Faire un film sur une invasion extraterrestre constitue un risque tant le sujet a été traité sous
des angles variés allant de Independance Day à District 9 en passant par Mars Attacks et Starship Troopers. Par ailleurs il s’agit également d’un film de guerre, genre largement visité. La combinaison des deux est assez logique et fréquente puisque le meilleur rempart contre une invasion est l’armée (et la science dans certain cas). Malgré tout, ce film présente des qualités qui lui permettent de rejoindre sans honte ses prédécesseurs. Par exemple les motifs d’invasion de la terre sont assez originaux : la récupération de l’eau qui est une source d’énergie exceptionnelle dans l’univers. Les cinéastes confondent tout de même la notion d’invasion et de colonisation en faisant dire très doctement à un scientifique que l’extermination de l’indigène est la règle d’or de toute colonisation.
Le scénario, assez linéaire, fait entrer brutalement le spectateur dans l’action comme pour
le mettre dans la peau d’un journaliste qui débarque dans une base pour faire son reportage. C’est seulement dans un second temps que le scénariste nous dresse le portrait des différents protagonistes. Cette phase de description et de mise en situation est trop imprécise pour bien mémoriser les personnages et surtout pour s’y attacher, quand bien même l’un d’eux dit au revoir à sa femme enceinte. Cela a cependant le mérite de montrer qu’ils ne sont que des pions et que ce qui va leur arriver aurait pu tomber sur d’autres marines. C’est aussi une manière de renforcer l’idée d’un spectateur plongé au cœur de l’action, qui ne connaît rien ni personne et qui apprend les choses au fur et à mesure. Le personnage du sergent Nantz est également construit dans ce sens. On apprend son histoire accidentellement au détour d’un couloir, dans une discussion, une dispute, une remarque… Les cinéastes nous laissent finalement la tâche de réaliser nous-mêmes le portrait des personnages tels des reporters.
style="font-family: Cambo, arial, helvetica, sans-serif; font-size: small" class="Apple-style-span">
La photographie de l’œuvre a donc été pensée de manière cohérente et s’inscrit dans une tradition stylistique post 11 septembre maintenant bien rôdée : le réalisme, que l’on retrouve à titre d’exemple dans Cloverfield (2008) ou District 9 (2009). Filmé essentiellement en camera épaule, avec quelques changements grossiers (mais volontaires) de focale, on n’entre cependant pas totalement dans le style caméra amateur de Cloverfield, et le spectateur est balloté entre les vues objectives et subjectives, ce qui favorise l'immersion. Selon le producteur Ori Marmur, « World Invasion : Battle Los Angeles offre les scènes d’action et l’énergie d’un grand film, mais aussi l’aspect brut et réaliste d’un documentaire. Nous avons travaillé avec Lukas Ettlin, un directeur de la photographie extraordinaire qui a rassemblé un groupe de cadreurs incroyables. Ils ont filmé sur les camions, sous les
voitures, à travers des vitres brisées et à quelques centimètres des explosions pour saisir l’action sous tous les angles. Ils ont aussi tourné en hélicoptère, sous l’eau et même dans les flammes ». Quant à l'image à proprement parler, son contraste et sa saturation sans artifice accentuent la sensation de réalisme.
Paradoxalement, la musique très présente et relativement lourde maintient le spectateur dans la fiction et renforce efficacement le suspense. En dehors de la musique, toute la réalisation est travaillée pour rendre crédible l'impossible. Ainsi, les effets spéciaux sont non seulement impressionnants de finesse et de créativité mais s'intègrent parfaitement bien à la réalité crue des décors. Les créatures extraterrestres ont elles aussi bénéficié d'un soin tout particulier. Inspirés de diverses espèces marines et terrestres, les envahisseurs ont une morphologie
précise que nos héros n’hésiteront pas à disséquer pour en révéler les faiblesses.
Bien que les acteurs offrent une prestation sans faille, la principale faiblesse de ce métrage sera sans doute l'utilisation fréquente de codes et de clichés essentiellement empruntés au film de guerre. Ainsi Aaron Eckart endosse le rôle d'un sergent torturé par la perte de ses hommes dans une mission qui a mal tourné. Il est d'ailleurs appelé au front au moment où il avait pris la décision de quitter l'uniforme. Cela n'enlève rien du charisme de l'acteur qui fait passer l'émotion par des attitudes et expressions d'une grande simplicité.
Un peu sur le modèle de La Chute du faucon noir, World Invasion suit un petit groupe de soldats pris au piège dans une ville, Los Angeles. C’
est alors leurs capacités militaires qui sont mises à l’honneur et surtout leurs qualités humaines. C’est un film sur le courage et la détermination où la devise de l’escouade est « Reculer, jamais ! ». C’est aussi un film sur le commandement. Le sergent Nantz est lui-même sous les ordres d’un lieutenant moins expérimenté qui commande pour la première fois en conditions réelles. Loin de chercher à prendre sa place, Nantz cherchera à le replacer dans son statut de chef à chaque fois qu’il se sentira dépassé en lui rappelant avec respect que c’est à lui de prendre une décision. Alors que Nantz se sait détesté par certains marines qui le croient responsable de la mort de ses hommes lors de sa dernière « rotation », il parviendra à les conquérir par son comportement exemplaire, parfois héroïque (toujours dans la simplicité). Le film répond donc aux exigences du genre car un film de guerre n’a d’intérêt que s’il tend à montrer les vertus de ceux qui se sacrifient. On échappe donc, même si
les dialogues et les actions relèvent du cliché, au film de guerre terre-à-terre qui n’a pour objet que la violence.
La guerre est souvent source de questions morales complexes, telle que la possibilité d’achever un blessé, exécuter un prisonnier, désobéir à un ordre… Ici, deux situations doivent retenir l’attention. Tout d’abord, les marines parviennent à capturer un extraterrestre blessé. Ils se mettent alors à l’autopsier vivant en frappant dans tout ce qui ressemble à un organe pour trouver une faiblesse létale. Cette action peut s’apparenter à de la torture et à une exécution formelle (quand ils trouvent enfin le bon organe). Evidemment, cette situation est impossible puisque a priori les extraterrestres n’existent pas. Cependant, il est nécessaire pour leur survie de savoir comment est fait l’ennemi, dont on peut considérer que cette action se justifie par la nécessité et l’
urgence. Ensuite, le lieutenant Martinez grièvement blessé se fait sauter avec tout son C-4 pour annihiler l’ennemi et permettre aux autres de s’enfuir. On pense d’emblée au suicide et il est difficile de croire qu’il n’existait aucune autre option. Toutefois, Martinez n’était très probablement pas dans une intention de suicide mais plutôt dans une volonté de sacrifice, et la cause en valait la peine. De même il a pu lui sembler qu’il n’y avait pas d’autres solutions. La question s’est déjà posé dans le cas du sacrifice d’un soldat qui plonge sur une grenade pour sauver les autres. Nantz obéit certes à un ordre en le laissant exploser mais il aurait sans doute dû essayer de le sauver.
Jean LOSFELD
Faire un film sur une invasion extraterrestre constitue un risque tant le sujet a été traité sous
des angles variés allant de Independance Day à District 9 en passant par Mars Attacks et Starship Troopers. Par ailleurs il s’agit également d’un film de guerre, genre largement visité. La combinaison des deux est assez logique et fréquente puisque le meilleur rempart contre une invasion est l’armée (et la science dans certain cas). Malgré tout, ce film présente des qualités qui lui permettent de rejoindre sans honte ses prédécesseurs. Par exemple les motifs d’invasion de la terre sont assez originaux : la récupération de l’eau qui est une source d’énergie exceptionnelle dans l’univers. Les cinéastes confondent tout de même la notion d’invasion et de colonisation en faisant dire très doctement à un scientifique que l’extermination de l’indigène est la règle d’or de toute colonisation.
Le scénario, assez linéaire, fait entrer brutalement le spectateur dans l’action comme pour
le mettre dans la peau d’un journaliste qui débarque dans une base pour faire son reportage. C’est seulement dans un second temps que le scénariste nous dresse le portrait des différents protagonistes. Cette phase de description et de mise en situation est trop imprécise pour bien mémoriser les personnages et surtout pour s’y attacher, quand bien même l’un d’eux dit au revoir à sa femme enceinte. Cela a cependant le mérite de montrer qu’ils ne sont que des pions et que ce qui va leur arriver aurait pu tomber sur d’autres marines. C’est aussi une manière de renforcer l’idée d’un spectateur plongé au cœur de l’action, qui ne connaît rien ni personne et qui apprend les choses au fur et à mesure. Le personnage du sergent Nantz est également construit dans ce sens. On apprend son histoire accidentellement au détour d’un couloir, dans une discussion, une dispute, une remarque… Les cinéastes nous laissent finalement la tâche de réaliser nous-mêmes le portrait des personnages tels des reporters.
style="font-family: Cambo, arial, helvetica, sans-serif; font-size: small" class="Apple-style-span">
La photographie de l’œuvre a donc été pensée de manière cohérente et s’inscrit dans une tradition stylistique post 11 septembre maintenant bien rôdée : le réalisme, que l’on retrouve à titre d’exemple dans Cloverfield (2008) ou District 9 (2009). Filmé essentiellement en camera épaule, avec quelques changements grossiers (mais volontaires) de focale, on n’entre cependant pas totalement dans le style caméra amateur de Cloverfield, et le spectateur est balloté entre les vues objectives et subjectives, ce qui favorise l'immersion. Selon le producteur Ori Marmur, « World Invasion : Battle Los Angeles offre les scènes d’action et l’énergie d’un grand film, mais aussi l’aspect brut et réaliste d’un documentaire. Nous avons travaillé avec Lukas Ettlin, un directeur de la photographie extraordinaire qui a rassemblé un groupe de cadreurs incroyables. Ils ont filmé sur les camions, sous les
voitures, à travers des vitres brisées et à quelques centimètres des explosions pour saisir l’action sous tous les angles. Ils ont aussi tourné en hélicoptère, sous l’eau et même dans les flammes ». Quant à l'image à proprement parler, son contraste et sa saturation sans artifice accentuent la sensation de réalisme.
Paradoxalement, la musique très présente et relativement lourde maintient le spectateur dans la fiction et renforce efficacement le suspense. En dehors de la musique, toute la réalisation est travaillée pour rendre crédible l'impossible. Ainsi, les effets spéciaux sont non seulement impressionnants de finesse et de créativité mais s'intègrent parfaitement bien à la réalité crue des décors. Les créatures extraterrestres ont elles aussi bénéficié d'un soin tout particulier. Inspirés de diverses espèces marines et terrestres, les envahisseurs ont une morphologie
précise que nos héros n’hésiteront pas à disséquer pour en révéler les faiblesses.
Bien que les acteurs offrent une prestation sans faille, la principale faiblesse de ce métrage sera sans doute l'utilisation fréquente de codes et de clichés essentiellement empruntés au film de guerre. Ainsi Aaron Eckart endosse le rôle d'un sergent torturé par la perte de ses hommes dans une mission qui a mal tourné. Il est d'ailleurs appelé au front au moment où il avait pris la décision de quitter l'uniforme. Cela n'enlève rien du charisme de l'acteur qui fait passer l'émotion par des attitudes et expressions d'une grande simplicité.
Un peu sur le modèle de La Chute du faucon noir, World Invasion suit un petit groupe de soldats pris au piège dans une ville, Los Angeles. C’
est alors leurs capacités militaires qui sont mises à l’honneur et surtout leurs qualités humaines. C’est un film sur le courage et la détermination où la devise de l’escouade est « Reculer, jamais ! ». C’est aussi un film sur le commandement. Le sergent Nantz est lui-même sous les ordres d’un lieutenant moins expérimenté qui commande pour la première fois en conditions réelles. Loin de chercher à prendre sa place, Nantz cherchera à le replacer dans son statut de chef à chaque fois qu’il se sentira dépassé en lui rappelant avec respect que c’est à lui de prendre une décision. Alors que Nantz se sait détesté par certains marines qui le croient responsable de la mort de ses hommes lors de sa dernière « rotation », il parviendra à les conquérir par son comportement exemplaire, parfois héroïque (toujours dans la simplicité). Le film répond donc aux exigences du genre car un film de guerre n’a d’intérêt que s’il tend à montrer les vertus de ceux qui se sacrifient. On échappe donc, même si
les dialogues et les actions relèvent du cliché, au film de guerre terre-à-terre qui n’a pour objet que la violence.
La guerre est souvent source de questions morales complexes, telle que la possibilité d’achever un blessé, exécuter un prisonnier, désobéir à un ordre… Ici, deux situations doivent retenir l’attention. Tout d’abord, les marines parviennent à capturer un extraterrestre blessé. Ils se mettent alors à l’autopsier vivant en frappant dans tout ce qui ressemble à un organe pour trouver une faiblesse létale. Cette action peut s’apparenter à de la torture et à une exécution formelle (quand ils trouvent enfin le bon organe). Evidemment, cette situation est impossible puisque a priori les extraterrestres n’existent pas. Cependant, il est nécessaire pour leur survie de savoir comment est fait l’ennemi, dont on peut considérer que cette action se justifie par la nécessité et l’
urgence. Ensuite, le lieutenant Martinez grièvement blessé se fait sauter avec tout son C-4 pour annihiler l’ennemi et permettre aux autres de s’enfuir. On pense d’emblée au suicide et il est difficile de croire qu’il n’existait aucune autre option. Toutefois, Martinez n’était très probablement pas dans une intention de suicide mais plutôt dans une volonté de sacrifice, et la cause en valait la peine. De même il a pu lui sembler qu’il n’y avait pas d’autres solutions. La question s’est déjà posé dans le cas du sacrifice d’un soldat qui plonge sur une grenade pour sauver les autres. Nantz obéit certes à un ordre en le laissant exploser mais il aurait sans doute dû essayer de le sauver.
Jean LOSFELD