À Deriva

Film : À Deriva (2009)

Réalisateur : Heitor Dhalia

Acteurs : Vincent Cassel (Mathias), Deborah Bloch (Clarice), Laura Neiva (Filipa), Camilla Belle (Àngela) .

Durée : 01:41:00


Le scénario n'est pas de ceux qui jaillissent brutalement dans l'instant inattendu d'un éclair de génie. Loin s'en faut... Tout part d'une idée assez quelconque depuis laquelle les mailles de l'intrigue vont se nouer progressivement. « Un jour, au volant de ma voiture, j'ai eu cette idée d'une jeune fille trouvant son père au lit avec sa maîtresse. A partir de là, les autres éléments sont venus se greffer. […] Plus tard, j'ai réalisé que le thème central de mon film était celui du passage à l'âge adulte et de la perte de l'innocence. » (Heitor Dhalia, in Dossier de presse). Pas de quoi fouetter un chat donc, malgré que le tout soit à peu près bien construit : pas d'incohérence criante, un script assez bien monté qui empêche de s'ennuyer trop souvent.

Laura Neiva, qui interprète Filipa dans ce premier rôle de sa carrière et n'a pas de cours de comédie à son actif, montre un talent assez prometteur, pourvu qu'il soit complété par un savoir-faire authentique. Sa force : son côté naturel. Sa faiblesse : son côté naturel. En bref elle sait rester naturelle... Mais dans les scènes où il faudrait un peu plus théâtraliser, son jeu devient plat. Peut-être est-ce cette formation accélérée qu'elle a dû suivre, axée principalement sur l'improvisation (« Dans l'atelier, nous avons fait beaucoup d'exercices et d'improvisation, parfois en groupe. » raconte Laura Neiva, dans le dossier de presse). Quoiqu'il en soit, il en ressort une interprétation tout à fait honorable. Devrait-on la retrouver par la suite ? « Oui ! J'étudie déjà l'art dramatique à l'Ecole Célia Helena. Ce n'est qu'un cours pour débutants, mais j'ai l'intention de suivre un cours plus avancé dès que j'aurais plus de temps libre. » (Laura Neiva, in Dossier de presse). Alors à la revoyure comme on dit !

Par ailleurs, pour la première fois que Vincent Cassel joue un rôle qui ne soit pas sombre, sordide ou violent, il faut que ce soit au Brésil. Et il ne s'en sort pas si mal ! Peut-être parce que Mathias, l'écrivain célèbre qu'il interprète, est un père-enfant, partageant sa paternité entre immaturité et gravité. Toujours est-il qu'il parvient à émouvoir efficacement : « Vincent est un acteur généreux, très expansif, qui collabore beaucoup, fait des propositions. Lors des scènes de repas en famille, il ne laissait jamais l'ambiance rester trop statique, il jouait avec les objets, animait les choses. » (Heitor Dhalia, in Dossier de presse).

Face à lui, très peu connue en France, une Debora Bloch au sommet de son art. Issue du théâtre, fille du comédien Jonas Bloch, il lui fallait jouer une Clarice tourmentée, froide mais surtout pas antipathique. Le moindre écart d'interprétation aurait été fatal pour le film tant son personnage est central. Et comme tous les excellents acteurs ont chacun un « je n'sais quoi » qui les rend différents, elle nous explique comment elle s'est appuyée sur son omniscience pour réussir à camper son personnage : « Cette « face cachée » de Clarice est ce qui rend son personnage intéressant, plus complexe, et le film si original. Elle la retire du camp des victimes et la met dans celui des causeurs de trouble. C'est formidable, en tant qu'actrice, de savoir quelque chose que le spectateur ne sait pas. J'ai essayé de jouer le rôle en gardant cette information à l'intérieur de moi et en nourrissant les scènes. » (Deborah Bloch, in Dossier de presse). Un défi sans aucun doute réussi !

Un père trop faible pour être fidèle, et pas assez malin pour ne pas laisser traîner une photo de sa maîtresse dans son bureau ; une mère trop portée sur l'alcool et pas assez sur la fidélité : ce film aurait pu être français !

Bien que le film flirte avec le thème de l'inceste, le but avoué n'est pas centré sur la relation parentale ou conjugale mais bien sur Filipa, sur le passage de l'enfance à l'âge adulte. Filipa est ainsi plongée dans un contexte endogène difficile, celui de l'adolescence, et dans un contexte exogène déstabilisant, celui d'un drame familial. Celui de l'adolescence, d'abord, où le principal souci serait de savoir quand, où et comment se faire déflorer, mais également de comprendre la relation conjugale qui réunit ses parents plus qu'elle ne les unit. Même s'il est évident que le passage de la puberté engendre un certain nombre de questions et de sensations nouvelles, le film en sortirait grandi s'il consentait ne serait-ce qu'à suggérer d'autres alternatives que les patins goulus et les dépucelages sur le pouce. Heureusement que ce type de choix, s'il est malheureusement bien répandu, n'en est pas pour autant une fatalité.

Le questionnement de l'adolescente sur ses parents est quant à lui perçu de manière beaucoup plus fine. On pourrait discerner quatre phases : d'abord le moment où Filipa apprend le fait déstabilisant (son père a une maîtresse, sa mère boit et quitte sa famille), ensuite celui où elle essaie de comprendre ce qui se passe, celui où elle se révolte contre les faits, et enfin celui où elle résout à sa manière les paradoxes de la réalité. Le tout est assez bien dépeint dans l'ensemble, qui montre en fin de compte la complexité d'un processus qui n'est pas propre à l'adolescence.

Pourtant il est une question gênante : doit-on vivre ce genre d'expérience pour passer à l'âge adulte ? Le film s'étant fixé ce dilemme comme objectif, on pourrait penser que oui. Pourtant il semble que ce type d'épreuve affaiblisse plutôt qu'il ne renforce. Comment Filipa pourra-t-elle vivre une vie de couple épanouie avec l'exemple catastrophique que lui auront donné ses parents ? Car c'est la réponse à cette question qui conditionne véritablement le passage de l'enfance à l'âge adulte ! Contrairement à l'adulte, l'enfant ne sait pas construire. Mais pour savoir construire il faut l'avoir appris. Contrairement à l'idée ambiante du film ce nest pas la désillusion qui fait passer à l'âge adulte, mais bien cette responsabilisation et cette capacité à bâtir son édifice malgré les ouragans de la vie qu'on appelle « éducation. »

Cette idée fausse est néanmoins très présente dans notre époque, où l'on pense que montrer des réalités dures à un enfant vont l'aguerrir, alors qu'elles ne font que l'affaiblir. Films et jeux vidéos violents, étalages de sexualité, etc. ont continuellement, au même titre que la sur-protection de l'enfant, des effets particulièrement néfastes !

Ce film est donc l'approche très personnelle d'une question auquel il répond mal, devenant l'esquisse de ce qui aurait mérité d'être un tableau abouti.

Raphaël JODEAU