The Immigrant

Film : The Immigrant (2013)

Réalisateur : James Gray

Acteurs : Marion Cotillard (Ewa Cybulski), Joaquin Phoenix (Bruno Weiss), Jeremy Renner (Orlando le Magicien), Dagmara Dominczyk (Belva)

Durée : 01:57:00


Ewa (Marion Cotillard) est une réfugiée polonaise aux USA, cherchant à gagner de l'argent à tout prix, pour sortir sa sœur de la grande infirmerie où les tuberculeux sont arrêtés au débarquement, avant d'être expulsés. Son destin la conduit à un véritable calvaire pour se sortir de ce rêve américain brisé. Place donc au cauchemar américain, dans les rues malfamées, la faim, la peur, le froid, la soumission, l'indignité, dans une histoire où le courage et l'amour fraternel donnent une force puissante à la malheureuse.

Peut-on accepter un état de vie immoral en visant un plus grand bien ? C'est la question posée par le film, particulièrement dans une scène de confessionnal franchement poignante. Est-ce la fin qui justifie les moyens? Pèche-t-on si on est contraint à pécher, si on n'est pas libre? Croyante, l'héroïne est tiraillée entre l'amour pour sa sœur et celui pour sa foi. Mais la seconde ne vient nullement faire la bête immonde : au contraire, elle lui permet de conserver une intégrité, qui certes, est bafouée petit à petit, mais demeure par le fait supérieur que la jeune femme sacrifie tout pour cette sœur enfermée. Ensuite, on peut entrer dans le détail : pouvait-elle faire autrement qu'en finissant à la rue, ne devait-elle pas accepter la souffrance de s'avouer vaincue en demeurant « pure », comme le dit son futur proxénète ? Il existait sans doute d'autres façons de récupérer cet argent. The Immigrant loue le sacrifice, mais à un prix immoral … On s'émeut certes, sans être toutefois convaincu.

L'ange blanc tombe en enfer, un enfer sombre et doré, où l'image, semblable aux lumières des peintures flamandes, est sans cesse sublime. On aurait pu craindre un estompement des traits, de l'authenticité à cause de cette forme très soignée et artistique; il n'en est rien, car Marion Cotillard, comme pour La Môme ou De Rouille et d'Os, sort le grand jeu, complètement plongée dans son rôle. Jeremy Renner, lui se remet au sérieux avec un second rôle convaincant, mais celui dont il faut faire l'éloge est Joachim Phoenix. Il livre une composition complexe, comme un personnage de roman, parfaitement dans l'esprit du film, qui ressemble en de nombreux points à une odyssée tragique de la seconde moitié du XIXe. L'acteur, qui n'en est pas à son coup d'essai avec James Gray (le réalisateur, qui a déjà travaillé avec lui sur ses deux meilleurs films, La Nuit nous appartient et Two Lovers), peint un personnage plus vrai que nature, contradictoire, écartelé entre amour et égoïsme, conscient de sa médiocrité, et incapable de s'en relever … Une palette où tendresse, timidité, colère et jalousie se mêlent dans un tourment psychologique remarquable.

Doté d'un récit romanesque, de personnages profonds, et d'une mise en scène de véritable artiste, The Immigrant redonne ses lettres de noblesse aux films narratifs, qui laissaient de plus en plus le monopole de la beauté aux films contemplatifs. Un chef-d’œuvre d'un classicisme rappelant les plus beaux muets ou noirs et blancs, où l'on trouve les références de la narration. Ne l'oublions pas, comme l'apprend l'Actors Studio, « acting is doing ».