Après une première mouture du scénario, les frères Wachovski ont écrit une deuxième version de l’adaptation cinématographique du roman graphique V pour Vendetta (1981, écrit par Alan Moore et illustré par David Lloyd) qui se révèle moins fidèle mais qui présente l’avantage d’être plus
moderne : « …l'oeuvre originale, très touffue, rassemblait un grand nombre de personnages, dont certains durent être amalgamés ou éliminés. Hormis ces changements, nous avons respecté de bout en bout les thèmes et le message de Moore et Lloyd » (James McTeigue, in Notes de production). Le but était effectivement de surtout garder l’esprit et le message de la bande dessinée tout en prenant une forme un peu différente. Le réalisateur et les scénaristes ont donc pris le parti de la difficulté en risquant de décevoir les admirateurs de l’œuvre originale.
La tyrannie sous laquelle survivent les londoniens est avant tout une atteinte à l’intégrité morale des individus. Le gouvernement en place dirigé par un chancelier autoritaire et nerveux (les rares moments où il apparaît à l’écran, il crie, s’agite et ordonne) maintient le peuple dans la peur et l’ignorance. L’ignorance d’un passé douteux, la peur de la mort et de la guerre. Ce qui importe, c’est l’obéissance
des sujets et pour cela tout est contrôlé : les divertissements, les sources d’informations médiatiques, la police… la vie privée des gens.
L’idée n’est pas nouvelle que ce soit dans la fiction ou dans la réalité et l’on sent dans les deux cas des influences plus ou moins lointaines. Dans certaines images, seuls les signes changent au cours de discours passionnés aux allures de nazisme. Mais c’est probablement dans la fiction que le concept a été le plus poussé. Ainsi l’œuvre a largement été influencée par 1984 de Georges Orwell où l’idéalisme socialiste fut porté à son paroxysme ou bien encore Fahrenheit 451 De Ray Bradbury où la pensée est immolée au profit du pouvoir.
Outre le raisonnement qui est le fruit de la réflexion de nombreux penseurs, l’esthétisme du film est en parfaite cohérence avec les idées développées. En effet, l’ambiance générale de l’œuvre témoigne adroitement du vent tyrannique qui
glace et fige le peuple dans sa crainte et sa fausse existence. Les images sont sombres tout au long de la pellicule et l’histoire se passe principalement en intérieur ou bien « dans un extérieur » obscure et hostile. Un univers fermé et oppressant règne tandis que dans son repaire un homme aiguise son « V ». Le rapprochement avec l’univers de la trilogie Matrix des frères Wachovski s’impose d’ailleurs surtout si l’on compare les équipes des deux films : mêmes scénaristes, même chorégraphe, même producteur (Grant Hill pour les deux derniers volets), même chef décorateur… et enfin, James McTeigue n’est autre que le premier assistant Des Wachovski lors de la série des Matrix.
Le personnage de V, interprété par Hugo Weaving, impitoyable Mr Smith dans Matrix, est remarquablement bien travaillé : Personne élégante et cultivée, cinéphile et intellectuel, constamment masqué, au terrible passé, V est une nouvelle sorte de héros qui ne manque pas non plus d’habilité
au lancer de couteau, armes favorites. La difficulté pour l’acteur était de jouer sans arrêt avec un masque et de faire passer tous les côtés humains et conceptuels de l’individu. Le résultat est excellemment bien maîtrisé : V, parfois amusant, est très attachant, humain et il force l’identification malgré son déguisement pour le moins carnavalesque. Quant à Nathalie Portman, on la sent vraiment impliqué dans son rôle plein de charme et de profondeur.
Le message du film est beau puisqu’il s’agit de se défendre contre la dictature. Mais il ne faut cependant pas s’arrêter à cette considération. Cette œuvre présente différents aspects : « V pour Vendetta fonctionne à plusieurs niveaux (...) On l'appréciera au premier degré pour son dynamisme, mais on s'intéressera aussi aux questions qu'il soulève quant à notre relation au pouvoir et à la tyrannie. Ce film évoque quantité de problèmes fascinants mais se garde bien de fournir des réponses toutes faites » (
Joel Silver, producteur, in Notes de production). En effet, nombre de guerres livrées pour la liberté ont été le théâtre d’excès et d’erreurs. La résistance de V n’est pas seulement une résistance politique mais c’est aussi une vengeance. V est un personnage complexe donc ces actions sont complexes. Il lutte à la fois pour le peuple de Londres et pour lui-même. Il entend bien se venger des expériences que l’on a faites sur lui jadis ce qui explique l’assassinat étrangement émouvant du médecin légiste. Cet homme ne connaît pas le pardon ni l’amour, il ne vit que pour sa vendetta. Il faut donc tout au long du film s’exercer à faire la part des choses car V est malgré tout un terroriste qui n’hésite pas à mettre la vie d’innocents en danger. Certes son objectif est noble mais ses moyens d’y parvenir ne sont pas toujours louables. Le passage évoqué ci-dessus dans lequel il « s’évertue » à faire disparaître la peur d’Evey est assez significatif. Cependant sa réaction est humaine ; sa nature a été transformée pour
faire de lui ce qu’il est devenu, un être sans peur et sans pitié prêt à tout pour servir son idéal, et il souhaite le partager avec la seule personne qui ne le laisse pas indifférent.
Comme le dit Joel Silver, le film ne donne pas de réponses toutes faites, il est ambigu. Or les spectateurs ont toujours un peu tendance à oublier les exactions du héros lorsque celui-ci leur est sympathique. Par conséquent, quand de tels enjeux moraux entrent en ligne de compte les réalisateurs ne peuvent se permettre de rester flous ou d’entretenir le doute en ne remettant pas en cause les actes du héros.
Un autre aspect inquiétant brille dans le tableau. La solution à la dictature semble être l’anarchie. Pour résoudre un excès, il en utilise un autre. S’il est honorable de vouloir conjurer la tyrannie en soulevant le peuple contre le chancelier, il est cependant regrettable de ne pas être ne mesure d’en maîtriser les
conséquences. Qui peut garantir qu’après la révolte du peuple une autre espèce de tyran, plus subtile, ne s’imposera pas au pouvoir ? Qui peut garantir que le peuple formera un tout homogène et cohérent orienté vers un même idéale altruiste ? Utopie ? Le risque est énorme… provoquer une guerre ne peut se justifier que si une solution de remplacement est prévue.
Ainsi, V pour Vendetta sous sa cape noir de la liberté dissimule des lames plus subversives.
Jean LOSFELD
moderne : « …l'oeuvre originale, très touffue, rassemblait un grand nombre de personnages, dont certains durent être amalgamés ou éliminés. Hormis ces changements, nous avons respecté de bout en bout les thèmes et le message de Moore et Lloyd » (James McTeigue, in Notes de production). Le but était effectivement de surtout garder l’esprit et le message de la bande dessinée tout en prenant une forme un peu différente. Le réalisateur et les scénaristes ont donc pris le parti de la difficulté en risquant de décevoir les admirateurs de l’œuvre originale.
La tyrannie sous laquelle survivent les londoniens est avant tout une atteinte à l’intégrité morale des individus. Le gouvernement en place dirigé par un chancelier autoritaire et nerveux (les rares moments où il apparaît à l’écran, il crie, s’agite et ordonne) maintient le peuple dans la peur et l’ignorance. L’ignorance d’un passé douteux, la peur de la mort et de la guerre. Ce qui importe, c’est l’obéissance
des sujets et pour cela tout est contrôlé : les divertissements, les sources d’informations médiatiques, la police… la vie privée des gens.
L’idée n’est pas nouvelle que ce soit dans la fiction ou dans la réalité et l’on sent dans les deux cas des influences plus ou moins lointaines. Dans certaines images, seuls les signes changent au cours de discours passionnés aux allures de nazisme. Mais c’est probablement dans la fiction que le concept a été le plus poussé. Ainsi l’œuvre a largement été influencée par 1984 de Georges Orwell où l’idéalisme socialiste fut porté à son paroxysme ou bien encore Fahrenheit 451 De Ray Bradbury où la pensée est immolée au profit du pouvoir.
Outre le raisonnement qui est le fruit de la réflexion de nombreux penseurs, l’esthétisme du film est en parfaite cohérence avec les idées développées. En effet, l’ambiance générale de l’œuvre témoigne adroitement du vent tyrannique qui
glace et fige le peuple dans sa crainte et sa fausse existence. Les images sont sombres tout au long de la pellicule et l’histoire se passe principalement en intérieur ou bien « dans un extérieur » obscure et hostile. Un univers fermé et oppressant règne tandis que dans son repaire un homme aiguise son « V ». Le rapprochement avec l’univers de la trilogie Matrix des frères Wachovski s’impose d’ailleurs surtout si l’on compare les équipes des deux films : mêmes scénaristes, même chorégraphe, même producteur (Grant Hill pour les deux derniers volets), même chef décorateur… et enfin, James McTeigue n’est autre que le premier assistant Des Wachovski lors de la série des Matrix.
Le personnage de V, interprété par Hugo Weaving, impitoyable Mr Smith dans Matrix, est remarquablement bien travaillé : Personne élégante et cultivée, cinéphile et intellectuel, constamment masqué, au terrible passé, V est une nouvelle sorte de héros qui ne manque pas non plus d’habilité
au lancer de couteau, armes favorites. La difficulté pour l’acteur était de jouer sans arrêt avec un masque et de faire passer tous les côtés humains et conceptuels de l’individu. Le résultat est excellemment bien maîtrisé : V, parfois amusant, est très attachant, humain et il force l’identification malgré son déguisement pour le moins carnavalesque. Quant à Nathalie Portman, on la sent vraiment impliqué dans son rôle plein de charme et de profondeur.
Le message du film est beau puisqu’il s’agit de se défendre contre la dictature. Mais il ne faut cependant pas s’arrêter à cette considération. Cette œuvre présente différents aspects : « V pour Vendetta fonctionne à plusieurs niveaux (...) On l'appréciera au premier degré pour son dynamisme, mais on s'intéressera aussi aux questions qu'il soulève quant à notre relation au pouvoir et à la tyrannie. Ce film évoque quantité de problèmes fascinants mais se garde bien de fournir des réponses toutes faites » (
Joel Silver, producteur, in Notes de production). En effet, nombre de guerres livrées pour la liberté ont été le théâtre d’excès et d’erreurs. La résistance de V n’est pas seulement une résistance politique mais c’est aussi une vengeance. V est un personnage complexe donc ces actions sont complexes. Il lutte à la fois pour le peuple de Londres et pour lui-même. Il entend bien se venger des expériences que l’on a faites sur lui jadis ce qui explique l’assassinat étrangement émouvant du médecin légiste. Cet homme ne connaît pas le pardon ni l’amour, il ne vit que pour sa vendetta. Il faut donc tout au long du film s’exercer à faire la part des choses car V est malgré tout un terroriste qui n’hésite pas à mettre la vie d’innocents en danger. Certes son objectif est noble mais ses moyens d’y parvenir ne sont pas toujours louables. Le passage évoqué ci-dessus dans lequel il « s’évertue » à faire disparaître la peur d’Evey est assez significatif. Cependant sa réaction est humaine ; sa nature a été transformée pour
faire de lui ce qu’il est devenu, un être sans peur et sans pitié prêt à tout pour servir son idéal, et il souhaite le partager avec la seule personne qui ne le laisse pas indifférent.
Comme le dit Joel Silver, le film ne donne pas de réponses toutes faites, il est ambigu. Or les spectateurs ont toujours un peu tendance à oublier les exactions du héros lorsque celui-ci leur est sympathique. Par conséquent, quand de tels enjeux moraux entrent en ligne de compte les réalisateurs ne peuvent se permettre de rester flous ou d’entretenir le doute en ne remettant pas en cause les actes du héros.
Un autre aspect inquiétant brille dans le tableau. La solution à la dictature semble être l’anarchie. Pour résoudre un excès, il en utilise un autre. S’il est honorable de vouloir conjurer la tyrannie en soulevant le peuple contre le chancelier, il est cependant regrettable de ne pas être ne mesure d’en maîtriser les
conséquences. Qui peut garantir qu’après la révolte du peuple une autre espèce de tyran, plus subtile, ne s’imposera pas au pouvoir ? Qui peut garantir que le peuple formera un tout homogène et cohérent orienté vers un même idéale altruiste ? Utopie ? Le risque est énorme… provoquer une guerre ne peut se justifier que si une solution de remplacement est prévue.
Ainsi, V pour Vendetta sous sa cape noir de la liberté dissimule des lames plus subversives.