Un français

Film : Un français (2014)

Réalisateur : Diastème

Acteurs : Alban Lenoir (Marco Lopez), Samuel Jouy (Braguette), Paul Hamy (Grand-Guy), Olivier Chenille (Marvin)

Durée : 01:38:00


Un Français. Rien que le nom fait peur. Un tel titre pour un film traitant d'un skinhead nationaliste laisse présager un parti pris hautement caricatural. Le réalisateur Diastème ayant expliqué dans son dossier de presse qu'il avait choisi ce titre pour défendre l'idée qu'il y a deux Frances, celle de « Liberté, Égalité, Fraternité » et celle de « Travail, Famille, Patrie, » on s'attend à toutes les caricatures possibles.

Disséquons donc méthodiquement le cadavre fumant de la bien-pensance.

La vie privée et personnelle de Marc, ce fameux skinhead, tout d'abord. De ce point de vue, le film est réaliste et bien fait. Marc est issu d'une famille paumée (père alcoolique et mère absente) et prisonnier d'une condition sociale qu'il n'a pas surmontée. Pas de culture, pas d'avenir tracé, pas de spiritualité. Une catastrophe dont le terminus naturel est la drogue, la violence, ou la dépression. Une échappatoire possible, fournir à son existence la noblesse d'une cause. Pour certains c'est Dieu, pour d'autres le roi, pour d'autres encore la puissance collective (les communistes), pour Marc ce sera la nation doublée de socialisme. Est-il vraiment un idéologue ? Pas vraiment. Ce qui l'unit aux skins, c'est bien plus la force d'une bande et la sensation de participer à un combat important. L'idéologue de la bande, c'est plutôt Braguette, une allusion à peine déguisée à l'identitaire Fabrice Robert (imitation assez approximative puisque Braguette a l'air beaucoup plus méchant mais aussi beaucoup plus brillant que l'original), qui dit ne rien regretter de ses années skinheads et fait aujourd'hui son shopping entre autres sur l'étal catholique, comme le personnage du film d'ailleurs, soutenu par un catholique traditionaliste plus vrai que nature. Diastème dit avoir connu ces « intégristes » dans ses jeunes années à Colombes et raconte y avoir rencontré des gens formidables. Peut-être est-ce pour cela que ce mécène de Braguette est représenté de façon assez respectueuse. Peu importe. Marc, petit à petit, va sortir de l'adolescence pour effectuer un chemin de conversion qui n'est évidemment pas religieuse. Un pharmacien rencontré par hasard, magnifiquement interprété par Patrick Pineau, l'aidera à franchir le pas, même si pour Marc passer de cogneur à bon citoyen ne sera pas facile. Faire des démonstrations de force est évidemment plus facile que d'assumer une famille, obéir à un patron, s'incliner de façon humble aux aléas de la vie d'autant que sa femme, rencontrée dans un meeting, est passablement insupportable.

D'ailleurs, de ce point de vue, le bât blesse vraiment et le film sombre dans le ridicule. Car sa femme, Corinne, est sensée être traditionaliste. Or son comportement est assez antinomique avec les authentiques convictions des traditionalistes. Même si, en cherchant bien, on peut trouver sans trop de difficultés une femme complètement raciste dans ce milieu (une vraie hein, pas juste une fille opposée à l'immigration incontrôlée), le reste est beaucoup plus douteux : Corinne bronze nue sur la plage, quitte son mari sans états d'âme pour se coller avec un bourgeois… Même la proximité entre une traditionaliste et le milieu skinhead est assez peu crédible (même si tout est possible).

Du coup le film chute considérablement en crédibilité, et on en vient à se demander très sérieusement s'il ne s'agit pas d'une commande de l'intelligentzia en place car les amalgames vont bon train. Diastème dit avoir rencontré des gens formidables chez les traditionalistes, mais ce sont eux qui prennent le plus. A cause du personnage de Corinne, bien évidemment, mais aussi dans le film au travers de La manif pour tous, ce soulèvement qui a littéralement traumatisé le milieu du show-business (à un tel point qu'on ne compte plus le nombre de films qui y font allusion) ou dans le dossier de presse, où Diastème dit que ces « intégristes » sont d'une « intolérance folle, » mot très dur et stupide, puisque c'est reconnaître lui-même que le mariage gay est un mal, puisque s'il était un bien il n'y aurait pas besoin de le tolérer.

On l'aura compris, le fait que Corinne la cintrée fraye aussi bien dans le milieu skinhead que dans celui des catholiques de tradition (on la voit sortir de la messe le dimanche) veut bien dire que tout ce petit monde baigne dans le même jus.

Il n'y a plus qu'à rajouter le Front National et Jean-Marie le Pen, et le tour est joué. Braguette le skinhead finit cadre du FN, l'oncle traditionaliste de Corinne finance Braguette et donc le FN, et on peut voir tout ce petit monde se gausser devant les déclarations de Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret.

Quid du fait qu'il y ait eu pendant des années une opposition très virulente au sein du FN entre les païens (qui comprennent entre autres les skinheads) et les catholiques ?

Quid du fait qu'il y a toujours eu chez les traditionalistes et même à la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X des opposants très déterminés au Front National (les royalistes par exemple) ?

A force de simplifier on finit par mentir. C'est comme si la petite lorgnette de Diastème était le milieu dit « identitaire, » groupe insignifiant qui essaie désespérément de faire une synthèse entre Saint Thomas d'Aquin et le nationalisme païen.

Or l'effet-loupe n'a jamais été aussi vrai. A force de montrer ce genre de choses au cinéma, on essaie de faire croire que skinheads = traditionalistes = Front National et, soyons fous = Hitler !

Si les identitaires ne sont pas trop stupides, en revanche, ils profiteront sans aucun doute de cette tribune publicitaire remarquable ! « On parle de nous, pourraient-ils titrer, et on nous caricature ! »

Probablement même le film aura-t-il pour effet d'allumer le feu des jeunes pubères soucieux de concilier action brutale et bonne conscience, puisque par définition le message du film montrant la victoire de la maturité sur l'exaltation passera largement par-dessus leur tête. Comment résister à cette envie de paraître puissants pour la défense d'une cause noble, la France ?

Je sens que ce film va faire naître beaucoup de vocations !

Quoiqu'on en dise, il s'agit donc d'un film de propagande hautement toxique, qui farde la réalité pour mieux servir son propos. On se demandera peut-être pourquoi, alors qu'il sert si bien le pouvoir en place, il a été censuré. La réponse est simple : il ne l'a pas été. Les cinémas ont simplement décidé de le déprogrammer parce qu'il n'était pas prometteur économiquement, et peut-être aussi pour des raisons de sécurité. Ces deux raisons sont effectivement fallacieuses (le cinéma dans lequel je suis allé m'a dit qu'il engrangeait grâce à lui ses meilleures recettes, et jusqu'à présent aucun problème n'est à déplorer), mais il n'est pas à ma connaissance question de censure là-dedans.