Jeanne Captive

Film : Jeanne Captive (2011)

Réalisateur : Philippe Ramos

Acteurs : Clémence Poésy (Jeanne), Thierry Frémont (Le guérisseur), Liam Cunningham (Le capitaine anglais), Mathieu Amalric (Le prédicateur)

Durée : 01:30:00


Un film d'une réalisation très sobre qui croit bien faire en transformant Jeanne d'Arc en héroïne tourmentée, suicidaire et sensuelle.

Le personnage de Jeanne d’Arc a inspiré plusieurs cinéastes, y compris parmi les plus grands, au point de devenir l’un des plus féconds sujets de cinéma (une vingtaine de films). Depuis le court-métrage muet de Georges Méliès (1900) jusqu’à la super-production indigeste de Luc Besson (1999) en passant par
La passion de Jeanne d’Arc de Carl Theodor Dreyer (1928), Joan of Arc de Victor Fleming (1948), Sainte Jeanne d’Otto Preminger (1957) et Jeanne La Pucelle de Jacques Rivette (1994), l’héroïne lorraine et sainte aura été un grand sujet d’inspiration pour le 7e art. Inspiration plutôt mauvaise en ce qui concerne la dernière version en date, réalisée par le cinéaste-bulldozer Luc Besson où l’on voyait Jeanne sous les traits d’une Milla Jovovitch hystérique et masculinisée à outrance et ses compagnons d’arme faire des blagues balourdes du XXe siècle dans un univers empruntant autant (voir plus) à la science-fiction et à l’heroic-fantasy qu’à l’histoire de France.

Ce n’est heureusement pas l’orientation que prend Philippe Ramos, le nouveau réalisateur qui vient s’ajouter à la longue liste et déjà auteur de Adieu pays et Capitaine Achab. Pour sa propre version de la vie de Jeanne d’
arc, le cinéaste a choisit de se focaliser sur la période de captivité du personnage, depuis sa tentative d’évasion ratée qui la blessa jusqu’à son exécution au bûcher. Robert Bresson avait déjà pris le parti exclusivement sur une partie restreinte de la vie de Jeanne dans son film Procès de Jeanne d’Arc (1962), sans doute l’une des versions les plus réalistes, mais ici le procès sera absent du film, seule la sentence des juges étant lue. On y verra donc Jeanne sans son armure, ce costume « si puissamment symbolique » selon le réalisateur. La détention et les interrogations de Jeanne sont vues à travers les différents personnages masculins qui sont en contact avec elle. Le réalisateur définit ainsi le film : « C’est Jeanne et les hommes ». En faisant faire des essais à l’actrice Clémence Poésy, le cinéaste a dit s’être efforcé de retrouver cette « ouverture vers un abîme, comme le reflet d’une grâce dans laquelle je savais que l’on pourrait voir un signe d’infini&
nbsp;» (source : DP). Par ailleurs, il a donné à l’interprète de Jeanne deux films de référence : L’esprit de la ruche de Victor Erice, pour son apport quasi-surnaturel à la mort, et Mouchette de Robert Bresson, pour sa figure de l’abandon. En outre, il décida de s’occuper seul du cadre et de la lumière afin d’avoir une liberté absolue, ce qui fait du film une œuvre très personnelle.

Clémence Poésy (Le grand Meaulnes de Jean-Daniel Verhaeghe, Le dernier gang d’Ariel Zeitoun) interprète le rôle avec beaucoup de sobriété et de retenue, s’avérant très convaincante dans ce rôle de femme à la fois ferme (elle ne laisse même pas le duc de Luxembourg la toucher) et résignée à son sort. Autour d’elle, des acteurs connus sans être des stars (excepté Matthieu Amalric) : Thierry Frémont (Femme fatale de Brian de palma, les brigades du tigre de Jérôme Cornuau) interprète le guérisseur
chargé de la soigner après sa terrible chute et qui tente de la soustraire au terrible sort qui l’attend, en vain ; Liam Cunningham (Blood, the last vampire, de Chris Nahon, Centurion de Neil Marshall) est le capitaine anglais qui escorte Jeanne jusqu’à sa prison anglaise et qui, en chemin, se prend à la fois d’estime et de criante pour elle, il est de plus le premier auquel elle parle depuis le début du film et le seul de ces personnages à être tué ; Jean-François Stévenin (Les bidochons de Serge Korber, Le pacte des loups de Christophe Gans) joue le rôle du moine qui assiste Jeanne durant son procès et s’en veut de ne pas avoir pu la sauver, quittant le monde des hommes pour une mystérieuse pénitence vers une destination inconnue ; enfin, Matthieu Amalric (Quantum of solace de Marc Foster, L’ennemi public n°1 de Jean-François Richet) incarne un prêcheur qui s’efforce d’approcher Jeanne lors de son exécution et en est écarté par les
soldats anglais avant de dresser une sorte de simili-autel dans la rivière où les cendres de cette dernière sont jetées. Signalons que ce personnage est, de loin, le plus obscur et sans doute le moins utile au récité du film, du reste, il n’apparaît guère que vingt minutes avant la fin.

Ce qui frappe d’emblée dans le film, c’est l’extrême austérité qui l’entoure. De toute évidence, il s’agit de l’inverse de la super-production à la Besson, le budget semble bien assez limité malgré la présence d’acteurs connus, aucun artifice ni effet de style n’est utilisé. Un parti pris plutôt inspiré mais qui entraîne également, revers de la médaille, un rythme très lent, parfois ennuyeux et dépourvu de souffle épique, ce qui est un comble pour l’épopée de Jeanne d’Arc. On ne trouvera dans ce film aucune scène spectaculaire ou haletante, plutôt des scènes de la vie quotidiennes et des huis-clos entre les principaux personnages.

Du point de vue historique, la reconstitution est plutôt convaincante hormis dans le fait de voir des personnages du Moyen-Age parler et se comporter comme actuellement, erreur commune à beaucoup de films médiévaux ! Il est dommage que le film soit presque entièrement évacué de toute référence au contexte historique, notamment géopolitique et militaire, qui entoure la destinée de Jeanne. Tout juste rappelle-t-on que le duc du Luxembourg (montré comme le seul personnage véritablement haïssable du film) l’a vendu 10000 livres aux anglais et esquisse-t-on une attaque de mercenaires français qui coûte la vie au capitaine anglais.

Si la spiritualité et la dévotion religieuse de Jeanne sont bien rappelées, celle-ci tient surtout du mysticisme obscur, bien plus que de la prière ardente. Durant la majeure partie du film, elle ressemble d’avantage à une illuminée qu’à une sainte, y compris dans ses
moments d’apaisement. Si elle se réfère à Dieu, on ne la voit jamais prier ni affirmer clairement sa dévotion à Dieu et à l’église catholique, ce qu’elle avait pourtant fait à de nombreuses reprises. Elle ne semble nullement sûre d’elle, doute même sérieusement de sa vocation durant une bonne partie du film. De plus, la scène d’introduction pose également problème dans la mesure où l’on ignore si la chute de Jeanne du haut du donjon est une vaine tentative d’évasion ou une volonté de suicide (Jeanne demandant pardon à Dieu pour cet acte, on craint le pire). Le film restera ambigu à cet égard.

Pour autant la spiritualité est bien présente dans le film, Jeanne inspirant certains évènements que certains personnages qualifient aisément de miracles (sa guérison rapide après sa chute, l’interruption du bruit des vagues lors de son transfert) et produisant une forte impression sur ceux qui la côtoient. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, sur les quatre hommes qui la croisent,
deux sont des laïcs très croyants (il est vrai normal à cette époque) et deux religieux (un moine et un prédicateur).

Signalons enfin, comme aspects plus qu'embarrassants, des scènes de nudité, y compris de l’héroïne, qui contraste avec l’impression de respect et l’aura spirituelle dont elle semble entourée au début. En fait, le principal problème du film est qu’il tend à désacraliser Jeanne d’Arc, volontairement ou non, et à en faire une femme ordinaire complètement illuminée. Or Jeanne fut une sainte de par ses actes héroïques, sa vie exemplaire et sa communion avec Dieu. Le film ne respecte donc pas du tout l’essence même de son personnage, ce qui est fort dommageable.