Une Education réussit brillamment là où le risque était pourtant considérable : raconter l'histoire d'une jeune fille qui devient une femme sans ennuyer et surtout sans tomber dans la caricature, tout en douceur, à l'âge où la psychologie est si fuyante.
Il a fallu pour cela mêler les ingrédients du succès.
Comme souvent dans ce type d'oeuvre, le scénario est fondée sur une histoire vraie. Ce film est en effet adapté des mémoires de la journaliste britannique Lynn Barber. Or il ne s'agit pas d'un détail car la réalité de l'expérience renforce considérablement la vraisemblance du script, bâti sur des mécanismes psychologiques authentiques.
Il faut ensuite souligner l'excellent jeu d'acteur, où les vieux routiers de la pellicule donnent une réplique convaincante à la jeune Carey Mulligan (And when did you last see your father ?, de Anand Tucker en 2007, Orgueil et préjugés de Joe Wright en 2005, ou plus récemment Brothers, de Jim Sheridan en 2008). Celle-ci n'est d'ailleurs pas si jeune que ça : « Je ne l'avais jamais vue avant que Finola me dise qu'ils allaient l'engager, raconte Nick Hornby, scénariste et producteur exécutif. Quand j'ai demandé quel âge elle avait, et qu'ils m'ont répondu 21 ou 22 ans, je me suis emporté et j'ai dit qu'ils allaient tout gâcher parce que Jenny devait avoir 16 ans. »
Pourtant il faut reconnaître que Carey Mulligan a un grand talent, incarnant une jeune adolescente parfaitement crédible face à d'autres acteurs pour le moins impressionnants.
Emma Thompson, qu'on ne présente plus que pour la forme (The tall guy, l'ecellente adaptation shakespearienne Beaucoup de bruit pour rien, Au nom du père, Junior, Raisons et sentiments, Love actually...), peut déployer toute sa « british touch » dans un rôle sur-mesure et Alfred Molina, qui compte à son actif plus de 70 films, productions télévisées et pièces de théâtre, parvient à rendre le père de Jenny, pourtant bien austère, tout à fait irrésistible.
Peter Sarsgaard, quant à lui, incarne avec une crédibilité déconcertante ce séducteur trentenaire qui, pour séduire la jeune fille de façon réaliste, devait parvenir à séduire les spectateurs eux-mêmes. Mis à part le jeu d'acteur, une attention toute particulière a donc été portée aux tenues vestimentaires du personnage : la chef costumière Odile Dicks-Mireaux s'est beaucoup inspirée des films de l'époque, et en particulier de Sean Connery dans le premier James Bond, James Bond contre Dr. NO. Elle explique : « C'était un look très moderne pour l'époque, une véritable transition entre les années 50 et 60 »
Lone Sherfig signe donc un film d'excellente facture qui rajeunit sans aucun état d'âme des questions qu'on croyait moribondes.
Deux idées principales sous-tendent l'économie du film : la première, la plus évidente, est l'histoire d'une adolescente qui devient une adulte ; la deuxième, avouée et rondement menée, est le tournant difficile de l'après-guerre en Angleterre.
Il fallait une expérience de femme pour conter une aventure aussi personnelle. « J'ai toujours pensé, raconte Lynn Barber dans le dossier de presse, qu'un jour je devrais écrire l'histoire de mon premier petit ami, qui a été un épisode extraordinaire de ma vie. La seule personne à qui j'en ai parlé est mon mari parce que cela a été une histoire longue et compliquée ; ce n'est pas le genre de chose qu'on raconte au détour de la conversation pendant un dîner. C'était presque comme un secret que je portais en moi depuis des années. »
Mais cette expérience ne doit pas être un simple témoignage destiné à s'évanouir dans la conscience du spectateur. Il s'agit bien plutôt d'un enseignement pour toutes les jeunes filles dont l'innocence sert trop souvent de terrain de jeux aux habiles satyres. Pour les productrices en effet l'histoire de Lynn Barber n'a rien d'extraordinaire : « J'ai beaucoup discuté avec Amanda Posey des histoires que nous avons eues avec des hommes plus âgés quand nous étions au lycée, explique Finola Dwyer, et nous avons fini par réaliser que presque tout le monde avait eu une expérience avec un homme ou femme plus vieux que soi. Je pense que c'est universel, quand vous êtes jeune vous voulez avoir ce que vous n'avez pas, vous voulez échapper à ce qui vous paraît une vie ennuyeuse et rencontrer des personnes intéressantes et drôles qui vont transformer votre univers. » D'ailleurs, « toutes les jeunes filles que nous avons auditionnées ont adoré le scénario parce qu'elles avaient presque toutes une histoire semblable à nous raconter, souvent à la grande surprise de leurs parents. »
De ce fait, il est intéressant de revenir sur l'attitude d'un certain nombre d'éducateurs contemporains, pour lesquels les expériences malheureuses doivent être vécues pour acquérir de la maturité. En réalité ces expériences, même s'il peut en ressortir du bien de manière « accidentelle,& nbsp;» blessent bien plus souvent qu'elles ne guérissent. C'est d'ailleurs tout l'intérêt de ce film : montrer les périls de la vie afin que les adolescentes puissent apprendre à se protéger sans blessures.
« J'ai aimé la richesse du dilemme entre la vie et l'éducation, raconte Nick Hornby. J'ai souvent pensé à cela quand j'étais professeur, et j'étais convaincu de pouvoir écrire un scénario capable d'amplifier l'histoire de Lynn et de la rendre passionnante sur un grand écran. »
La jeune Jenny est en effet le stéréotype de la jeune adolescente insouciante rêvant de fuir son quotidien par quelques aventures exotiques. Passionnée de culture française, étouffée entre deux parents qu'elle trouve ennuyeux à mourir, exaspérée par l'établissement scolaire strict qu'elle fréquente, elle est la parfaite victime pour un homme sans scrupule en quête de romance. Elle dédaigne copieusement le jeune garçon de son âge qui lui porte un grand intérêt, parce qu'il symbolise la prison dont elle se sent victime, avec sa correctness toute britannique que les Beatles prendront plaisir à saccager. Plus largement, le film se penche sur des parents à l'image de ce contexte : une mère qui rêve manifestement d'un peu d'excentricité, tout en étant réellement attachée à son mari et à sa famille, et un p& egrave;re « petit-bourgeois » dont l'unique préoccupation est la réussite scolaire et professionnelle de sa fille.
Comme l'indique Nick Hornby, « Jack et Marjorie savent que quelque chose est sur le point de changer, mais ils ne savent pas encore quoi et ils utilisent leur fille comme une intermédiaire pour comprendre le futur. Et ce futur, tel que nous le connaissons, va se révéler surprenant. »
Le personnage de David, habilement interprété, vient alors exploiter toutes les failles de ce système. Il procure du rêve & agrave; chacun des personnages : à Jenny il offre une épopée amoureuse et intellectuelle, à sa mère il parle de voyage à Paris, pendant qu'à son père il fait miroiter des relations qui seraient bien utiles à sa fille.
Une fois le drame accompli, les mots de Jenny sont durs et coupants comme un diamant : il est facile de berner une adolescente, constate-t-elle, « mais vous » lâche-t-elle à ses parents, penauds comme des chatons pris le museau dans la crème. La leçon d'éducation prend alors un tour nouveau, où l'insouciance de l'adolescence, suffisamment fustigé, laisse la place à la bêtise de deux parents aveuglés par leurs rêves et emprisonnés dans les glaces de la superficialité. Car leur objectif n'est pas l'épanouissement de leur fille, mais la simple création d'un contexte bien insuffisant à rendre heureux qui que ce soit : la réussite professionnelle et le luxe.
Tout au long du film, Jenny ouvre quant à elle les yeux sur les valeurs qui fondent une vie. Hypnotisée par le luxe dans lequel David la plonge, elle va petit à petit réaliser l'importance du travail scolaire et la futilité des facilités matérielles, elle va comprendre à quel point les mots peuvent blesser, combien le charme d'un sourire peut camoufler des gouffres d'immaturité, à quoi les mensonges peuvent mener. La conduite de sa vie finit par la forcer à se tourner vers cette institutrice qui assistait impuissante à l'immolation de cette innocence, acte ultime d'humilité qui résume à lui seul sa renaissance. « En vieillissant on réalise mieux que nos mots peuvent blesser les autres, raconte Carey Mulligan. On fait plus attention à ce que l'on dit, on devient davantage capable de se maîtriser. »
Même si le film quitte pour la circonstance le modèle de Lynn Barber, David ne saurait être caricatural. Un mauvais film aurait probablement fuit le vraisemblable en peignant un personnage pervers et machiavélique, amateur de chair fraîche. Mais ce n'est pas le cas ici. « Il ne s' agit pas de sexe, mais de la vie. David n'est pas pervers, c'est juste un type qui veut profiter de la vie, » explique Peter Sarsgaard.
Comme souvent dans la réalité, David est donc un personnage paradoxal. Indubitablement intéressé par les charmes de l'adolescente, il n'est pas de ces simples satyres que les jeunes filles ne rencontrent somme toute qu'assez rarement. C'est un homme pris dans son propre piège, vraiment gentil mais faussement aimant, car l'amour aurait commandé qu'il ne cherche pas à froisser ce qui est immaculé, qu'il ne trompe pas dans ces affaires de coeur qui demandent au contraire la plus grande transparence. Il est menteur et manipulateur mais autant pour amuser que pour s'amuser. Il est le modèle de tous ces hommes qui croient que le plaisir, d'où qu'il vienne, est synonyme de bonheur. Si elle s'amuse, elle est heureuse, alors où est le mal ?
La fin du film vient encore répondre durement à cette question, aussi durement que peut l'être la réalité de la vie. Car après la « planette » vient la descente... aux enfers... Il doit bien constater qu'il a fait du mal, que ses amis lui en veulent, que la bulle vient d'éclater comme le coeur de leur relation, et tout ce qu'il peut faire parce qu'il est lâch
est de boire quelques gorgées d'alcool au goulot, avant d'appuyer sur l'accélérateur de son automobile pour une rupture définitive.
Ses copains, vrais profiteurs de la vie et faux amis, sont presque aussi aussi immatures que lui. Sans parler de l'hilarante et stupide Helen qui rassure Jenny (qui stigmatise par les tenues dont elle couvre Jenny le passage de la petite fille à la femme) en lui expliquant que bientôt plus personne ne parlera latin, Danny est affligé par le comportement de David, et certainement peiné par ce qui arrive à la jeune fille. Mais à part quelques signaux d'alarme bien insuffisants, il ne fait rien. Leur proximité revêt pourtant une importance capitale : « en réalité, commente Nick Hornby, Jenny est séduite par trois personnes. C'est pour cela qu'elle prend autant de risques avec sa propre vie. Son parcours a aussi été très influencé par sa rencontre avec Dany et Helen. »
Indépendamment de l'analyse des caractères, le film effectue également une analyse contextuelle centrée sur l'après-guerre en Angleterre, qu'il dépeint morne et triste. Pour Nick Hornby s'exprimant dans le dossier de presse, « un des éléments majeurs du film était qu'il se déroule en 1962, quand nous étions encore englués dans la période d'austérité qui a suivi la guerre. A cette époque, l'Angleterre était encore un pays pauvre et extrêmement insulaire. La Seconde Guerre mondiale a « créé » les Etats-Unis et leurs années 50 ; les grosses voitures et le rock'n roll témoignaient de leur prospérité. Là-bas, tout le monde roulait en Cadillac alors qu'en Angleterre nous étions encore en train d'attendre le bus. »
Jamais aucune effervescence dans les rues, aucune distraction (en tout cas pour les personnes de classe moyenne), des jeunes cloîtrés chez eux entre des parents pathétiques, voilà à quoi en sont réduites les relations sociales des années soixante.
Pourtant on peut se demander si l'histoire ne souffre pas une nouvelle fois de la vision dé formée d'un siècle arrogant. Comme ceux qui aiment représenter le moyen-âge comme une période exclusivement obscurantiste, théâtre de gens sales aux actes sales au mépris de toute vérité historique, le cinéaste d'Une éducation ne bascule-t-il pas dans l'incompréhension ?
« Au milieu des années 50 nous étions encore rationnés, il était difficile de voyager à l'étranger à cause des réglementations des changes, et la nourriture n'était pas très variée. Nous manquions de beaucoup de choses dans ce pays » se rappelle Nick Hornby.
Mais à en croire ce témoignage, conforme à la vision hautaine de notre siècle, on pourrait croire que l'origine des révolutions culturelles des années soixante se trouve plus dans l'exaspération que dans l'idéologie, comme si les gens d'hier étaient aussi dépendants qu'aujourd'hui des conditions matérielles pour s'amuser.
Dans cette perspective la révolution culturelle, qu'elle soit sexuelle ou musicale, peut être présentée comme la charnière salvatrice d'une époque maudite. Pour Peter Sarsgaard, « l'arrivée de la pilule contraceptive au début des années a préparé l'explosion de toutes ces choses qui ont été refoulée pendant si longtemps . Les gens mouraient ds'envie de s'amuser et beaucoup d'entre eux étaient prêts à le faire sans se soucier des régles. C'est une chose qu'on retrouve chez David – il a attendu pendant huit ans – et maintenant il ne pense plus qu'à une chose : s'amuser. »
Cette conception n'a une fois encore rien d'anecdotique. Carey Mulligan observe : « Bien que l'histoire de mon personnage soit basée sur celle de Lynn Barber, elle peut aussi être vue comme une métaphore de cette époque. C'est à la fois un passage à l'âge adulte pour Jenny et la naissance des années 60. »
Si nous filons la métaphore, nous devrions bien en déduire que la jeune Jenny, en payant les frais d'une libération désordonnée, symbolise la « gueule de bois » d'une époque frivole livrée à toutes les folies, mais est-ce vraiment le message du film ? Nick Hornby donne des éléments de réponse : « J'ai beaucoup aimé l'idée que David était un aperçu de ce qui allait venir. Il est le produit d'une société qui, d'une certaine façon, ne veut plus des règles et de l'austérité du passé. Il veut goûter aux bonnes choses de la vie, pas seulement l'argent et la frime, il s'intéresse à ce qui se passe, il veut écouter de la musique, lire, voir des films. Il est bien plus intéressé par le monde qu'il n'y paraît au premier regard. »
Il s'agirait donc plus d'une fascination pour les années soixante que d'une réflexion aboutie sur leur retentissement mais, quel que soit l'objectif, il faut bien reconnaître que cette contextualisation est bien secondaire en comparaison avec le thème principal du film, et Une éducation traite son objet avec une dextérité rare, tout en évitant l'érotisme ardent qu'on aurait pu attendre de ce thème (la seule scène du film est une nudité suggérée).
Quand le spectacle de l'éducation tourne à l'éducation du spectateur, on doit saluer la performance.
C'est chose faite...
Raphaël Jodeau
1961, Angleterre. Jenny a seize ans. Élève brillante, elle se prépare à intégrer Oxford. Sa rencontre avec un homme deux fois plus âgé qu'elle va tout remettre en cause. Dans un monde qui se prépare à vivre la folie des années 60, dans un pays qui passe de Lady Chatterley aux Beatles, Jenny va découvrir la vie, l'amour, Paris, et devoir choisir son existence.
Une Education réussit brillamment là où le risque était pourtant considérable : raconter l'histoire d'une jeune fille qui devient une femme sans ennuyer et surtout sans tomber dans la caricature, tout en douceur, à l'âge où la psychologie est si fuyante.
Il a fallu pour cela mêler les ingrédients du succès.
Comme souvent dans ce type d'oeuvre, le scénario est fondée sur une histoire vraie. Ce film est en effet adapté des mémoires de la journaliste britannique Lynn Barber. Or il ne s'agit pas d'un détail car la réalité de l'expérience renforce considérablement la vraisemblance du script, bâti sur des mécanismes psychologiques authentiques.
Il faut ensuite souligner l'excellent jeu d'acteur, où les vieux routiers de la pellicule donnent une réplique convaincante à la jeune Carey Mulligan (And when did you last see your father ?, de Anand Tucker en 2007, Orgueil et préjugés de Joe Wright en 2005, ou plus récemment Brothers, de Jim Sheridan en 2008). Celle-ci n'est d'ailleurs pas si jeune que ça : « Je ne l'avais jamais vue avant que Finola me dise qu'ils allaient l'engager, raconte Nick Hornby, scénariste et producteur exécutif. Quand j'ai demandé quel âge elle avait, et qu'ils m'ont répondu 21 ou 22 ans, je me suis emporté et j'ai dit qu'ils allaient tout gâcher parce que Jenny devait avoir 16 ans. »
Pourtant il faut reconnaître que Carey Mulligan a un grand talent, incarnant une jeune adolescente parfaitement crédible face à d'autres acteurs pour le moins impressionnants.
Emma Thompson, qu'on ne présente plus que pour la forme (The tall guy, l'ecellente adaptation shakespearienne Beaucoup de bruit pour rien, Au nom du père, Junior, Raisons et sentiments, Love actually...), peut déployer toute sa « british touch » dans un rôle sur-mesure et Alfred Molina, qui compte à son actif plus de 70 films, productions télévisées et pièces de théâtre, parvient à rendre le père de Jenny, pourtant bien austère, tout à fait irrésistible.
Peter Sarsgaard, quant à lui, incarne avec une crédibilité déconcertante ce séducteur trentenaire qui, pour séduire la jeune fille de façon réaliste, devait parvenir à séduire les spectateurs eux-mêmes. Mis à part le jeu d'acteur, une attention toute particulière a donc été portée aux tenues vestimentaires du personnage : la chef costumière Odile Dicks-Mireaux s'est beaucoup inspirée des films de l'époque, et en particulier de Sean Connery dans le premier James Bond, James Bond contre Dr. NO. Elle explique : « C'était un look très moderne pour l'époque, une véritable transition entre les années 50 et 60 »
Lone Sherfig signe donc un film d'excellente facture qui rajeunit sans aucun état d'âme des questions qu'on croyait moribondes.
Deux idées principales sous-tendent l'économie du film : la première, la plus évidente, est l'histoire d'une adolescente qui devient une adulte ; la deuxième, avouée et rondement menée, est le tournant difficile de l'après-guerre en Angleterre.
Il fallait une expérience de femme pour conter une aventure aussi personnelle. « J'ai toujours pensé, raconte Lynn Barber dans le dossier de presse, qu'un jour je devrais écrire l'histoire de mon premier petit ami, qui a été un épisode extraordinaire de ma vie. La seule personne à qui j'en ai parlé est mon mari parce que cela a été une histoire longue et compliquée ; ce n'est pas le genre de chose qu'on raconte au détour de la conversation pendant un dîner. C'était presque comme un secret que je portais en moi depuis des années. »
Mais cette expérience ne doit pas être un simple témoignage destiné à s'évanouir dans la conscience du spectateur. Il s'agit bien plutôt d'un enseignement pour toutes les jeunes filles dont l'innocence sert trop souvent de terrain de jeux aux habiles satyres. Pour les productrices en effet l'histoire de Lynn Barber n'a rien d'extraordinaire : « J'ai beaucoup discuté avec Amanda Posey des histoires que nous avons eues avec des hommes plus âgés quand nous étions au lycée, explique Finola Dwyer, et nous avons fini par réaliser que presque tout le monde avait eu une expérience avec un homme ou femme plus vieux que soi. Je pense que c'est universel, quand vous êtes jeune vous voulez avoir ce que vous n'avez pas, vous voulez échapper à ce qui vous paraît une vie ennuyeuse et rencontrer des personnes intéressantes et drôles qui vont transformer votre univers. » D'ailleurs, « toutes les jeunes filles que nous avons auditionnées ont adoré le scénario parce qu'elles avaient presque toutes une histoire semblable à nous raconter, souvent à la grande surprise de leurs parents. »
De ce fait, il est intéressant de revenir sur l'attitude d'un certain nombre d'éducateurs contemporains, pour lesquels les expériences malheureuses doivent être vécues pour acquérir de la maturité. En réalité ces expériences, même s'il peut en ressortir du bien de manière « accidentelle,& nbsp;» blessent bien plus souvent qu'elles ne guérissent. C'est d'ailleurs tout l'intérêt de ce film : montrer les périls de la vie afin que les adolescentes puissent apprendre à se protéger sans blessures.
« J'ai aimé la richesse du dilemme entre la vie et l'éducation, raconte Nick Hornby. J'ai souvent pensé à cela quand j'étais professeur, et j'étais convaincu de pouvoir écrire un scénario capable d'amplifier l'histoire de Lynn et de la rendre passionnante sur un grand écran. »
La jeune Jenny est en effet le stéréotype de la jeune adolescente insouciante rêvant de fuir son quotidien par quelques aventures exotiques. Passionnée de culture française, étouffée entre deux parents qu'elle trouve ennuyeux à mourir, exaspérée par l'établissement scolaire strict qu'elle fréquente, elle est la parfaite victime pour un homme sans scrupule en quête de romance. Elle dédaigne copieusement le jeune garçon de son âge qui lui porte un grand intérêt, parce qu'il symbolise la prison dont elle se sent victime, avec sa correctness toute britannique que les Beatles prendront plaisir à saccager. Plus largement, le film se penche sur des parents à l'image de ce contexte : une mère qui rêve manifestement d'un peu d'excentricité, tout en étant réellement attachée à son mari et à sa famille, et un p& egrave;re « petit-bourgeois » dont l'unique préoccupation est la réussite scolaire et professionnelle de sa fille.
Comme l'indique Nick Hornby, « Jack et Marjorie savent que quelque chose est sur le point de changer, mais ils ne savent pas encore quoi et ils utilisent leur fille comme une intermédiaire pour comprendre le futur. Et ce futur, tel que nous le connaissons, va se révéler surprenant. »
Le personnage de David, habilement interprété, vient alors exploiter toutes les failles de ce système. Il procure du rêve & agrave; chacun des personnages : à Jenny il offre une épopée amoureuse et intellectuelle, à sa mère il parle de voyage à Paris, pendant qu'à son père il fait miroiter des relations qui seraient bien utiles à sa fille.
Une fois le drame accompli, les mots de Jenny sont durs et coupants comme un diamant : il est facile de berner une adolescente, constate-t-elle, « mais vous » lâche-t-elle à ses parents, penauds comme des chatons pris le museau dans la crème. La leçon d'éducation prend alors un tour nouveau, où l'insouciance de l'adolescence, suffisamment fustigé, laisse la place à la bêtise de deux parents aveuglés par leurs rêves et emprisonnés dans les glaces de la superficialité. Car leur objectif n'est pas l'épanouissement de leur fille, mais la simple création d'un contexte bien insuffisant à rendre heureux qui que ce soit : la réussite professionnelle et le luxe.
Tout au long du film, Jenny ouvre quant à elle les yeux sur les valeurs qui fondent une vie. Hypnotisée par le luxe dans lequel David la plonge, elle va petit à petit réaliser l'importance du travail scolaire et la futilité des facilités matérielles, elle va comprendre à quel point les mots peuvent blesser, combien le charme d'un sourire peut camoufler des gouffres d'immaturité, à quoi les mensonges peuvent mener. La conduite de sa vie finit par la forcer à se tourner vers cette institutrice qui assistait impuissante à l'immolation de cette innocence, acte ultime d'humilité qui résume à lui seul sa renaissance. « En vieillissant on réalise mieux que nos mots peuvent blesser les autres, raconte Carey Mulligan. On fait plus attention à ce que l'on dit, on devient davantage capable de se maîtriser. »
Même si le film quitte pour la circonstance le modèle de Lynn Barber, David ne saurait être caricatural. Un mauvais film aurait probablement fuit le vraisemblable en peignant un personnage pervers et machiavélique, amateur de chair fraîche. Mais ce n'est pas le cas ici. « Il ne s' agit pas de sexe, mais de la vie. David n'est pas pervers, c'est juste un type qui veut profiter de la vie, » explique Peter Sarsgaard.
Comme souvent dans la réalité, David est donc un personnage paradoxal. Indubitablement intéressé par les charmes de l'adolescente, il n'est pas de ces simples satyres que les jeunes filles ne rencontrent somme toute qu'assez rarement. C'est un homme pris dans son propre piège, vraiment gentil mais faussement aimant, car l'amour aurait commandé qu'il ne cherche pas à froisser ce qui est immaculé, qu'il ne trompe pas dans ces affaires de coeur qui demandent au contraire la plus grande transparence. Il est menteur et manipulateur mais autant pour amuser que pour s'amuser. Il est le modèle de tous ces hommes qui croient que le plaisir, d'où qu'il vienne, est synonyme de bonheur. Si elle s'amuse, elle est heureuse, alors où est le mal ?
La fin du film vient encore répondre durement à cette question, aussi durement que peut l'être la réalité de la vie. Car après la « planette » vient la descente... aux enfers... Il doit bien constater qu'il a fait du mal, que ses amis lui en veulent, que la bulle vient d'éclater comme le coeur de leur relation, et tout ce qu'il peut faire parce qu'il est lâch
est de boire quelques gorgées d'alcool au goulot, avant d'appuyer sur l'accélérateur de son automobile pour une rupture définitive.
Ses copains, vrais profiteurs de la vie et faux amis, sont presque aussi aussi immatures que lui. Sans parler de l'hilarante et stupide Helen qui rassure Jenny (qui stigmatise par les tenues dont elle couvre Jenny le passage de la petite fille à la femme) en lui expliquant que bientôt plus personne ne parlera latin, Danny est affligé par le comportement de David, et certainement peiné par ce qui arrive à la jeune fille. Mais à part quelques signaux d'alarme bien insuffisants, il ne fait rien. Leur proximité revêt pourtant une importance capitale : « en réalité, commente Nick Hornby, Jenny est séduite par trois personnes. C'est pour cela qu'elle prend autant de risques avec sa propre vie. Son parcours a aussi été très influencé par sa rencontre avec Dany et Helen. »
Indépendamment de l'analyse des caractères, le film effectue également une analyse contextuelle centrée sur l'après-guerre en Angleterre, qu'il dépeint morne et triste. Pour Nick Hornby s'exprimant dans le dossier de presse, « un des éléments majeurs du film était qu'il se déroule en 1962, quand nous étions encore englués dans la période d'austérité qui a suivi la guerre. A cette époque, l'Angleterre était encore un pays pauvre et extrêmement insulaire. La Seconde Guerre mondiale a « créé » les Etats-Unis et leurs années 50 ; les grosses voitures et le rock'n roll témoignaient de leur prospérité. Là-bas, tout le monde roulait en Cadillac alors qu'en Angleterre nous étions encore en train d'attendre le bus. »
Jamais aucune effervescence dans les rues, aucune distraction (en tout cas pour les personnes de classe moyenne), des jeunes cloîtrés chez eux entre des parents pathétiques, voilà à quoi en sont réduites les relations sociales des années soixante.
Pourtant on peut se demander si l'histoire ne souffre pas une nouvelle fois de la vision dé formée d'un siècle arrogant. Comme ceux qui aiment représenter le moyen-âge comme une période exclusivement obscurantiste, théâtre de gens sales aux actes sales au mépris de toute vérité historique, le cinéaste d'Une éducation ne bascule-t-il pas dans l'incompréhension ?
« Au milieu des années 50 nous étions encore rationnés, il était difficile de voyager à l'étranger à cause des réglementations des changes, et la nourriture n'était pas très variée. Nous manquions de beaucoup de choses dans ce pays » se rappelle Nick Hornby.
Mais à en croire ce témoignage, conforme à la vision hautaine de notre siècle, on pourrait croire que l'origine des révolutions culturelles des années soixante se trouve plus dans l'exaspération que dans l'idéologie, comme si les gens d'hier étaient aussi dépendants qu'aujourd'hui des conditions matérielles pour s'amuser.
Dans cette perspective la révolution culturelle, qu'elle soit sexuelle ou musicale, peut être présentée comme la charnière salvatrice d'une époque maudite. Pour Peter Sarsgaard, « l'arrivée de la pilule contraceptive au début des années a préparé l'explosion de toutes ces choses qui ont été refoulée pendant si longtemps . Les gens mouraient ds'envie de s'amuser et beaucoup d'entre eux étaient prêts à le faire sans se soucier des régles. C'est une chose qu'on retrouve chez David – il a attendu pendant huit ans – et maintenant il ne pense plus qu'à une chose : s'amuser. »
Cette conception n'a une fois encore rien d'anecdotique. Carey Mulligan observe : « Bien que l'histoire de mon personnage soit basée sur celle de Lynn Barber, elle peut aussi être vue comme une métaphore de cette époque. C'est à la fois un passage à l'âge adulte pour Jenny et la naissance des années 60. »
Si nous filons la métaphore, nous devrions bien en déduire que la jeune Jenny, en payant les frais d'une libération désordonnée, symbolise la « gueule de bois » d'une époque frivole livrée à toutes les folies, mais est-ce vraiment le message du film ? Nick Hornby donne des éléments de réponse : « J'ai beaucoup aimé l'idée que David était un aperçu de ce qui allait venir. Il est le produit d'une société qui, d'une certaine façon, ne veut plus des règles et de l'austérité du passé. Il veut goûter aux bonnes choses de la vie, pas seulement l'argent et la frime, il s'intéresse à ce qui se passe, il veut écouter de la musique, lire, voir des films. Il est bien plus intéressé par le monde qu'il n'y paraît au premier regard. »
Il s'agirait donc plus d'une fascination pour les années soixante que d'une réflexion aboutie sur leur retentissement mais, quel que soit l'objectif, il faut bien reconnaître que cette contextualisation est bien secondaire en comparaison avec le thème principal du film, et Une éducation traite son objet avec une dextérité rare, tout en évitant l'érotisme ardent qu'on aurait pu attendre de ce thème (la seule scène du film est une nudité suggérée).
Quand le spectacle de l'éducation tourne à l'éducation du spectateur, on doit saluer la performance.
C'est chose faite...
Raphaël Jodeau