Le réalisateur de La La Land s'attaque au coup de force symbolique des États-Unis dans leur rivalité technique avec l'URSS.
Il déçoit légèrement en ne parvenant pas à insuffler l'originalité de son précédent film : son schéma vie privée/vie publique du héros est moult fois vu et revu.
Issue d'un roman sur Armstrong, cette analyse psychologique fait de l'astronaute un père détaché de sa famille, un père soit la tête dans les étoiles, soit dans la Lune, c'est à vous de voir, mais clairement à côté de la plaque pour rendre qui que ce soit heureux autour de lui. Son comportement est à la limite de l'anachronisme, comme de nombreux dialogues, qui correspondent bien plus à des manières de parler des années 2000. Au bout d'un moment, on commence à se demander s'il aime sa femme, mais jamais le film ne s'embête à vouloir apporter une réponse. Alors à quoi bon le montrer aussi blasé d'être chez lui ? Même dans ses fusées, l'homme ne semble pas heureux. Il traîne son spleen, celui du deuil d'une de ses petites filles. Fort bien. Créer une épaisseur dramatique à des personnages connus pour tel ou tel exploit est intéressant, encore faut-il que cela ait un peu de sens. Pourquoi ce deuil ? Pourquoi ces deuils d'ailleurs, puisque tous les pilotes d'essai meurent les uns après les autres ? À part vouloir faire pleurer dans les chaumières, on n'en voit pas bien l'intérêt.
First Man traite également du dilemme de l'utilisation de l'argent public : doit-il servir à montrer les muscles à la face du monde, avec des exploits aussi grandioses qu'inutiles, ou à sauver certains de la misère ? D'aucuns répondraient qu'il n'y a pas à opposer l'un et l'autre. Le film n'a pas l'air de savoir lui-même si cette expédition valait la peine d'être faite, tout en admirant la prouesse. Kennedy vient apporter un début de réponse : pour la grandeur du pays, pour l'image de puissance qui relève tous les défis. En tout cas, vu d'aujourd'hui, on se demande bien à quoi ce voyage a pu servir. Presque cinquante ans plus tard, cet exploit n'a aucun impact économique pour leurs auteurs. Et bien malin qui saura trouver une fonction anthropique à la Lune...
En revanche, le film brille par ses scènes "techniques", qui concernent de bien plus près le sujet. Le métier de cosmonaute est vu depuis son angle le plus cinématographique : l'angoisse, celle des explorateurs, qui savent qu'en dehors de leur bulle de métal, c'est la mort. Quelques séquences sont particulièrement inspirées, bien qu'on pût attendre quelque chose de plus riche concernant le dénouement du voyage. Un décollage de fusée, cuivres en fanfare à l'appui, se montre véritablement grandiose ; on en vient à regretter, nostalgique, la bonne vieille utilisation des cuivres - sans retouches aseptisées de mixage - au cinéma. Malheureusement, le plaisir est bref.
On pourra tout de même reprocher à la caméra de souffrir d'une tremblotte exagérée et parfois mal venue, notamment pour les scènes familiales. Si l'objectif tremble dans une scène sur le plancher des vaches, comment sentir le contraste quand il tremble dans une manoeuvre spatiale risquée ?
First Man brille là où on l'attendait : l'aventure spatiale, mais se gâche par un traitement de la vie personnelle des protagonistes plus lourd et sans but. Tout cela nous laisse le goût amer de l'histoire qui demandait un chef-d'oeuvre, et doit se contenter du bon film.
Commentaires
il ne faut pas passer à côté de la grande qualité de film...
Ce film est remarquable à cause justement du traitement de la vie privée des protagonistes de l'histoire. Contrairement à l'habitude, on est dans une histoire qui met en avant la sobriété. L'Amérique de cette époque est beaucoup plus en retenue dans ce type de milieu de vie que ce qu'on nous voyons aujourd'hui. Pas besoin de grands discours, les silences et les regards ont beaucoup de prix. Par exemple la scène où l'on voit l'épouse retrouver son mari derrière une vitre pour cause de quarantaine. Il n'y a même pas un sourire. Et pourtant l'épaisseur dramatique est bien là pour ceux qui peuvent la voir : cette aventure incroyable se termine bien et ils se retrouvent enfin. Pour qui ne l'a pas vécue l'atmosphère de la Guerre Froide avec toute la gravité et les incertitudes de la situation est difficile à imaginer et ce film en rend bien compte. Pas de dialogues inutiles, pas de blabla, pas de vulgarité, c'est beau comme une tragédie de Racine. C'est évidemment très différent de Lalaland, qui m'avait bien plu aussi. Réalisateur à suivre.