Entouré d'une constellation d'acteurs très talentueux, François Ozon signe une comédie franchement drôle, au scénario enrichi par son origine théâtrale : une pièce de Jean-Pierre Grédy et Pierre Barillet. Alors que l'aspect vieillot des années soixante-dix aurait pu inquiéter les plus mauvais esprits, il est remarquablement bien géré dans une plastique aux couleurs chatoyantes et agréables. Fabrice Luchini interprète son rôle de patron odieusement capitaliste avec une sincérité déconcertante et Catherine Deneuve, joyau de l'intrigue, n'a rien perdu de son éclat. Gérard Depardieu, égal à lui-même, incarne un député communiste avec grande finesse. Les deux enfants sont également très persuasifs : Judith Godrèche se pare d'une beauté qui contraste singulièrement avec le caractère de son personnage, et la ressemblance de Jérémie Régnier avec Claude François (avant-goût d'un film qu'il a en préparation) est troublante.
Sur le fond François Ozon (réalisateur entre autres de 8 femmes) partage visiblement avec Etienne Chatiliez (La vie est un long fleuve tranquille, Tanguy, etc.) le goût de l'iconoclasme. Le principe est simple : on prend une famille visiblement unie et heureuse, puis en s'enfonçant à force mètres de pellicule, on montre combien les dessous de la bourgeoisie sont crottés.
C'est bien à un film de cette veine auquel il faut s'attendre. Dans une famille apparemment sans histoire, le père de famille est chef d'entreprise, l'épouse femme au foyer, la fille marié à un homme qu'on devine riche, et le fils étudiant à Science-Po.
À peine le film est-il entamé que le spectateur constate la méchanceté de Robert Pujol à l'égard de sa femme et de ses salariés. La fille est au moins aussi psychorigide que son père, et le fils, un peu réfractaire, se tient à distance de celui-ci, dont il n'aime ni les méthodes, ni les idées. C'est dans ce contexte peu engageant que se tient Suzanne, la mère, merveilleusement incarnée par Catherine Deneuve, méprisée par sa fille qui la tient pour une potiche et par son mari, qui pense la gâter à grands coups d'électroménager. De fait elle est effectivement une potiche : pas le droit d'avoir d'avis, pas de responsabilité et une vie ennuyeuse à gratter sur un petit calepin les quelques vers que son imagination lui offre.
Quelques rigolades plus tard, on apprend que la fille veut divorcer de son mari, que le père trompe sa femme avec à peu près tout ce qui porte une jupe, et que la mère a elle-même eu une aventure amoureuse avec le député communiste joué par Gérard Depardieu (d'un point de vue purement technique, le flashback est assez mal amené). Aux trois quarts du film environ, elle finit par reconnaître qu'elle a multiplié les aventures amoureuses dans son jeune temps et qu'elle « ne regrette rien. »
Tout cela brosse donc la caricature d'une famille bourgeoise, que l'on suppose archétypale, et qui va servir de contexte à l'histoire.
Par un jeu de circonstances que l'on épargnera au lecteur, il se trouve que Suzanne va devoir remplacer son mari à la tête de l'usine, en plein contexte de furie syndicale. Évidemment (c'est le principal message du film), celle-ci va, par sa modernité, son caractère affable, son bon sens et sa grande capacité d'écoute, remettre l'usine sur pied et s'attirer les bonnes grâces de tous les employés.
Dans cette grande leçon de gestion participative, on observera au passage les piques assez mesquines adressées au président de la République, comme ces phrases désormais cultes glissées dans la bouche de Robert Pujol : « Casse-toi pauv'con » ou « S'ils veulent gagner plus, il faudra travailler plus. » L'estocade est alors lancée contre les patrons : « Le paternalisme est dépassé. Aujourd'hui il faut se comporter comme une ordure aux ordres du colonialisme et du libéralisme » fustige le fils. Ceux qui se retranchaient derrière le cas particulier de Robert Pujol pour défendre les raccourcis du film sont à présent trahis : il s'agit de la dénonciation d'une généralité. On doit donc imaginer que la plupart des patrons sont des ordures, à la différence des salariés par nature honnêtes et compréhensifs : « Quand l'ouvrier en demande trop c'est que le patron n'en donne pas assez » s'agace Gérard Depardieu.
Mais de l'histoire d'une patronne « innocente » et responsable ressort l'odyssée d'une femme. Car le film est avant tout la propagande d'un certain féminisme. Pas le féminisme qui aime la femme telle qu'elle est, mais celui qui chérit la femme telle qu'on voudrait qu'elle soit. Il faut aujourd'hui, pour être de bon ton, que la femme soit nécessairement chef d'entreprise, soprane politique, ou en tout cas l'actrice de faits glorieux ou héroïques. La mère au foyer n'a pas sa place dans ce féminisme là. Elle est discrète quoique indispensable, laborieuse quoique sans secrétariat, aimante quoique sans amants. Catherine Deneuve, alias Suzanne, défend des idées d'une ancienne modernité. Elle encourage sa fille à avorter et lui rappelle qu'elle est seule maîtresse de son corps quoiqu'en pense son mari. Ridicule de conformisme au début du film, elle finit par défendre l'idée tout aussi ridicule d'un couple où chacun fait valoir ses droits contre l'autre. On imagine que si une telle attitude mène au divorce (ce qui est le cas dans le film), on pourra toujours dire que c'est la faute de l'hypocrisie conjugale.
Après avoir été chef d'entreprise, Suzanne va ensuite débuter une carrière prometteuse en politique, malgré les bâtons que vont glisser dans ses roues tous ces méchants machistes. Seule contre tous, elle va tenir bon et leur montrer de quel bois elle se chauffe, avant de triompher des obstacles.
Alors que François Ozon aurait pu montrer une belle figure de femme politique ou entrepreneuse, qui concilierait harmonieusement vie de famille et activité professionnelle ou politique, il a choisi de le faire en réveillant les vieilles idéologies, comme si elles seules pouvaient défendre l'image d'une femme forte.
Un film idéologique et cinglant qui dénonce avec une réelle drôlerie les méchants patrons, et fait la promotion d'un certain féminisme.
Entouré d'une constellation d'acteurs très talentueux, François Ozon signe une comédie franchement drôle, au scénario enrichi par son origine théâtrale : une pièce de Jean-Pierre Grédy et Pierre Barillet. Alors que l'aspect vieillot des années soixante-dix aurait pu inquiéter les plus mauvais esprits, il est remarquablement bien géré dans une plastique aux couleurs chatoyantes et agréables. Fabrice Luchini interprète son rôle de patron odieusement capitaliste avec une sincérité déconcertante et Catherine Deneuve, joyau de l'intrigue, n'a rien perdu de son éclat. Gérard Depardieu, égal à lui-même, incarne un député communiste avec grande finesse. Les deux enfants sont également très persuasifs : Judith Godrèche se pare d'une beauté qui contraste singulièrement avec le caractère de son personnage, et la ressemblance de Jérémie Régnier avec Claude François (avant-goût d'un film qu'il a en préparation) est troublante.
Sur le fond François Ozon (réalisateur entre autres de 8 femmes) partage visiblement avec Etienne Chatiliez (La vie est un long fleuve tranquille, Tanguy, etc.) le goût de l'iconoclasme. Le principe est simple : on prend une famille visiblement unie et heureuse, puis en s'enfonçant à force mètres de pellicule, on montre combien les dessous de la bourgeoisie sont crottés.
C'est bien à un film de cette veine auquel il faut s'attendre. Dans une famille apparemment sans histoire, le père de famille est chef d'entreprise, l'épouse femme au foyer, la fille marié à un homme qu'on devine riche, et le fils étudiant à Science-Po.
À peine le film est-il entamé que le spectateur constate la méchanceté de Robert Pujol à l'égard de sa femme et de ses salariés. La fille est au moins aussi psychorigide que son père, et le fils, un peu réfractaire, se tient à distance de celui-ci, dont il n'aime ni les méthodes, ni les idées. C'est dans ce contexte peu engageant que se tient Suzanne, la mère, merveilleusement incarnée par Catherine Deneuve, méprisée par sa fille qui la tient pour une potiche et par son mari, qui pense la gâter à grands coups d'électroménager. De fait elle est effectivement une potiche : pas le droit d'avoir d'avis, pas de responsabilité et une vie ennuyeuse à gratter sur un petit calepin les quelques vers que son imagination lui offre.
Quelques rigolades plus tard, on apprend que la fille veut divorcer de son mari, que le père trompe sa femme avec à peu près tout ce qui porte une jupe, et que la mère a elle-même eu une aventure amoureuse avec le député communiste joué par Gérard Depardieu (d'un point de vue purement technique, le flashback est assez mal amené). Aux trois quarts du film environ, elle finit par reconnaître qu'elle a multiplié les aventures amoureuses dans son jeune temps et qu'elle « ne regrette rien. »
Tout cela brosse donc la caricature d'une famille bourgeoise, que l'on suppose archétypale, et qui va servir de contexte à l'histoire.
Par un jeu de circonstances que l'on épargnera au lecteur, il se trouve que Suzanne va devoir remplacer son mari à la tête de l'usine, en plein contexte de furie syndicale. Évidemment (c'est le principal message du film), celle-ci va, par sa modernité, son caractère affable, son bon sens et sa grande capacité d'écoute, remettre l'usine sur pied et s'attirer les bonnes grâces de tous les employés.
Dans cette grande leçon de gestion participative, on observera au passage les piques assez mesquines adressées au président de la République, comme ces phrases désormais cultes glissées dans la bouche de Robert Pujol : « Casse-toi pauv'con » ou « S'ils veulent gagner plus, il faudra travailler plus. » L'estocade est alors lancée contre les patrons : « Le paternalisme est dépassé. Aujourd'hui il faut se comporter comme une ordure aux ordres du colonialisme et du libéralisme » fustige le fils. Ceux qui se retranchaient derrière le cas particulier de Robert Pujol pour défendre les raccourcis du film sont à présent trahis : il s'agit de la dénonciation d'une généralité. On doit donc imaginer que la plupart des patrons sont des ordures, à la différence des salariés par nature honnêtes et compréhensifs : « Quand l'ouvrier en demande trop c'est que le patron n'en donne pas assez » s'agace Gérard Depardieu.
Mais de l'histoire d'une patronne « innocente » et responsable ressort l'odyssée d'une femme. Car le film est avant tout la propagande d'un certain féminisme. Pas le féminisme qui aime la femme telle qu'elle est, mais celui qui chérit la femme telle qu'on voudrait qu'elle soit. Il faut aujourd'hui, pour être de bon ton, que la femme soit nécessairement chef d'entreprise, soprane politique, ou en tout cas l'actrice de faits glorieux ou héroïques. La mère au foyer n'a pas sa place dans ce féminisme là. Elle est discrète quoique indispensable, laborieuse quoique sans secrétariat, aimante quoique sans amants. Catherine Deneuve, alias Suzanne, défend des idées d'une ancienne modernité. Elle encourage sa fille à avorter et lui rappelle qu'elle est seule maîtresse de son corps quoiqu'en pense son mari. Ridicule de conformisme au début du film, elle finit par défendre l'idée tout aussi ridicule d'un couple où chacun fait valoir ses droits contre l'autre. On imagine que si une telle attitude mène au divorce (ce qui est le cas dans le film), on pourra toujours dire que c'est la faute de l'hypocrisie conjugale.
Après avoir été chef d'entreprise, Suzanne va ensuite débuter une carrière prometteuse en politique, malgré les bâtons que vont glisser dans ses roues tous ces méchants machistes. Seule contre tous, elle va tenir bon et leur montrer de quel bois elle se chauffe, avant de triompher des obstacles.
Alors que François Ozon aurait pu montrer une belle figure de femme politique ou entrepreneuse, qui concilierait harmonieusement vie de famille et activité professionnelle ou politique, il a choisi de le faire en réveillant les vieilles idéologies, comme si elles seules pouvaient défendre l'image d'une femme forte.