bruyant que son frère, il souffre d’un véritable complexe vis-à-vis de ce dernier. C’est un problème, assez courant dans les familles mais aussi dans l’histoire : combien de princes, jaloux de leur frère aîné ont tenté de le renverser? Mais ici, de nombreux subterfuges sont mis en œuvre pour montrer qui vaut mieux. L’arme de prédilection est le subtil mensonge. Sous couvert de diplomatie et d’intelligence, on peut en mesurer les ravages. Mais il ne semble pas tout-puissant, cf. la disparition du prince Loki dans l’espace. Est-ce un suicide, un échec, ou une partie remise? La suite nous l’apprendra…