Un Heureux événement

Film : Un Heureux événement (2010)

Réalisateur : Rémi Bezançon

Acteurs : Louise Bourgoin (Barbara), Pio Marmai (Nicolas), Josiane Balasko (Claire), Thierry Frémont (Tony)

Durée : 01:50:00


Un drame assez fin et même souvent drôle, qui questionne la femme dans sa relation à la maternité et dont les cinéastes pensent sûrement que la pudeur est réservée aux ringards.

Éliette Abécassis commence à se faire sérieusement connaître dans le monde du cinéma français. Juive passionnée par l'histoire de son peuple, professeur de philosophie à Caen, cette chouchoute
du monde littéraire a déjà réalisé un film (La nuit de noces, en 2001) et en prépare un deuxième avec Tiffany Tavernier : Tel Aviv la vie. Également scénariste de Kadosh Sacre, en 1999, elle avait très énergiquement pris position contre le film La passion du Christ, de Mel Gibson en 2003.

Qu'on soit ou non d'accord avec ses idées, ces quelques lignes de présentation suffisent à donner l'intuition que ce film, inspiré d'un de ses romans Un heureux événement paru en 2005, ne doit pas être inintéressant.

D'autant plus qu'il est à la mode, dans le microcosme littéraire et cinématographique, de s'amuser à casser les icônes (en particulier les idées reçues sur les femmes, que le cinéma malmène ces derniers temps en les faisant péter, roter, tomber et se ridiculiser au gré des films). De ceux donc qui pensent que la maternité ne comporte aucun problème, qu'elle est une jolie rose sans tâche accrochée au cœur des jeunes et jolies mamans, ce film s'amuse à déciller les yeux.

On pourrait bien sûr souhaiter, dans un monde où la maternité est trop souvent coiffée du bonnet d'âne, que le cinéma montre au contraire les joies de la maman, ou le ciment que l'enfant représente pour le couple.

On pourrait ensuite utilement rappeler que la réalité est avant tout l'objet de la science, quand l'art se fait fort de révéler la beauté dans les choses. Lorsque l'artiste épouse la justesse de la vérité, c'est pour mieux extraire la splendeur qui s'en dégage. Dans l'histoire de l'art, la volonté de couper l'expression de son contenu se traduit toujours par une schizophrénie stérile : la poésie la mieux écrite, si elle exprime le laid, séduira sans doute l'amateur d'ornements mais vaudra toujours moins que l'évidence d'une démonstration philosophique. L'art cinématographique convainc donc par l'éblouissement, le documentaire par la justesse de ses démonstrations, le film de propagande par la force de sa charge.

Où pourrait-on bien
ranger ce film de Rémi Bezançon ?

« Barbara est très proche de moi, c’est vrai, raconte Éliette Abécassis. Lorsque je suis devenue mère, j’ai été surprise de la différence qu’il y avait entre le discours ambiant sur la maternité et ce que je ressentais. J’ai eu l’impression qu’on ne m’avait pas dit la vérité, qu’on m’avait caché tout ce qui se passe réellement quand on a un enfant. Parce qu’il y a cette image d’Épinal de l’heureux événement : quand on est enceinte, on s’imagine le petit bébé dans son couffin rose, les parents béats penchés sur le berceau, etc. Et en fait ce
qui m’est arrivé ce n’était pas du tout ça, enfin c’était ça aussi, mais pas seulement. »

J'en étais sûr ! Casser l'image d'Épinal, et donc forcément le charme qui s'en dégage, s'avère être la première volonté du film. C'est une réussite, car Un heureux évènement témoigne d'une volonté ferme de montrer comment l'amour naît (la rencontre entre Barbara et Nicolas et leur jeu de séduction par l'intermédiaire de DVDs est originale et franchement amusante), à quoi il mène (un enfant)... et comment il se désintègre au contact des difficultés de la vie !

Car le film, trahissant son titre, ironise sur la maternité et dresse un tableau fortement « d&
eacute;sépinalisé » de l'enfantement. Ici et comme l'explique le réalisateur, la forme est au service du sens : « il y a vraiment deux parties bien distinctes dans le film : avant et après l’accouchement. Le fantasme et la réalité d’un heureux événement. Avec un sas au milieu, un passage entre les deux, l’accouchement. La première partie est très onirique, on entre dans la subjectivité de Barbara, ce qu’elle ressent, ce qu’elle imagine, ce rêve d’amour parfait, cet idéalisme de la maternité. La mise en scène est donc plus posée, plus cadrée, plus travaillée esthétiquement, avec des mouvements de caméra fluides, des couleurs flamboyantes. Avec l’arrivée du bébé, le rideau de fantasme se déchire brutalement, le chaos de la vie reprend ses droits. »

style="margin-bottom: 0cm; font-style: normal;">Barbara se meut donc à grand-peine, vomit, se goinfre, crie, fait des cauchemars (ce qui nous vaut un passage en forme de thriller fort réussi) et seule la scène de l'accouchement réussit, dans sa dernière ligne droite certes, à se dégager de façon amusante du peloton des poncifs du genre.

Cet iconoclasme revendiqué prend même une tournure inattendue au creux des scènes érotiques étalées dans le film. Comme l'explique Éliette Abécassis lorsqu'elle s'adresse au réalisateur : « tu montres beaucoup les corps s’aimer, s’épouser, se séparer. Et tu mets à nu celui de Barbara d’une manière inédite. Dans l’iconographie de la femme-mère, je pense
qu’on est toujours imprégnés de l’image de la Vierge Marie, c’est-à-dire cette image de la femme intouchable, de la mère protégée par une aura de virginité, d’asexualité. Comme si la mère ne pouvait pas être femme aussi. Or, toi tu es allé totalement à l’encontre de cette iconographie, à coup de sensualité, d’esthétisme des corps, d’explosion des sens. Parce que la femme enceinte justement, elle est absolument dans la sexualité sinon elle ne serait pas mère, son corps existe bien plus encore, son ventre et ses seins débordent, elle a un appétit incroyable, elle vit dans une sorte de sursensualité, de surféminité. Et ça, Louise l’a magnifiquement incarné. »

La soif de réalisme qui brûle la scénariste prend
soudain des allures de libération (le réalisateur parle même dans le dossier de presse d'un film « féministe »). A lire ces lignes, on croirait que le modèle, la Vierge Marie, est une prison. L'icône, qui était un rêve, devient alors un repoussoir pour les femmes qui se livrent au plaisir. Allons plus loin : la Vierge empêche la mère d'être femme.

Arf ! Rien à faire ! On ne m'ôtera pas de l'esprit que cette vision des choses est simpliste... et donc irréaliste !

Mais remontons plus haut et intéressons-nous au moment où les parents décident (« où je veux ! Quand je veux ! Avec qui je veux ! » criait-on dans les années folles) d'avoir un
enfant. Dès ce moment là, on sent que ça va partir en cacahuète !

Il lui demande, et elle lui dit oui comme pour lui faire plaisir. Alors qu'il s'agit de détromper les femmes sur les horreurs de la maternité, seule les oies blanches sont écorchées par le film. Lorsque la mère de Barbara, incarné par une Josiane Balasko toujours prête à jouer les vulgaires attendrissantes, lui explique qu'elle a eu ses enfants parce que c'est ce qu'elle pouvait donner de plus beau à son homme, on essuie vite fait une petite larmichette au coin de l’œil, et on comprend pourquoi ça n'a pas duré. Quand l'enfant n'est qu'un cadeau, aussi beau soit-il, quand il n'est pas voulu pour lui-même c'est-à-dire par un amour désintéressé qui ira jusqu'au sacrifice, comment pourrait-il cimenter le couple ? Co-scé
nariste du film, Vanessa Portal s'esclaffe donc légitimement : « en regardant autour de nous, on s’est rendu compte que beaucoup de couples devenus parents se séparaient assez rapidement. C’est un véritable sujet de société dont on commence à peine à parler mais qui n’a jamais été traité au cinéma. L’Insee chiffre à environ 25% les couples qui se séparent consécutivement à la naissance de leur premier enfant. Je trouve ces chiffres complètement fous. Finalement, le livre parle de ça, de l’explosion du couple à l’arrivée du premier enfant, du « babyclash » comme on appelle ça aujourd’hui. »

On objectera utilement que, dans son synopsis lui-même, le film défend cette idée de sacrifice, mais on répondra
tout aussi pertinemment que la force devant le sacrifice ne s'improvise pas : elle se prépare. Comment peut-on se préparer au choc quand on ignore, au moment même où on s'apprête à le rencontrer, qu'il existe vraiment ?

Il est dès lors deux façons de voir le film. La première consiste à penser que le film, simplement réaliste, se borne à montrer une réalité noire, et la seconde, plus normative, à imaginer qu' Éliette Abécassis, regrettant qu'on ne l'ait pas prévenue, écrive un scénario pour le révéler à la face du monde et permettre aux femmes de s'y préparer. Elle répond elle-même à cette question et montre qu'elle hésite entre les deux chemins avant de choisir le second.

style="margin-bottom: 0cm; font-style: normal;">« C’est un vrai tabou aujourd’hui, explique-t-elle, la maternité est peut-être l’un des derniers tabous de notre société. Avoir un enfant c’est merveilleux, point. C’est une fable primitive dédiée à la pérennité de l’espèce humaine, un conte féerique qu’on sert aux femmes, où aucune clé n’est donnée pour affronter le choc émotionnel que ça engendre en réalité. C’est pour cette raison que j’ai voulu raconter l’envers du décor, pour lever ce tabou. Ce roman, je l’ai écrit au jour le jour, je décrivais ce qui m’arrivait, ce que je ressentais : cet amour fou mêlé à cette totale perte de repères. Bien sûr j’ai créé des personnages qui sont fictifs mais qui sont é
galement très proches de ma vie. Alors oui, d’accord, Barbara c’est un peu moi. C’est ma vérité en tout cas. »

De cette affirmation on peut en effet tirer trois conclusions.

D'une part le film veut montrer ce qui arrive aux pauvres diablesses qui font le choix de la maternité. C'est la prétention réaliste du film.

D'autre part la philosophe avoue raconter « l'envers du décor. » A ce stade là il ne s'agit donc plus d'être réaliste, à savoir de montrer les bons et les mauvais côtés de l'aventure, ou même qu'en temps normal les joies surpassent de loin les peines, mais pessimiste.

Enfin cette absence de réalisme ne saurait être
contestable dès lors que l'auteure affirme : « c'est ma vérité en tout cas, » car sa « vérité » est-elle conforme à la réalité ? Et si elle l'était, aurait-elle besoin d'affirmer que c'est la sienne ? Quand Éliette Abécassis affirme, toujours dans le dossier de presse, « qu'on croit encore qu’avoir un enfant resserre les liens du couple, c’est faux, » on ne peut que lui dire qu'elle généralise son cas personnel de femme qui rêvait du pays de Oui-Oui. Mais quand elle dit que du fait de la maternité « au contraire, s’il y a des problèmes, des ressentiments, des non-dits, ils risquent d’être encore plus pesants, s’il y a des failles elles deviendront béantes » et que « ce n’est pas le rôle d’un
enfant d’arranger les choses, »
on ne peut qu'être d'accord. Du coup, on a l'impression que les concepts défendus par la cinéaste ne croisent la réalité que par accident, malheur de toute philosophie idéaliste, qui ne conçoit de repère qu'en elle-même.

En définitive, on pourrait alors résumer la vision du film en citant l'auteur elle-même : « au lieu de m'avoir aidée à voir plus clair, la philosophie m'avait enfermée dans les concepts. »

Puissant aveu qui ne doit pas rester lettre morte.

Après la philosophie idéaliste, je propose d'essayer la philosophie réaliste, seule garantie de succès
pour les esprits en quête d'absolu.