Toutes nos envies

Film : Toutes nos envies (2010)

Réalisateur : Philippe Lioret

Acteurs : Vincent Lindon (Stéphane), Marie Gillain (Claire), Amandine Dewasmes (Céline), Yannick Renier (Christophe)

Durée : 02:00:00


Toutes nos envies ne camoufle pas son intention : dénoncer les manœuvres douteuses de certains établissements de crédit qui ferrent le consommateur déjà en grande difficulté pour lui faire souscrire des emprunts à fort taux d'intérêt.
span>Le revolving, de son nom anglo-saxon, est effectivement pratiqué de façon de plus en plus large et projette des personnes fragiles en grandes difficultés. Selon les propres mots du réalisateur : « Un jour, j’ai lu sur un prospectus proposant un crédit à la consommation cette invitation cynique : "Cédez à toutes vos envies". Ces envies, c’étaient bien sûr toutes ces tentations que l’argent vous permet d’assouvir, mais dans le cas de Stéphane et Claire, le double sens m’intéressait. J’aime beaucoup les mots "envie" et "
em>désir", ils décident de tout. On est tous capables de tout grâce à eux, quelquefois même ils redéfinissent nos vies. »

Inspiré de l'ouvrage D’autres vies que la mienne, d'Emmanuel Carrère en 2009, le film est donc très largement orienté. Philippe Lioret l'assume: « Aujourd’hui, des offres alléchantes jetées dans les boîtes aux lettres ou sur Internet par les sociétés de crédit à la consommation poussent des milliers de gens aux revenus
modestes dans le piège de l’argent facile. Souvent tentés par cette folie consommatrice qui nous titille tous et alléchés par ces offres douteuses, les plus vulnérables se retrouvent vite dans l’engrenage des impayés et du surendettement. »
Pour les besoins du message Céline, la jeune femme en difficulté, est gentille comme tout, brillamment incarnée par une Amandine Dewasmes alliant tendresse et fragilité. Ce n'est même pas elle qui a souscrit des emprunts, mais son mari indélicat et mystérieusement évaporé dans la nature. Bref : une personne sans reproche qui se débat pour é
viter l'expulsion, les saisies et autres joyeusetés qui alimentent le quotidien des services contentieux.

Le spectateur ne peut, sous peine de trahir un cœur en granit, que compatir pour ce personnage sympathique.

Cependant le film s'attaque plus précisément aux établissements de crédit qui offre des prêts aux personnes refusées par les autres organismes. Il ne remet pas en cause le principe du crédit lui-même, ni celui de l'intérêt, ni même celui du revolving, mais dénonce ceux qui font de l'argent avec les sur-consommateurs.

Quelles solutions propose-t-il ? Pas beaucoup en vérité, mais au moins le minimum : le respect de la loi et, plus précisément, du code de la consommation. Les caractères doivent être d'une certaine taille, certaines mentions doivent être inscrites sur la première page du contrat, la publicité ne doit pas être mensongère (« Réserve d'argent gratuite ! »)...

style="font-style: normal;">Le film aurait pu se placer du point de vue de Céline, mais il n'a pas fait ce choix. Il a plutôt souhaité dépeindre le combat de deux juges déterminés, visiblement seuls contre tous (les associations de consommateurs ne sont étrangement pas mentionnées), qui défendent par des jugements infirmés en Cour d'appel l'application stricte de la loi, afin de protéger les pauvres bougres traînés devant les tribunaux. « Ces boîtes ne peuvent pas se permettre de laisser ces mauvais payeurs impunis, s'insurge Philippe Lioret, car ce serait inciter les autres à faire pareil. Alors, pour ceux-là – principalement des chômeurs –, le combat juridique est perdu d’
avance et ils se retrouvent dans des situations effrayantes. À moins qu’un juge d’instance n’ose s’interposer et trouve un biais pour enrayer cette loi du plus fort et ce mécanisme pervers d’enrichissement des
banques. C’est aussi ce combat là qui m’a plu dans le livre d’Emmanuel. »

Claire, interprétée par Marie Gillain, et Stéphane, incarné par Vincent Lindon, vont donc faire connaissance à l'occasion du dossier de Céline. Claire connaissant Céline dans la vie privée et étant accusée de partialité pour lui avoir prêté 12 €, c'est en effet son collègue qui va s'emparer du
dossier.

La rencontre entre les deux personnages du film est un point faible du script : Claire est poussée par sa greffière à le rencontrer parce qu'elle est menacée d'une sanction disciplinaire mais, sans raison apparente, elle ne va en fait pas aborder cette question avec Stéphane. Elle lui demande simplement de reprendre le dossier de Céline.

Malgré cette incohérence, que la sincérité des deux acteurs sait bien vite faire oublier, on se prend au jeu. Mais nouveau problème, cette relation entre les deux personnages prend le pas sur le surendettement, qui ne devient plus qu'une toile de fond.

Cette relation est en effet marquée par le drame que vit en secret la jeune juge, qui est atteinte d'une tumeur au cerveau et sait qu'il ne lui reste plus que peu de temps à vivre. Cette grave difficulté est aussi le moteur de son combat. « Devant un contexte particulier, explique le réalisateur, les gens changent de priorité, tissent des liens que personne ne pouvait soupçonner et, souvent, se
surpassent. »
Puisqu'elle n'a rien à perdre, elle ne risque rien. Stéphane, ce vieux routier de juge découragé qui fut lui-même écarté en son temps parce qu'il voulait protéger les surendettés, sera touché par l'entrain de la jeune femme, mais il ne comprendra réellement son obstination que lorsqu'il apprendra le mal dont sa collègue est atteinte, et l'accompagnera jusqu'à la mort, jusqu'au dénouement de leur combat.

Pendant sa maladie, Claire n'aura de cesse d'enchaîner les choix parfaitement idiots. Elle ne parlera pas de sa maladie à son mari qui l'aime pourtant tendrement et devrait être le premier à le savoir (elle pré
tend qu'il s'effondrerait, ce qui n'arrive pas au moment où il l'apprend), refuse obstinément d'être hospitalisée, multiplie les comportements imprudents qui peuvent accélérer son terme, etc.

On comprend bien qu'elle refuse de suivre le traitement qui lui est proposé, parce que celui-ci ne fait que retarder très peu l'échéance, mais pour le reste, ce qui pourrait passer pour du courage n'est en fait que de l'inconscience coupable.

Ainsi en est-il de sa relation avec Stéphane, qui bénéficie d'un traitement de faveur dont le mari s'indignera à juste titre. Le réalisateur ne voit que du bien dans cette relation spéciale : « La relation intime qui surgit entre eux n’est pas souvent traitée. Elle fait
pourtant partie de notre quotidien, d’une rencontre, souvent professionnelle, qu’on est amené à faire. Basée sur la connivence, elle débouche souvent, entre un homme et une femme, sur une forme étrange d’amour-amitié. »
Que la tentation de l'amour soit au bout de l'amitié entre un homme et une femme, cela ne fait aucun doute, mais ce qui est beau quand il ne fait pas de victimes (l'épouse de Stéphane ou le mari de Claire) doit être maîtrisé sitôt que la paix des ménages est menacée. Pourtant Philippe Lioret semble n'y voir que du bien : « Pour Claire et Stéphane, cette relation naît spontanément en parallèle de leurs vies et ne met a priori pas en danger leurs couples respectifs. Évidemment que Claire aime Christophe (Yannick Rénier), ses enfants, c’est vraiment l’amour de sa vie cette vie-là.
Mais la rencontre avec Stéphane c’est autre chose. Ils découvrent deux façons différentes d’aimer, chacune unique et tellement salutaire. Leur relation à eux est faite de complicité professionnelle, d’une forme d’amour où l’image du père n’est pas loin, et de désir aussi. C’est une histoire sur la pluralité de l’amour. »
Mais alors pourquoi le mari de Claire réagit-il aussi mal à la présence de Stéphane ? Pourquoi l'épouse de Stéphane se sent-elle délaissée ?

Enfin le dernier volet du film est ce touchant passage de relais de Claire à Céline, qui s'occupe des enfants pour
remercier le couple de les héberger. Tout au long du film, sans qu'il y ait matière à reproche, C
éline entre doucement dans la vie de la famille et finit naturellement, après le décès de Claire, par se substituer à la maman. Chose curieuse : la personnalité du mari est tellement atrophiée par le film qu'on se demande s'il a son mot à dire. Quoiqu'il en soit le scénario, pudique, se finit sur ce sous-entendu.

C'est ainsi qu'il révèle sans dévoiler...
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