Un drame shakespearien sans dramatruge

Film : Escobar (2018)

Réalisateur : Fernando León de Aranoa

Acteurs : Javier Bardem (Pablo Escobar), Penélope Cruz (Virginia Vallejo), Peter Sarsgaard (Neymar), Julieth Restrepo (Maria Victoria Henao), David Ojalvo (FBI Agent), David Valencia (Santos), Joavany Alvarez...

Durée : 2h 3m


Bardem voulait jouer Escobar. On peut le comprendre : il en a la tête, il est hispanique, c'est un rôle de composition, de quoi rejoindre Don Corleone et compagnie. Il co-produit donc cette nouvelle adaptation des frasques du trafiquant qui tint tête à la Colombie et aux Etats-Unis. 

La noirceur de ses méfaits ressort, avec quelques traits communs avec les scènes de violence de Scarface. Bardem se donne du mal, composant son personnage autour de l’hippopotame, en apparence tranquille et lent, et tout à coup extrêmement agressif, avec inspiration. Son ventre bedonnant et sa nonchalance lui confèrent un sombre charisme. 

Mais la mise en scène, malgré un scénario passionnant (il suffisait de recopier l’histoire originale), souffre d’un réalisateur soit soumis aux caprices de ses stars, soit carrément incompétent.
Il laisse la voix off de Pénélope Cruz mener le bateau ; alors foncez sur la V.O. si le film vous intéresse, car sa doublure française - pourtant loin d’être novice - gâche toute ambiance dramatique par un ton de documentaire.
La narratrice justement, bien interprétée par Cruz, demeure peu intéressante en soi. Elle est journaliste, maîtresse d’Escobar ; pourtant son avis sur les événements donne l’impression qu’elle ne l’a jamais connu : « Pablo était cruel, Pablo était gentil, Pablo aimait sa famille… » Wikipedia en dit bien autant. 

Ce n’est pas tout : les plans, la photo, d’une banalité confondante, frisent le téléfilm. Le manque d’originalité étouffe de bons débuts de suspense procédant des rebondissements multiples. Et pour finir, la musique suit cet espèce d’effacement artistique étonnant, efficace mais convenu pour la tension, ou franchement pénible pour les scènes de « tout va bien vive l’argent ». 

Enfin, quelques tacles verbaux démontent tout manichéisme, pourtant tentant et fréquent dans les histoires de gangsters : si l'Etat cherche à se débarasser d'un mafieux, c'est d'abord par intérêt, bien plus que par honnêteté. Les forces armées d'Escobar affrontent les forces armées de l'Etat, chacun veut protéger son business, et on ne sait plus trop si quelqu'un se soucie de justice, ou des victimes de la drogue. Une lucidité qui demeure timide et peu développée, bien que sa présence soit intéressante.

Il en reste un bon film en soi, rythmé ; mais le véritable monstre qu’était Escobar méritait bien plus d’art cinématographique, de plans statutaires, de dialogues et de musique profonds. Quand on tient un criminel quasi shakespearien comme protagoniste, on ne le raconte pas dans un thriller comme un autre.