True Grit

Film : True Grit (2010)

Réalisateur : Ethan et Joel Coen

Acteurs : Jeff Bridge (Marshal Rooster Cogburn), Matt Damon (Laboeuf), Hailee Steinfeld (Mattie Ross), Josh Brolin (Tom Chaney), Barry Pepper (Lucky Ned Pepper)…

Durée : 02:05:00


Une nouvelle réussite pour les frères Coen, tant dans l’écriture précise que dans la réalisation magistrale, malgré une certaine légèreté dans les thèmes centraux pourtant aussi importants que le passage à l’âge adulte ou la vengeance.

> A l’instar de leur héroïne Mattie, les frères Coen ont franchi une rivière qui les a amené sur une nouvelle rive, le Western. Il est vrai que dans leur brillante filmographie, quelques films comme No country for Old Men recèlent quelques reflets du genre, mais c’est la première fois qu’ils s’y adonnent pleinement. Et ils ont tout le talent qu’il faut pour : l’art de transformer un fait divers en légende, une direction d’acteurs toujours subtile, une écriture précise des personnages, des dialogues savoureux, un travail soigné de l’image… Ils se sont ici attaqués à l’adaptation d’un roman homonyme, signé par Charles Portis, qui a connu son heure de gloire et qui a déjà fait l’objet d’un film réalisé par Henry
Hathaway avec John Wayne.


Les Coen se défendent d’avoir voulu réaliser un remake, et l’on est enclin à les croire tant leur touche personnelle crève l’écran. Ils s’approprient à merveille l’étrangeté et l’humour du roman pour donner naissance à une œuvre remarquable. Comme bien souvent, ils mettent ici en scène des personnages aux personnalités précises et contrastées. Jeff Bridges joue brillamment le rôle du vieux Marshall imbibé, rustre, courageux mais également sensible. Matt Damon campe son Texas Ranger entre humour et sérieux sans jamais
verser dans le ridicule. A côté de ces vieux routards du cinéma, la surprise est sans doute la petite Hailee Steinfeld dont c’est le premier long métrage. Du haut de ces quatorze ans elle lance ses répliques avec une assurance redoutable qui force le respect. Malgré son âge, elle est la seule femme de l’histoire et son innocence tranche avec la brutalité du monde masculin dans lequel elle se jette. Son personnage est aussi l’occasion pour les Coen d’offrir des dialogues ciselés, admirablement rythmés et authentiques. Peu de cinéastes parviennent à fasciner les spectateurs avec un simple dialogue en champ/contre-champ (cf. la négociation pour la revente des poneys de son père ou le recrutement du Marshall). En hommage au style de Portis, certaines scènes sont également chargées d’humour fin notamment en raison de la présence insolite de l’
adolescente dans ce monde de brute.


Une telle qualité de jeu et d’écriture méritait une image à la hauteur surtout pour se hisser au rang des westerns dont le visuel soigné est l’une des principales caractéristiques. C’est à Roger Deakins qu’est revenue la responsabilité de la photographie. Outre le fait qu’il a déjà éclairé de nombreux films des Coen, il a été directeur de la photographie sur une multitude de grandes œuvres : L’assassinat de Jesse James, Kundun, Un homme d’exception, Le
village
… La liste est longue et on ne s’étonnera que peu de voir une telle maîtrise de lumière dans True Grit. Si les plans larges de paysages sont saisissants, on mentionnera surtout les scènes nocturnes dont la prédominance des bleus souligne avec poésie le mystère de la nuit (cf. la chevauchée finale). Mais l’image c’est d’abord son objet. De ce point de vue, les décors authentiques nous plongent dans la pure tradition western.


Derrière ces indéniables qualités formelles se cachent néanmoins quelques faiblesses scénaristiques.
Les scènes, impeccables individuellement, manquent certainement de liant, de fluidité. On passe d’une perle à une autre sans voir le collier. Ainsi, l’aspect aventurier du récit est quelque peu mis en retrait par rapport à l’intimisme. On considère parfois que le western est le père du road movie à cause de la conquête de l’Ouest, les déplacements importants de population, et les distances incroyables que parcourent les héros à cheval. Lorsque l’on voit la petite Mattie traverser vaillamment la rivière avec son double poney on comprend que c’est le début d’une aventure épique, que la traque du meurtrier de son père va lui faire voir du pays. Or les séquences de voyages sont très courtes ou assez elliptiques. On a finalement davantage le sentiment d’une téléportation que d’un voyage. C’est peut-être
cette spécificité qui a le plus échappé aux réalisateurs certes chevronnés mais novices dans le genre. Par ailleurs, ce renforcement de l’idée de voyage n’aurait pas nécessairement été préjudiciable à la longueur de la pellicule d’autant que le prologue la rallonge sans grand intérêt, du moins cinématographiquement (le roman a sans doute plus de corps sur ce point).


Cette dernière nuance n’est pas simplement purement formelle. Le voyage c’est aussi, comme l’évoque Ethan Coen, celui d’une Alice au pays des merveilles, un
parcours initiatique du passage à l’âge adulte. Or on ne grandit pas en sautant d’une case à une autre. Si notre vie est marquée par d’importants paliers, on se construit dans la durée, dans la continuité. En tamisant l’éveil de l’adolescent, les cinéastes ont manqué de creuser un thème essentiel au récit, celui de l’évolution psychologique des personnages, en particulier de Mattie. Cette approche n’enlève rien à la qualité d’écriture des portraits mais qui relève davantage de la virtuosité de conteur que de la justesse du message.


Les autres thèmes, mieux traités, sont aussi plus classiques. Le Marshall Cogburn incarne à la fois la justice et la brutalité. Poursuivre un criminel est un travail, pas une vocation. Il a une légère préférence pour les ramener morts plutôt que vifs… « True Grit » signifie « avoir du cran ». C’est le maître mot et on voit bien par ses actions qu’il s’accroche quelle que soit la situation. Ce que l’on ignore c’est s’il le fait par soif de justice ou par amour du risque et de l’argent. Son héroïsme final permet d’en conclure qu’il a aussi le cœur d’un justicier avec un certain sens moral. C’est avant tout un instrument de justice. La frontière entre justice et vengeance est parfois très mince : Mattie, contre l’avis de tout le monde, décide de
venger son père si la justice ne le fait pas. C’est pourquoi elle souhaite obstinément que Chaney soit jugé non pas au Texas pour un autre crime mais dans sa région pour le meurtre de son père. Sa démarche est donc saine puisqu’elle pense d’abord à avoir recours aux organes de justice de la société mais c’est aussi une nécessité car elle sait qu’elle n’aura pas la force de le faire elle-même. Il y a donc une sorte d’instrumentalisation de la justice au profit d’une vengeance personnelle. Mais il s’agit plus d’une réparation que d’une jouissance. Certes l’époque et les mœurs étaient très différentes mais si elle s’était contentée de faire appel à un tueur pour se venger sans passer par la sanction de la société, la vengeance aurait été immorale.

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Plus délicate est la question de la vengeance lorsque la société est démissionnaire (cf. également la critique de A vif). Logiquement, si l’on a recours aux organes de la justice c’est qu’eux seuls sont aptes à agir en dehors de toute passion et à infliger la sanction la plus adéquate. Ainsi, éliminer un criminel de son propre chef risque fortement d'être une nouvelle injustice puisque le « vengeur » n'aura, sauf situations exceptionnelles, aucune objectivité sur la gravité de la faute et la sanction qui s'y attache. De plus un individu qui commet un
crime n'est pas débiteur qu'envers les victimes. Il l'est également à l'égard du corps social auquel il appartient et dont il a troublé l’harmonie. Or la vengeance personnelle ne répare pas le trouble social. Au risque de dévoiler l’issue du film, notons que la scène où Mattie abat Chaney est ambiguë car on se trouve entre la légitime défense et la froide exécution. Si dans l’action, l’adolescente pensait son prisonnier ingérable, son tir se justifie.


Le thème du courage est également très présent. Puisque Mattie décrit
elle-même Cogburn comme ayant du cran, on pourrait penser qu’il n’est question que du courage du vieux Marshall. Mais en réalité, le courage d’un homme expérimenté au combat est beaucoup moins impressionnant que celui d’une jeune fille de quatorze qui se lance dans l’aventure avec une arme trop lourde pour elle. Cependant, comme le duo justice/vengeance, le courage n’est pas opiniâtreté, ni imprudence. Son obstination à vouloir partir dans les vallées à la poursuite de Chaney montre à la fois son courage et son intempérance. La situation eût été différente si elle avait été confrontée à cette situation sans en avoir le choix. Sa place n’est a priori pas dans le pistage mortel de criminels…

Malgré tout, il faut reconnaître aux héros le sens du devoir, surtout au travers du personnage du Ranger (Matt Damon), dans des conditions de vie extrêmes.

Au fond, les thèmes sont là mais les cinéastes, méticuleux dans la forme, se révèlent flou dans le message qui pourtant aurait mérité plus d’attention.


Jean Losfeld