The Tree of Life

Film : The Tree of Life (2011)

Réalisateur : Terrence Malick

Acteurs : Brad Pitt (M. O'Brien), Sean Penn (Jack), Jessica Chastain (Mme O'Brien), Hunter McCracken (Jack jeune)...

Durée : 02:18:00


Une œuvre atypique virtuose et réfléchie qui tente d'approcher les mystères de l'origine et du sens de la vie par le prisme d'une histoire purement humaine et universelle.

The Tree of Life n'est que le cinqui& egrave;me film du réalisateur en près de 40 ans de carrière. Cinéaste à part dans le paysage cinématographique, Terrence Malick, ancien professeur de philosophie et traducteur du Principe de raison de Martin Heidegger, tourne peu, refuse d'être pris en photo, n'a accepté que de très rares entretiens, bref ne souhaite pas entrer dans le « star system ». Pourtant, ses films (Le Nouveau Monde en 2005, La ligne rouge en 1999, Les moissons du ciel en 1979...) sont chaque fois reconnus par ses pairs et la critique comme des œuvres majeures.


The Tree of Life, tout comme son réalisateur, se démarque largement de la production habituelle tant le langage est spécial. La façon intuitive que Terrence Malick a de filmer conjugué à une montage précis a donné naissance à un objet cinématographique hors norme peut-être déroutant, mais qui a le mérite de s'adresser sans condescendance à un spectator sapiens sapiens et non pas seulement à un consommateur d'images.


Terrence Malick cherche en général le naturel et la spontanéité. Comme dans ses précédentes œuvres, le cinéaste a souhaité tourner en extérieur et utiliser la lumière naturelle. Outre le travail sur l'éclairage, on retrouve cette philosophie à d'autres niveaux. Ainsi selon le producteur Bill Pohlad, le scénario était « un texte magnifique, mais qui n'était pas rédigé comme un scénario classique. En réalité, cela se rapprochait davantage d'un poème. C'était à la fois l'histoire intimiste et forte d'une famille et un récit à la dimension épique ». L' histoire est de fait relativement simple : l'évolution d'une famille texane dans les années 50. Mais on ne peut cantonner le scénario à une approche purement dramaturgique. En réalité, et c'est probablement là que l'on se rapproche le plus de l'essence même du cinéma, l'histoire est intégré dans un corps philosophique très large qui va de la contemplation de l'infiniment grand et de l'infiniment petit au questionnement existentiel et religieux. C'est pourquoi, le film est en grande partie constitué de plans invitant le spectateur à replacer l'histoire dans un contexte plus général relatif à l'existence et au devenir de l'homme. Les scènes de la vie quotidienne de la famille O'Brien sont mêlées à des séquences grandioses allant du génome humain aux splendides nébuleuses inaccessibles de l'espace. Il en découle une narration particulièrement originale et perturbante mais virtuose et éloquente.


De même Terrence Malick a choisi de très peu utiliser de storyboard de manière à se sentir libre. Le directeur de la photographie, Emmanuel « Chivo » Lubezki, prenait part, selon Nicolas Gonda, producteur, à la construction scénaristique car tout pouvait changer au dernier moment et il échangeait fréquemment son point de vue artistique avec le réalisateur. Quoi qu'il en soit, le résultat est des plus convaincants. Les images d'une grande beauté magnifient tantôt la nature, tantôt l'humanité des personnages. Les habitués de la filmographie du cinéaste seront davantage surpris de trouver des effets spéciaux numériques. Dans sa volonté d'englober l'espace infini et le temps, Terrence Malick s'est tourné vers les images de synthèses mais travaillées de manière la plus réaliste possible. "Nous avons, Terrence et moi, le même point de vue sur les effets visuels qui, à notre avis, doivent sembler réalistes. On cherche tous les deux à repousser les limites du cinéma. Ce n'est pas tant qu'on ne voulait pas recourir à l'informatique – on s'en est pas mal servi et certains plans infographiques sont épatants – mais, par exemple, quand on voit des dinosaures, ils ont l'air de créatures réelles et on les a ensuite incrustés dans un monde complètement réel." (Douglas Trumbull, consultant effets spéciaux, in dossier de presse). De fait, les quelques plans de créatures disparues sont remarquables tant au niveau de l'animation que des textures. Grâce à cette sobriété et cette recherche constante du naturel, ces images qui peuvent surprendre dans un drame social s'intègrent à merveille dans l'unité de l’œuvre sans jamais donner le sentiment d'une exagération.


Équilibre et grâce pourraient être les maître mots artistiques de cette œuvre atypique. Sans un travail réfléchi et méticuleux du montage, le film aurait pu devenir une mielleuse bouillie informe. Rien n'est laissé au hasard, ni les nombreux plans de coupe mystérieux (comme cette espèce de lumière multicolore indescriptible qui fait penser à une aurore boréale), ni le dialogue entre les réalités tangibles (la vie de famille très concrète) et les réalités spéculatives (retrouvailles de la famille dans une sorte de paradis qui semble représenter l'interconnexion des êtres dans l'au-delà). Cette précision dans l'agencement des plans peut faire penser à un autre maître de l'étrange, David Lynch (cf. Mulholland drive, Inland Empire...), sauf que Terrence Malick s'avère plus direct et pédagogue. Il n'y a aucune velléité de perdre le spectateur dans des interprétations alambiquées. Aucun malaise ne s'installe car les images parlent d'elles-même et se répondent avec cohérence. Cette précision peut sembler contradictoire avec la description que Brad Pitt donne de sa manière de travailler, mais il n'en est rien : « C'est un «imperfectionniste». Il essaye de trouver les moments vrais qui ne surviennent que dans le chaos d'un tournage. Il écrit des notes pour les acteurs au jour le jour, travaille avec une équipe très réduite, ne fait pas plus de deux prises à chaque fois. Les acteurs évoluent devant sa caméra comme ils le sentent. Pour lui, les répliques ne sont pas essentielles, c'est la substance de la scène qui l'est » (Brad Pitt, entretien pour lefigaro.fr). Entre intuition et rigueur, l'équilibre est manifeste.


Il serait particulièrement réducteur de ne voir dans ce film qu'une expérience sensorielle et une prouesse artistique. Terrence Malick soumet son art à une pensée de sorte qu'on ne peut affirmer que tel ou tel plan est ici uniquement pour sa beauté. Même si notre discret philosophe ne s'exprime pas sur ses films, The Tree of Life donne suffisamment d'él& eacute;ments pour s'autoriser une interprétation honnête. Vu comment l'histoire principale est encadrée par des aperçus de l'histoire et du cosmos, il semble qu'il y ait la volonté de replacer les personnages dans un tout, de mettre en perspective notre existence. Au centre de l'univers vertigineux, l'homme est insignifiant, ridiculement fragile. L'un des thème principaux est donc celui de la mesure objective de l'homme. Puis le film nous invite à suivre l'évolution d'un garçon, Jack, en partant de sa naissance jusqu'à son adolescence. C'est alors le thème de notre subjectivité. Jack grandit en ouvrant progressivement les yeux sur le monde.. Comment perd-on son innocence ? Telle est la question fondamentale que développe Malick au travers du parcours de Jack. De l'observation à l'action, il construit sa conscience, sa personnalité. Par l'observation, il va découvrir que la vie n' est pas un long fleuve tranquille. Son père est dur, il perd son travail, un de ces amis meurt sous ses yeux, le couple voisin se dispute violemment, des inconnus aux mines patibulaires se font arrêter par la police... Mais c'est par l'action que son innocence va réellement se perdre. Des déséquilibres vont se manifester comme l'envie de se battre ou le sadisme à l’égard des animaux et de son frère, et surtout, latente mais délicatement mise en scène, cette étrange relation œdipienne qu'il a avec sa mère et qui lui fera dire enragé à son père qu'elle n'aime que lui. Bref, il accumule les blessures.


Faut-il penser comme Rousseau que l'homme nait bon et que la société le pervertit ? Il semble que Malick s'écarte de cette philosophie en montrant que très tôt Jack montre des signes d'égoïsme et de violence, avant même qu'il ne prenne conscience de son environnement social. C'est ainsi qu'à la naissance de son petit frère sa curiosité laissera rapidement place à des accès de jalousie et de colère. Par ailleurs une voix off qui pourrait être celle de Jack chuchotte « Mère, rend-moi bon et brave ». L'approche serait donc inverse, l'autre étant utile à notre perfectionnement : l'homme aurait alors en lui une propension au mal, même sil est vrai que la société tire rarement vers le haut. Pourtant le film tend également à montrer le rôle actif du père dans la construction de la personnalité de Jack, ce père autoritairequi répète sans arrêt à ses fils que pour réussir dans la vie il ne faut pas être trop gentil. Au travers du thème de l'éducation et de l'exemple, le cinéaste montre, malgré notre bagage personnel, une interdépendance entre les êtres. Le personnage du père, brillamment interprété par Brad Pitt, est admirablement nuancé. Dur mais fier de ses enfants, il veut en faire des hommes prêts à affronter la jungle de la vie que lui-même traverse. Il ne s'est apparemment pas être à l'écoute de ses enfants qui doivent l'appeler Monsieur, d'où la déconnexion puis le sentiment haineux de Jack. Les être sont connectés entre eux de sorte que leur conduite (l'exemple d'un parent) ou même les événements fortuits (la mort du frère de Jack) implique des répercussions sur autrui. The Tree of Life amène progressivement le spectateur à l'essentiel sans aucune niaiserie sentimentale. Cette communion des hommes ne s'entretient que par l'amour. « Sans amour la vie passe comme un éclair » affirme l'un des personnages. C'est dire par là que quoiqu'on fasse dans une vie, la seule chose qui restera c'est l'amour que l'on a reçu et que l'on aura communiqué. Le personnage de la mère est le symbole de cet amour humain et, flottante avec la légèreté de la grâce, elle semble également être le relais de l'amour divin.


« Où étais-tu lorsque je posais les fondement de la terre ? » (Livre de Job, 38.4). Ce n'est pas le premier film qui s'ouvre sur une citation de la Bible mais elle a ici un retentissement particulier. A Cannes la résonance religieuse du film n'a pas fait que des heureux ce qui démontre une nouvelle fois la grande ouverture d'esprit et la tolérance du public de la croisette. La mère, jouée avec douceur et grâce par Jessica Chastain, pointe du doigt le ciel, son fils dans les bras, pour lui apprendre que c'est là que Dieu vit. Une certaine naïveté se dégage de ce geste, une simplicité que l'on retrouve tout au long de l’œuvre. Malick ne pose pas la question de l'existence de Dieu, il la présuppose. Ses voix off et ses images s'élèvent en une prière qui s'émerveille comme Job de la grandeur du monde mais qui s'interroge également sur le rôle de Dieu dans les épreuves de la vie. « Seigneur, où étais-tu ? Qui sommes nous pour toi ? ». La voix off de la m& egrave;re témoigne ici de l'incompréhension des iniquités. En l’occurrence, le frère de Jack meurt, selon toute vraisemblance à
a guerre. La réponse est-elle celle donnée par une proche de la mère en deuil ? « 
Ce que Dieu donne, il peut le reprendre ».

Une autre question donne au thème de la perte de l'innocence une dimension religieuse: « Comment redevenir comme eux ? ». Comment retrouver son innocence ? Comment se purifier ? La encore la réponse que propose Malick est indirecte. On trouve dans la bande son un Lacrimosa et un Agnus Dei qui font tout deux appellent à la miséricorde de Dieu et au repos éternel.

A ça vient s'ajouter le sermon du prêtre à l'église ainsi que la reprise de l'enseignement des sœurs selon lequel on est amené au cours de notre vie à choisir entre la voie de la nature et la voie de la grâce. Indéniablement, le père incarné par Brad Pitt est le symbole de l'homme qui s'engouffre dans la voie de la nature où l'homme est un loup pour l'homme, tandis que sa femme représente la grâce. Leur fils Jack est quant à lui entre les deux, il est en devenir, balloté entre nature et grâce.


The Tree of Life est à ce titre le film le plus religieux du réalisateur avec cette ambition audacieuse de toucher les mystères de l'origine et du sens de la vie par le prisme d'une histoire purement humaine et universelle.

 

Jean Losfeld