L'Armée des Ombres

Film : L'Armée des Ombres (1969)

Réalisateur : Jean-Pierre Melville

Acteurs : Lino Ventura (Philippe Gerbie), Simone Signoret (Mathilde), Paul Meurisse (Luc Jardie), Jean-Pierre Cassel (Jean-François)

Durée : 02:20:00


Le célèbre roman de Joseph Kessel publié en 1943 est ici adapté magistralement par le cinéaste Jean-Pierre Melville, déjà réalisateur de Léon Morin prêtre, Le doulos et Le deuxième souffle. Melville reste assez fidèle au roman tout en y insufflant certains de ses propres souvenirs, le réalisateur ayant été lui-même engagé dans la résistance et la campagne de France de 1944. Il s’inspire notamment des réseaux Cohors-Asturie et de la confrérie Notre-Dame.

Du reste, les personnages principaux s’inspirent chacun de différentes grandes figures de la résistance. Pierre Gerbier, interprété par l’immense Lino Ventura, renvoie aux figures de Jean-Pierre Bloch, ministre socialiste et militant antiraciste, et à celle de Paul Rivière, assistant du général de Gaulle, Luc Jardie, incarné par Paul Meurisse, fait référence à Jean Cavaillès, Pierre Brossolette et Jean Moulin. Quant à Mathilde, jouée par Simone Signoret et son regard pénétrant, elle renvoie surtout à la personnalité de Lucie Aubrac. Ajoutons que André Dewavrin, alias le colonel Passy, interprète son propre rôle dans le film.

Une telle référence à l’histoire réelle de la résistance assure un cachet véridique au film et un grand sens du réalisme. Du reste, Melville sera le premier réalisateur à rompre la coutume consistant à ne pas filmer d’acteurs allemands sur les Champs-Élysée dans la scène d’ouverture du film, scène dont il fut le plus fier. La petite histoire de ces agents isolés menant un combat désespéré pour la libération et l’honneur de leur pays rejoint ainsi la grande histoire de la résistance en France.

Le film est avant tout marqué par la sobriété et la lenteur, y compris lors de la scène d’évasion de Gerbier. Le cinéaste prend son temps pour installer l’atmosphère que devait être celle l’occupation allemande et des réseaux clandestins. Il s’attarde également sur les petits faits de la vie quotidienne de ces agents de l’ombre. Ici, pas de scènes spectaculaires d’attentats ou de fusillades, celles-ci sont seulement évoquées. Ce qui est surtout souligné est la vie quotidienne et semi-clandestine de ces héros de l’ombre, obligés de fuir et se cacher régulièrement pour échapper à l’occupant et accomplir leur mission. Cette présentation du sujet rappelle justement que la résistance fut également affaire de survie.

Le film insiste également sur la difficulté des initiatives à prendre dans un tel contexte, notamment les exécutions d’un traître ou même de Mathilde. Cela rappelle que la résistance n’est pas seulement faite de moments glorieux et exaltants, mais aussi d'histoires pénibles, avec des décisions difficiles à prendre dont certaines, disons-le franchement, sont tout à fait immorales.

Le tout reste un beau témoignage et le meilleur des hommages à ces héros très discrets et tragiques.