Les émotifs anonymes

Film : Les émotifs anonymes (2010)

Réalisateur : Jean-Pierre Améris

Acteurs : Benoit Poelvoorde (Jean-René), Isabelle Carré (Angélique), .

Durée : 01:20:00


Cette comédie chaleureuse, portée par deux acteurs merveilleux, entre le burlesque et la douce émotion, montre que la peur est inhérente à l’amour, mais que l’amour doit dépasser la peur.

Un peu comme Les Caractères de La Bruyère, Les émotifs anonymes est un film-portrait avant d’être une comédie. Face à la caméra, deux acteurs, l’un incarnant le patron d’une chocolaterie moribonde, terrorisé par les femmes, l’autre incarnant son employée, terriblement timide. « Les peurs de mes personnages constituent le prisme par lequel je les observe mais, parce que je suis d’une nature positive, j’aime aussi raconter comment ils les surmontent et s’en sortent », nous livre Jean-Pierre Améris. Pourquoi une comédie pour parler de la peur ? Il est vrai que la peur peut être un handicap dans tous les moments de la vie, mais elle peut également être source de situations insolites et comiques pour l’observateur extérieur. C’est en effet un bon thème pour être abordé sous l’angle de la comédie, du plus fin au plus burlesque. Et la magie prend puisque le spectateur, bien en sécurité dans son fauteuil, ne peut que s’amuser de voir un personnage face à une situation qui n’a en réalité rien d’angoissant pour tout un chacun. Ainsi un simple dîner en tête-à-tête se transforme-t-il en grosse farce où Jean-René, dégoulinant de stress, doit changer plusieurs fois de chemise. Mais cette mise en scène efficace avait besoin d’acteurs talentueux. Benoît Poelvoorde joue à merveille à la fois sur le registre comique et sur le registre tragique. On rit de sa détresse, ou elle nous fait sourire, parce qu’elle est touchante comme un enfant qui fait rire malgré lui. Isabelle Carré offre également une très belle prestation empreinte de douceur, de naïveté, d’émotivité et de spontanéité. 
Outre la qualité des acteurs, les dialogues revêtent une grande importance dans une comédie. Les personnages principaux échangent quelques bonnes répliques qui jouent principalement sur une absurdité du propos provoquée par l’émotion. « Je crois que je suis amoureuse de vous ! » devrait appeler un « moi aussi », au pire un « moi non plus, mais a priori pas un « Ah ! Merci beaucoup ! ».
Gentille comédie, bons sentiments, une histoire d’amour improbable mais attachante, le film d’Améris a le mérite d’être un petit vent chaud dans cet hiver glacial. Sans être d’une profondeur abyssale, il aborde le problème de la peur de l’autre en général, la peur de l’amour en particulier. En définitive, si les traits sont quelque peu grossis au service de l’humour, cette peur est universelle, voire institutionnalisée. Dans une société où, à tous ses niveaux, l’homme est un loup pour l’homme, l’autre est fui, méprisé ou agressé. Mais ce que l’on croit être une nocivité chez son voisin n’est bien souvent qu’une incompréhension. Il est bien connu que l’ignorance est la principale source de peur. Pour prendre un exemple absolu, les civilisations qui ne voient la mort que comme un passage (qui en ont donc une certaine connaissance), la craignent moins. Connaître l’autre est donc le seul moyen de ne plus en avoir peur. Plus encore, le connaître permet de l’aimer. « Je suis désolé mais on est tous les deux émotifs, on court à la catastrophe, c’est obligé », lance Angélique ! Ils sont tous deux éprouvés par le doute et leur hypersensibilité n’est excessive que dans leur incapacité à la surmonter et non dans l’idée qu’ils se font de l’amour. En effet, pourquoi aurions-nous peur de l’amour si c’est une chose facile ? Plusieurs comportements sont souvent sous les projecteurs au cinéma ou à la télévision. Il y a ceux qui ont tellement peur de l’amour qu’ils ne prennent finalement jamais de décision, ne s’engagent jamais, et il y a ceux qui ne le craignent pas et qui s’engagent imprudemment. En réalité, il serait bon de prendre exemple sur Jean-René et Angélique, non pas en fuyant l’engagement comme ils finissent par le faire à la fin, mais en craignant l’amour, car l’amour est une grande chose qui demande un dépassement total de soi. Ce que l’on pourrait prendre pour une comédie sentimentalo-niaise est finalement assez juste dans son message : il n’y a pas d’amour sans crainte, mais l’amour est plus important que la crainte.
 
Jean LOSFELD