L' « effet loupe » au cinéma


Appliqué au domaine du cinéma, cette sélectivité dans l'information donne l' « effet loupe. »

Quand on est critique de cinéma, on est exposé (oui, je dis bien « exposé » car le cinéma est comme le soleil : une trop longue exposition sans protection doctrinale entraîne un brunissement de la lucidité pouvant déboucher sur des brûlures intellectuelles graves) à une multitude de films interpellant systématiquement notre conscience morale.

Toute œuvre humaine suppose en effet l'intervention de l'intelligence et de la volonté de son créateur, qui va choisir de promouvoir telle ou telle idée, puis de la montrer sous telle ou telle forme. Ceci est toujours vrai, pour tous les films, quoique à différents degrés (Expandable 2, de Sylvester Stallone, n'a certes pas la même profondeur que Dans la Maison, de François Ozon).

De ce fait, le critique qui a la chance de ne pas écrire dans Studio, Première ou Télérama, c'est-à-dire qui a la chance de réfléchir, va porter sur les œuvres un jugement moral qui consiste non pas nécessairement à condamner ou à encenser l'oeuvre, mais au moins à révéler sa trame intellectuelle.

 

 

Or nous sommes souvent confrontés à un préjugé qui fait jusqu'à aujourd'hui les choux gras de la pensée politiquement correcte.

 

 

Prenons le cas d'un film portant sur la période médiévale, comme Robin des Bois, de Ridley Scott (2010), avec Russel Crowe.

Sans parler des messages proprement véhiculés par le film, comme la lutte des classes par exemple, Universal Pictures donne une certaine vision du Moyen-Âge : les gens sont fustres et brutaux, sales, plongés dans la jungle et la loi du plus fort. L'image qui est donnée des croisades est aberrante au sens propre du mot. Richard Coeur de Lion est un pouilleux, le pape un intriguant sournois, les serfs des esclaves qui se réfugient dans la ripaille... Bref, du grand n'importe quoi !

Dans ce cas de figure le spectateur, et a fortiori le critique, paraît ligoté par le producteur qui se réfugie comme la plupart des congénères dans la restriction mentale : « ça a existé ! »

Mais oui mon petit ! Si, en effet, il y a eu de mauvais seigneurs, si des serfs ont été malheureux, si, plus spécifiquement, Jean sans terre était un personnage abominable et que cette période a été troublée, alors comment peut-on reprocher au film de montrer un mauvais seigneur, des paysans qui festoient comme des bêtes, etc.. ?

 

 

Hé bien oui ! Il faut le dire haut et fort, cette approche porte une responsabilité grave !

Car, à regarder de plus près, chaque producteur, quand il ne fait pas de grosse erreur historique, s'inscrit dans un mouvement. La très grande majorité des films s'insèrent en effet dans ce courant salissant d'une caricature de la période médiévale. Citons-en quelques uns assez récents ou au moins célèbres : Kingdom of Heaven, du même Ridley Scott (2005), Le roi Arthur, d'Antoine Fuqua (2004), Les visiteurs, de Jean-Marie Poiré (1993), ou encore Jeanne d'Arc, de Luc Besson (1999). Tous portent sur le « Moyen-Âge » un regard noir, fangeux, voire méprisant. Sur les croisades ? Le sang des templiers, de Jonathan English (2011), Le dernier des templiers, de Dominic Sena (2011), donnent une vision parcellaire des croisades, présentée comme uniquement brutales, avides, et vicieuses.

Quel film vient contre-balancer cette caricature ? A ma connaissance, il n'y en a eu sur toutes ces années qu'un seul, qui reste extrêmement contestable historiquement et à bien des points de vue mais qui, au moins, ne traîne pas cette période dans la boue : Jeanne Captive, de Philippe Ramos en 2011.

Et chaque producteur peut dire la gueule enfariné : « ça a existé ! » Oui mais...

 

 

Oui mais tant d'autres faits ont existé. Tant de belles choses ! Serait-ce abuser que de rappeler comment s'est construit le servage, comment les futurs serfs ont d'eux-mêmes sollicité la protection de puissants guerriers en échange de leur travail, après l'insécurité causée par la déliquescence puis le démembrement catastrophique de l'empire romain, comment de grands seigneurs se sont bravement illustrés pour défendre les villages, le plus souvent contre des brigands, et non contre des congénères ?

Ceux qui ont construit la France avec bravoure et justice n'ont-ils pas le droit, eux aussi, d'être cités par le cinéma en exemples ? Si un film sur Saint Louis voyait le jour, serait-ce une nouvelle fois pour montrer un roi pervers et rendu fou par la religion au point d'aller mourir sous les murailles de Jérusalem ?

 

 

Il est là, ce terrible effet loupe ! Qu'un film portant sur cette période dénonce des exactions, c'est justice. Que tous les films le fassent, et le public ne retiendra de cet âge que la misère et le sang.

Et cet effet peut être étendu à beaucoup d'autres thèmes ! Que certains policiers commettent des bavures et des exactions, c'est évident. Que beaucoup de jeunes des cités ne soient pas de mauvais bougres assoiffés de sang, j'en ai fait l'expérience. Mais que Luc Besson s'acharne à montrer de façon continuelle de méchants policiers contre de gentils jeunes le cœur sur la main, et l'effet loupe passe des faits à la caricature, de la caricature au mensonge. Sans parler des films dans lesquels la police ne fait que se tirer dans les pattes, s'ingliger des coups bas, sans parler de ceux qui montrent systématiquement la hiérarchie comme perverse et sans scrupule.

Il a toujours fallu, à toutes les époques, des guignols. Ces êtres facétieux pouvaient tourner en dérision l'autorité du gendarme parce que la majorité du peuple la reconnaissait, la percevait comme essentielle, la considérait comme une force de protection. Aujourd'hui cette complaisance dans la critique, ce regard noir et salissant deviennent coupable. Elle enfonce le peuple dans une morosité dont il n'a pas besoin.

 

 

Face à cette marée noire du cinéma poisseux, il y a deux types de comportements. J'ai déjà traité le premier, qui suit comme un troupeau bêlant ce que quelques élites mal cultivées ou subversives lui servent. Le deuxième est plus intelligent mais tout aussi erroné. C'est l'angélisme. Il consiste à prendre le contre-pied et à ne montrer que ce qui était beau, créant ainsi une frustration générale et conduisant à gémir que, après tout, « c'était mieux avant. »

 

 

Or l'histoire, les arts et la culture en général sont là pour montrer combien les belles choses méritent d'être suivies, et combien les immondices doivent être évités.

C'est ainsi que la culture sert l'homme et non l'inverse, c'est ainsi que travaille L'écran...


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