Un balcon sur la mer

Film : Un balcon sur la mer (2010)

Réalisateur : Nicole Garcia

Acteurs : Jean Dujardin (Marc Palestro), Marie-Josée Croze (Marie-Jeanne), Sandrine Kiberlain (Clotilde Palestro), Toni Servillo (Sergio Bartoli), .

Durée : 01:45:00


Ce drame psychologique, malgré le talent des acteurs, échoue dans son suspens et propose une histoire étrange dans les faits, banale dans les sentiments, où l'obsession prend le pas sur l'épanouissement donnant une piètre image du véritable amour.

Une histoire complexe, une femme mystérieuse, des souvenirs enfouis, une escroquerie et une enquête forment les ingrédients de ce qui pourrait faire un bon thriller. La réalisatrice, Nicole Garcia, parle d’un « thriller des sentiments où la vérité apparaît peu à peu par paliers ». Pourtant la mixture prend davantage le goût du drame psychologique que du thriller. Nicole Garcia reconnaît d'ailleurs qu’elle a tendance à tourner autour des genres tels que le polar, le film noir ou le thriller sans jamais y entrer pleinement. Il résulte de cette imprécision dans le but poursuivi un vice de forme important.

Tout d’abord tout film d’enquête (si vous nous passez le genre) a besoin d’un suspens prenant. Hitchcock ne serait pas Hitchcock s’il n’avait pas cette maîtrise absolue du
suspens. Or le film ne répond pas à cette attente pour plusieurs raisons. Si, à la lecture du synopsis, l’intrigue apparaît comme compliquée, Garcia ne semble pas contenir suffisamment cette complexité pour désorienter le spectateur. Très rapidement, si l’on est attentif, le scénario se laisse deviner dans les grandes lignes. Si attendre dans l’ignorance peut engendrer l’angoisse, trop savoir engendre souvent l’ennui. Par ailleurs, la tension se trouve considérablement diminuée par l’enjeu de l’histoire. « J’ai voulu mettre le personnage principal féminin en danger. Afin d’aider son père, et de rétablir par l’argent la souffrance qu’a connue sa famille dans l’exil, Marie-Jeanne a accepté de devenir un prête-nom, une femme de paille vivant de coups pas très nets dans l’immobilier » (Nicole Garcia, dans les notes de production). Marie-Jeanne se retrouve empêtrée un peu malgré elle dans une escroquerie où elle risque beaucoup mais cette intrigue parallèle n’est pas le cœur du film et présente de ce
fait une moindre importance qui ne peut accaparer toute l’attention et l’inquiétude du spectateur. Quant à l’enjeu de l’intrigue principale, il est relativement dérisoire, du moins d’un point de vue cinématographique, c'est-à-dire sensationnel. Cela pose la question de l’ordinaire non seulement dans le cinéma, mais dans l’art en général. L’art s’intéresse à l’extraordinaire directement ou transcende l’ordinaire. Outre les questions de fond qui seront soulevées plus tard, la banalité de la situation affecte l’intensité dramatique. En définitive, Marc Palestro, magnifiquement interprété par Jean Dujardin, n’est autre qu’un homme pris par surprise par des sentiments qu’il pensait avoir enterré avec son passé ; pas de quoi faire de l’urticaire...À force de naviguer entre les genres, l’œuvre manque de corps et se fait longue.

Si l’on admet plutôt que Un
balcon sur la mer
est un drame psychologique, le fond aura davantage d’importance que la forme, car le drame parle avant tout de l’humain et de ses détresses. Certes la mise en scène est sensible, les acteurs sont tous crédibles et émouvants, les flashbacks sur l’enfance des personnages sont toujours amenés finement, enfin la photographie est bien léchée. On reste néanmoins perplexe. Il s’agit d’un film sur l’amour, le poids du passé, l’identité et l’estime de soi, autant de problématiques riches qui devraient nourrir un beau film. Marie-Jeanne est une femme perdue qui rêve d’être actrice et suffisamment déséquilibrée pour mentir sur son identité et tremper dans des affaires louches. Marc semble quant à lui installé dans une vie tranquille avec sa femme et sa fille, le « gendre parfait » dit son beau père. Il est bouleversé par la rencontre de Marie-Jeanne qu’il prend pour son amie d’enfance, Cathy. S’il est vrai que cela peut surprendre vingt ans après, on comprend moins pourquoi l’adultère
s’impose à lui aussi facilement. « Quête amoureuse » selon Nicole Garcia, ce film indique « le chemin qu’il faut emprunter pour accéder à l’amour ». La réalisatrice ajoute qu’elle ne s’est pas intéressée à l’épanouissement de ses personnages. On saisit mieux pourquoi tout paraît triste et ennuyeux. Seul l’aspect passionnel de l’amour est dépeint, comme si l’amour n’était que passion. La réplique finale que Jean Dujardin voit comme le présage d’un espoir, comme un dialogue amoureux, montre les errements des cinéastes qui pensent faire une œuvre sur l’amour mais qui ne devrait a priori convaincre personne. La passion puérile d’un homme renvoyé en enfance qui ne parvient pas à faire la part des choses est mise sous les projecteurs. Marie-Josée Croze, qui interprète Marie-Jeanne adulte, est plus proche de la réalité en expliquant que « personnellement, elle ne pourrait affirmer qu’une histoire d’amour est vraiment possible entre eux ». En effet, mise à part l’irrépressible envie de
se voir, rien ne permet la naissance d’un véritable amour, car l’obsession est radicalement incompatible avec le don de soi.

Marie-Jeanne a un problème de confiance en elle mais reprend de l’assurance lorsqu’elle se rend compte qu’elle est aimée par Marc non plus en tant que Cathy mais pour ce qu’elle est aujourd’hui. Nicole Garcia n’en tire pas d’enseignements intéressants. Lorsqu’un maître de la tragédie tel que Corneille ou Racine décrivait les méandres de la psychologie c’était pour mettre en lumière une vérité sur l’homme. Ici, on ressort de la salle de cinéma en ayant l’impression d’avoir perdu son temps, assommé par deux heures d’égoïsme et d’amour faux.