Vipère Au Poing

Film : Vipère Au Poing (2004)

Réalisateur : Philippe de Broca

Acteurs : Catherine Frot (Mme Rezeau, dite Folcoche), Jules Sitruk (Jean Rezeau), Jacques Villeret (M. Rezeau), Cherie Lunghi (Miss Chilton)

Durée : 01:40:00


En adaptant le premier volet d’une trilogie autobiographique rédigée par Hervé Bazin entre 1948 et 1972, Philippe de Broca, entraîne le spectateur à travers la terrible enfance de l’auteur. Ce dernier est campé par le talentueux et convaincant Jules Sitruk (Monsieur Batignole, 2002). A la mort de leur grand-mère aimante, deux enfants, Jean (Hervé Bazin) et Ferdinand Rezeau, sont confiés à leurs parents revenus d’Indochine à cette occasion.

 

            Les enfants Rezeau découvrent alors leurs parents qu’ils ne connaissent pas vraiment. Les illusions vont vite être brisées. Ils vont en effet rencontrer une mère tyrannique et méchante, interprétée par Catherine Frot [Un air de famille (1996) – César de la meilleure actrice dans un second rôle –, Le dîner de cons (1998), Marguerite (2015) – César de la meilleure actrice –, Sage Femme (2017)]. L’actrice parvient à donner au personnage tout son caractère et sa méchanceté, notamment par des jeux de regards violents et noirs. Cette mère s’empressera d’imposer sa dictature à travers des directives drastiques et spartiates. Tout confort et tout amusement, comme les récréations, le chauffage ou encore les bons repas, sont supprimés. Ils sont remplacés par des travaux quotidiens pénibles et contraignants, au service de leur marâtre. Surnommée « Folcoche » (contraction de folle et de cochonne) par les garçons, Paule Rezeau réussit à anéantir l’image même d’une mère aimante et douce. Il s’agit en effet d’une femme violente qui semble étrangère à toute forme de tendresse et d’attention, sauf pour sa collection de timbres. C’est dans ce climat que les enfants, constamment humiliés, que ce soit à table, lors de fêtes données par la mère ou au moment de la confession publique, vont développer un sentiment de haine envers Folcoche. La vengeance devient alors leur principale motivation. Jean s’avère être le fils que Folcoche déteste le plus car il est celui qui oppose la plus grande résistance. Comme lui-même le disait : « Les vipères, ça me connaît ». Leur mère est si détestable à leurs yeux que les enfants se réjouissent de sa maladie, « Folcoche va crever », et souhaitent sa mort à plusieurs reprises. Jean adresse alors cette prière à Dieu : « [Pouvez-vous] rappeler ma mère auprès de vous ? La garder là-haut définitivement ? ». Le spectateur pénètre alors dans cette « famille » mauvaise qui n'est mue que par la haine que les uns et les autres partagent. Et le père dans tout cela ? car oui, il y a bien un père, joué par le célèbre Jacques Villeret [La soupe aux choux (1981), Papy fait de la résistance 1983, Le dîner de cons –  César du meilleur acteur dans un second rôle pour son personnage de Francois Pignon – (1998)]. Aimant ses enfants mais totalement dépourvu d’autorité, écrasé par sa femme tyrannique, Jacques Rezeau préfère se réfugier auprès de ses mouches. En l’absence de sa femme, le père partage avec ses fils les seuls moments de bonheur et de joie. A lui seul, ce film détruit tous les clichés de la supériorité du maître de maison sur sa femme !

 

            Vipère au poing, nous montre la méchanceté et la violence d’une femme envers ses enfants. Cependant, on oublie généralement de constater que les enfants eux-mêmes sombrent peu à peu dans cette haine, surtout le petit Jean : « A mon tour j’étais devenu un bourreau ». Le comportement de ce dernier semble excusable par rapport à ce que sa mère a pu lui faire subir. Pourtant, le sentiment de haine, que l’on alimente, est-il excusable ? Tous sont à blâmer. L’ambiance est parfois malsaine et nourrit ce terrible climat. Néanmoins, le film Vipère au poing n’atteint pas la noirceur et la violence du texte d’Hervé Bazin. Le comique de certaines répliques et le jeu des acteurs permettent de ne pas rendre le film insupportable ou trop pesant. Sur ce point-là, le téléfilm de 1975, réalisé par Pierre Cardinal, était plus dans la lignée du roman. Il est dommage que Philippe de Broca ne nous permette pas de voir la réelle évolution entre les personnages. Que s’est-il passé par la suite ? Se sont-ils réconciliés, aimés ? Le tout reste alors assez plat. Finalement le film est ambigu et parfois caricatural, voire ridicule. C’est le cas de la religion catholique, largement caricaturée dans ce film. On y retrouve le curé vulgaire, le prêtre tyrannique et les sacrilèges des enfants dans la chapelle. Dieu est pris à témoin des mauvais désirs de Jean, jusqu'à ce que ce dernier le renie, en affirmant qu'il ne peut pas prier le Dieu que prie sa mère.

 

            Le réalisateur vise à peindre les mœurs de la société aisée. Il nous fait également comprendre que le comportement des enfants est dû à l’éducation qu’ils ont reçue de leurs parents. Ce ne serait alors pas de leur faute s’ils sont méchants, manipulateurs ou tyranniques. Il ne faudrait s’en prendre qu’à ceux qui les ont éduqués. Les enfants semblent alors piégés dans le carcan familial, privés de toute liberté et conditionnés par les enseignements qui leurs sont donnés. C’est cette image de la famille qui ressort de ce film.

           

            Dernier film de Philippe de Broca, Vipère au poing ne semble pas être à la hauteur des attentes des spectateurs, surtout de ceux qui ont lu le roman ou vu le téléfilm, en dépit de la qualité du jeu des acteurs. Néanmoins, il permet de découvrir, dans un spectacle qui n’est assurément pas de ceux que l’on peut recommander de voir en famille, en raison de l’image dégradée qu’elle donne de cette dernière, une partie de l’enfance difficile de ce grand auteur de la littérature française que fut Hervé Bazin.